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Un président ultra-puissant

Win Myint, président actuel et 10ème à occuper ce poste dans toute l’histoire de la Birmanie, a pris ses fonctions le 28 mars 2018, remplaçant ainsi Htin Kyaw, 9ème Président, mais premier à être élu démocratiquement depuis des décennies, dans un contexte de bouleversement politique majeur du pays.

A l’époque de sa désignation, en mars 2016, la Ligue Nationale pour la Démocratie de Aung San Suu Kyi venait de remporter une victoire écrasante aux élections générales de novembre 2015 et se trouver en position de gouverner grâce à une majorité imposante, ce qui ouvrait aussi la voie à l’élection d’un président non issu du milieu militaire.

Le poste de Président, et ses conditions de désignation, ont été créés en 1948, au moment de la Déclaration Birmane d’indépendance vis-à-vis des Britanniques. Un Président birman est élu au suffrage indirect, par les membres du Parlement national, et non par la population. Après les élections parlementaires, un Collège Electoral Présidentiel est formé au Parlement national, composé de trois comités, représentant plus ou moins ses trois parties : les parlementaires nommés par l’armée, et le reste des parlementaires des Chambres haute, les représentants, et basse, les nationalités.

Une clause visant à écarter ceux « avec des citoyens étrangers dans leur famille proche« 

Ces trois entités proposent chacune un candidat à la Présidence. Puis le Parlement national se réunit en entier, et le candidat obtenant le plus grand nombre de voix est élu Président. Les deux autres nominés sont nommés premier et second Vice-président, en fonction du nombre de votes reçus. Pour être candidat à la présidence, il faut non seulement être citoyen birman, avoir 45 ans ou plus, être éligible aux yeux de la loi, mais également ne pas avoir de citoyens étrangers dans sa famille proche. Une clause de la constitution de 2008 perçue comme un moyen pour les militaires qui la rédigeaient d’exclure Aung San Suu Kyi des candidat.e.s potentiel.les au poste. Le défunt mari de la dirigeante birmane et leurs deux enfants sont en effet britanniques.

En cas de démission ou de décès du Président pendant son mandat, le premier Vice-président prend le relais jusqu’à une nouvelle élection par le Collège Electoral Présidentiel, qui proposera à nouveau trois candidats, renouvelant éventuellement aussi les deux vice-présidents. Aujourd’hui, le Président du pays est donc Win Myint, avec Myint Swe et Henry Van Thio comme premier et second Vice-président.

Le Premier ministre a disparu… mais une Conseillère d’état l’a remplacé

Ce processus de choix de la tête de l’état est sujet à controverses, comme ce fut le cas en Indonésie avant les réformes constitutionnelles de 2002, ou lors de l’élection de Donald Trump aux Etats Unis en 2016, qui fut élu in fine alors qu’il avait obtenu moins de suffrages que sa rivale Hillary Clinton mais qui a bénéficié du système des grands électeurs. Des cas qui questionne sur la pertinence d’un tel système d’élection au suffrage indirect dans un pays comme la Birmanie, où les récents sondages ont noté une baisse de confiance envers les institutions politiques.

Le poste de Premier Ministre a été effacé en 2011, permettant ainsi au Président d’être à la fois à la tête de l’Etat et du gouvernement (aussi appelé Cabinet, ou gouvernement de l’Union). En revanche, suite aux élections de 2015 et à la victoire de la LND, le poste de Conseiller.ère d’état a été créé par vote au Parlement national le 5 avril 2016, un poste équivalent à celui d’un Premier ministre. Et Daw Aung San Suu Kyi y a alors été nommée ce qui lui permet en conséquence d’exercer de fait le pouvoir à la tête du gouvernement… comme un Premier Ministre. Proche de Win Myint, et de Htin Kyaw avant lui, la controversée Prix Nobel de la Paix est presque universellement considérée comme la véritable dirigeante de l’état birman, surtout à l’étranger. Aujourd’hui, le Cabinet comporte donc le Président, la Conseillère d’état – pour un mandat de 5 ans, comme le Président – et les deux vice-ministres.

Le Conseil National de Défense et de Sécurité, puissant mais flou

A noter que la provision constitutionnelle obligeant à ne pas avoir de citoyens étrangers dans sa famille proche s’étend aux époux des enfants du candidat et a frappé d’autres politiciens que la Conseillère d’état : ce fut le cas pour l’ex-maire de Yangon, U Myint Swe, dont le gendre est australien.

En plus de devoir trouver sa place face à une puissante Conseillère d’Etat, le Président doit composer avec le Conseil National de Défense et de Sécurité (CNDS). Cette entité compte 11 membres, dont 5 sont directement nommés par l’armée ou en font partie : le chef d’Etat-Major (choisi par le Président avec l’approbation du CNDS), le vice- chef d’Etat-Major, les ministres de la Défense, de l’Intérieur et des Affaires frontalières. Comme un quart des parlementaires est désigné par le chef d’état-major, et vu le système de scrutin du président et des deux vice-présidents, l’un de ceux-ci est automatiquement lui aussi désigné par l’armée. Myint Swe, actuel premier Vice-président, est un ancien général 3 étoiles, connu pour avoir dirigé plusieurs arrestations ou répressions importantes avant 2015 et membre du Parti de la Solidarité et du Développement de l’Union (PSDU) notoirement le bras politique des militaires. Au CNDS, il donne clairement la majorité des voix à l’armée.

Les responsabilités exactes du CNDS restent floues. La Constitution précise cependant qu’il possède un rôle important dans les prises de décision concernant les affaires internationales et l’action militaire.

Le président nomme presque tout le monde…

Chaque ordre exécutif du gouvernement est pris au nom du Président, en tant que chef de l’Etat. C’est donc le Président Win Myint qui va, en son nom, soumettre une loi au vote du Parlement, et qui la signera une fois votée. Il peut également accorder des pardons ou des amnisties (suite aux recommandations du CNDS), entamer ou interrompre des relations avec d’autres pays, appeler à une réunion urgente du Parlement, mais aussi ordonner une action militaire en cas d’agression envers le pays (avec l’accord du CNDS) ou déclarer l’état d’urgence selon les provisions spécifiques de la Constitution.

Il est également en charge de nommer les membres de la Commission Electorale Nationale, qui elle-même a pour devoir d’organiser les élections des membres du Parlement et de décider de la tenue, du décalage, ou de l’annulation des élections selon le contexte. Le chef de l’état doit également nommer, et peut révoquer, les ministres des états et régions parmi les parlementaires élus dans ces zones, et s’octroie donc un certain contrôle sur leur politique interne.

Le système judiciaire sous le contrôle de fait du Président

Parmi ses responsabilités, se trouve également la nomination et l’éviction des juges de la Cour Suprême, plus haut organe judiciaire du pays, et des présidents de tribunaux de grande instance des états et régions. Il choisit aussi lui-même un tiers des juges du Tribunal Constitutionnel.

Le gouvernement compte actuellement 25 ministères, nombre pouvant varier selon les présidences. Les ministères travaillent sur les sujets prioritaires du pays, de l’Education aux Transport et Communications, de l’Electricité et Energie à la Santé et les Sports, en passant par l’Information, les Affaires religieuses, et l’Investissement et Relations Economiques Etrangères.

Les ministres du gouvernement de l’Union sont choisis par le Président, hormis le ministre de la Défense, le ministre de l’Intérieur et le ministre des Affaires Frontalières, qui sont nommés par le chef d’Etat-Major. Le Président choisi également les ministres-adjoints de chaque ministère. Les conditions de candidature sont similaires : avoir 40 ans ou plus (35 pour un ministre adjoint), remplir les critères d’élection au Parlement national, et être « loyal à l’Union et à ses citoyens » d’après la Constitution.

Une destitution possible mais extrêmement compliquée

Enfin, c’est à lui que revient le poste de Président de la Commission Financière, dont il doit créer la composition. Cette commission a pour devoir de soumettre le budget de l’Union au Parlement national et de conseiller le gouvernement sur les questions financières.

Il est possible de destituer un Président « pour de bonnes raisons » en cas de haute trahison, mauvaise conduite ou comportement anticonstitutionnel. Un processus de destitution « complexe » d’après la Constitution comportera la signature d’au moins un quart du Parlement, et le soutien d’au moins deux tiers des parlementaires. A noter qu’avec 25% de sièges constitutionnellement réservés à des parlementaires nommés par l’armée, cette dernière possède un pouvoir certain sur la destitution d’un Président.

En réalité, l’exécutif exerce donc un pouvoir considérable sur la formation du gouvernement, la sélection des hauts magistrats et la promulgation de lois. La séparation des pouvoirs est un principe clé de la démocratie, et nécessite un système de balance afin de fonctionner correctement. Or, pour que ce système puisse fonctionner, les membres du législatif et du judiciaire doivent être réellement indépendants de l’exécutif, et doivent pouvoir exprimer des critiques sans craindre de perdre leur poste. Ce qui n’est aujourd’hui pas le cas en Birmanie. Malgré la présence d’un tel discours dans la Constitution birmane, l’équilibre reste donc encore à trouver.

Par Ludivine Paques – Lepetitjournal.com – 27 Août 2020

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