« A bas la dictature » : les manifestants mobilisés ce week-end à Bangkok contre le gouvernement
Ils ont cimenté, dimanche matin, une plaque signalant que la Thaïlande appartient au peuple, près de l’ancien palais royal de la capitale thaïlandaise.
« A cet endroit, le peuple a exprimé sa volonté : que ce pays appartient au peuple et n’est pas la propriété du monarque » : telle est l’inscription sur la plaque qui a été cimentée par des manifestants thaïlandais à Sanam Luang, une place royale proche du Grand Palais à Bangkok, dimanche 20 septembre au matin.
« La nation n’appartient à personne, mais à nous tous », a renchéri Parit Chiwarak, l’une des figures de la contestation. « A bas la féodalité, vive le peuple », a-t-il ajouté. Un geste très symbolique. Une plaque, installée depuis des années dans le centre de Bangkok pour célébrer la fin de la monarchie absolue en 1932, a été retirée dans des conditions mystérieuses en 2017, peu après l’accession au trône de Maha Vajiralongkorn.
Des milliers de personnes étaient encore regroupées dans le centre de la capitale, dimanche. La manifestation a débuté la veille. Des dizaines de milliers de personnes, surtout des jeunes, s’étaient rassemblées à Bangkok, ce qui en fait le plus grand rassemblement depuis le coup d’Etat de 2014 qui a placé au pouvoir le chef du gouvernement Prayut Chan-O-Cha, légitimé depuis par des élections controversées.
Au cœur de leurs revendications, la fin du « harcèlement » des opposants politiques, la dissolution du Parlement avec la démission du premier ministre, le général Prayuth Chan-o-cha, et la révision de la Constitution de 2017, rédigée du temps de la junte et jugée trop favorable à l’armée.
Une manifestation qui a débuté à la faculté de Thammasat
En début d’après-midi samedi, plusieurs milliers de manifestants étaient réunis sur le campus de la faculté de Thammasat, dans le centre de Bangkok, après en avoir forcé les portes. Le lieu est symbolique : le 6 octobre 1976, des dizaines d’étudiants, qui protestaient contre le retour d’un régime militaire après une parenthèse de trois années de démocratie, y avaient été tués par les forces de l’ordre épaulées par deux milices ultraroyalistes.
C’est trois doigts levés en signe de défi que, selon l’Agence France-Presse (AFP), des opposants ont commencé à quitter le campus pour se rendre vers la place emblématique de Sanam Luang, un champ de cérémonie royal en face du Grand Palais.
« Les jeunes de ce pays ne voient aucun avenir », selon un communiqué de l’ex-chef du gouvernement Thaksin Shinawatra, renversé par un coup d’Etat il y a tout juste quatorze ans, sans apporter explicitement son soutien au mouvement. « A bas la dictature, vive la démocratie ! », « Prayuth dehors ! », scandaient les opposants, certains appartenant au mouvement des « chemises rouges », proche de l’ex-premier ministre en exil, bête noire du gouvernement actuel.
Réformer la monarchie
La contestation prodémocratie, qui défile dans les rues quasi quotidiennement depuis l’été, regroupe surtout des jeunes, étudiants et urbains. Une partie d’entre eux réclame même une réforme de la monarchie, sujet tabou en Thaïlande. En dépit des renversements successifs de régimes (12 coups d’Etat depuis 1932), le régime restait jusqu’ici intouchable, protégée par une des plus sévères lois punissant le crime de lèse-majesté au monde.
« Notre objectif n’est pas de détruire la monarchie, mais de la moderniser, de l’adapter à notre société », selon une des organisatrices du mouvement, qui témoigne auprès de l’AFP. Leurs demandes n’en demeurent pas moins audacieuses : ils réclament la non-ingérence du roi dans les affaires politiques, l’abrogation de la loi sur le crime de lèse-majesté et le retour des biens de la Couronne dans le giron de l’Etat.
Les manifestations, dans un royaume habitué aux contestations matées dans le sang (en 1973, 1976, 1992 et 2010), se sont, jusqu’à présent, déroulées dans le calme.
« La police a reçu comme consigne de faire preuve de patience. Les manifestants peuvent se rassembler, mais pacifiquement et dans le cadre de la loi », a réagi le porte-parole du gouvernement, Anucha Burapachaisri.
« Nous sommes pacifiques, mais il pourrait y avoir des tensions », selon une manifestante, inculpée, comme une vingtaine d’activistes depuis le début de la contestation, de « sédition », un crime passible de sept ans de prison.
Le premier ministre a mis en garde contre ces rassemblements, brandissant la menace d’une nouvelle vague de coronavirus en Thaïlande, relativement épargnée jusqu’à présent (3 500 cas et 58 décès pour une population de 69 millions d’habitants). Cela pourrait « détruire la confiance des investisseurs » et nuire au pays, déjà frappé de plein fouet par la crise économique liée à la pandémie, a-t-il lancé. Quelque 10 000 policiers ont été déployés.
Le souverain thaïlandais, bien au-delà de son statut de monarque constitutionnel, dispose d’une influence considérable, qu’il exerce le plus souvent dans l’ombre. Maha Vajiralongkorn, monté sur le trône en 2016 au décès de son père, le vénéré roi Bhumibol, est une personnalité controversée. En quelques années, il a renforcé les pouvoirs d’une monarchie déjà toute-puissante, en prenant notamment directement le contrôle de la fortune royale.
Des rassemblements en faveur du mouvement pro-démocratie thaïlandais doivent se tenir ce week-end dans une douzaine de pays, dont la France.
Le Monde avec Agence France Presse – 20 Septembre 2020
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