« Ils nous considèrent comme des animaux » : en Thaïlande, collégiens et lycéens réclament une réforme de leur système éducatif
Dans le giron du mouvement pro-démocratie initié par les étudiants des universités au début de l’été, les élèves du secondaire veulent mettre fin à un système scolaire archaïque et autoritaire.
Alors que les étudiants thaïlandais manifestent depuis le début de l’été pour demander une réforme du système politique et de la monarchie, les collégiens et lycéens ont de leur côté organisé leur propre révolte. Ce mouvement très présent dans les lycées de Bangkok réclame notamment une réforme en profondeur du système éducatif. Joint par téléphone, Aom* un de ces Bad Students (mauvais élèves), comme ils se sont autoproclamés n’y va pas par quatre chemins : « Il y en a marre de tout ce système. Marre des coupes de cheveux réglementaires, marre de cet uniforme, marre aussi de ces manuels qui datent d’un autre temps »
Comme des milliers d’autres collégiens et lycéens de la capitale, Aom réclame aussi de faire cesser définitivement les punitions corporelles trop souvent infligées par les professeurs. « Ils nous considèrent comme des animaux qui se ressemblent et qui peuvent être commandés et frappés comme bon leur semble » déplore le jeune garçon. « On ne nous donne même pas le droit de choisir les chaussettes qu’on porte. C’est une violation des droits humains les plus basiques. »
Pour faire entendre leur voix, ces élèves ont commencé par perturber les cérémonies qui ont lieu chaque matin dans la cour des établissements. Au moment de chanter l’hymne national, ils ont pris pour habitude de lever trois doigts et d’arborer un ruban blanc, deux signes de contestation repris à leurs aînés. Puis, depuis début septembre, le mouvement a pris de l’ampleur et a gagné la rue : les 5 et 17 septembre, près de 300 Bad Students se sont ainsi réunis devant le ministère de l’Education en présence du ministre Nataphol Teepsuwan.
Un système inscrit dans l’histoire militaire du pays
S’ils craignent aujourd’hui encore les représailles de certains de leurs enseignants, ils peuvent compter sur d’autres pour militer à leurs côtés. Parmi eux, Tanawat Suwannapan, professeur de sciences sociales dans un lycée de Bangkok. « Le système scolaire thaïlandais a été mis en place il y a 50 ans par un gouvernement militaire. Depuis il n’a pas changé », rappelle-t-il. « Cette culture autoritaire se voit partout. Beaucoup de professeurs utilisent encore un bâton pensant que cela va les aider à enseigner. » Début septembre, un collégien de 13 ans est ainsi mort après que son professeur l’a forcé à faire 100 flexions pour un devoir non rendu, provoquant une vive émotion dans le royaume.
Comme d’autres professeurs progressistes qui commencent à faire entendre leurs voix, Tanawat Suwannapan appelle lui aussi à une réforme des programmes scolaires jugés désuets, rappelant les mauvais résultats de la Thaïlande en matière d’éducation. En 2019, le pays s’était placé en bas du classement du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA), atteignant la 56e place sur 79 pour les mathématiques et la 66e pour la lecture. « Avec Internet, les élèves ont compris qu’il y a bien plus à apprendre que ce qui est dit dans leurs manuels scolaires qui se contentent de célébrer la monarchie », analyse le professeur. « Ils ont découvert des ouvrages complètement absents des programmes, comme 1984 de George Orwell, auquel ils se réfèrent beaucoup. Petit à petit, ils se sont forgé leur esprit critique. » Un esprit critique qui aboutit à des analyses et des conclusions sans concession, via notamment des slogans percutants dont les Bad students arrosent les réseaux sociaux. L’un de plus édifiants tient en quelques mots : « La dictature commence à l’école. » Tout est dit.
Par Cyrielle Cabot – Marianne – 1er Octobre 2020
Articles similaires / Related posts:
- Thaïlande : l’école, l’autre réforme réclamée par la jeunesse Coupe à frange et lunettes cerclées qui lui donnent un air sage: de prime abord, Benjamaporn « Ploy » Nivas n’a rien d’une fauteuse de troubles....
- Thaïlande : des milliers de lycéens dans la rue pour une réforme de l’école et de la société Des milliers de lycéens sont descendues dans les rues de Bangkok samedi 21 novembre pour réclamer une réforme du système scolaire et comme leurs aînés étudiants, une réforme de la monarchie....
- Des étudiants menacés d’être expulsés de Thaïlande s’ils manifestent Une université thaïlandaise a averti les étudiants étrangers qu’ils devaient éviter les rassemblements politiques, sans quoi ils s’exposaient au risque de voir leur visa révoqué et d’être placés sur liste noire de l’immigration. Une annonce qui arrive alors que les manifestations anti-gouvernementales en Thaïlande expriment leur solidarité avec le mouvement anti-coup d’Etat en Birmanie....
- En souvenir du 6 octobre 1976 Le 6 octobre marque le 46e anniversaire du meurtre d’étudiants par la police et les forces ultranationalistes lors d’un affrontement politique le 6 octobre 1976, également connu sous le nom d’événement du 6 octobre....
- Le Palang Praccharath perd ses leaders Les défections continuent d’ébranler le parti au pouvoir, le Palang Pracharath Party (PPRP), alors qu’une figure clé de la faction est pressentie pour être la dernière à passer au parti United Thai Nation (UTN) après la conclusion de la dernière session parlementaire à la fin du mois....