J-M Beurdelay : “Le marché de l’art en Thaïlande est en plein boom”
Fondé par une famille franco-thaïlandaise, le musée MAIIAM offre un véritable panorama de l’art contemporain en Thaïlande, un secteur en plein boom comme l’explique Jean-Michel Beurdeley.
Issu d’une famille de collectionneurs d’art, Jean-Michel Beurdeley a commencé à s’intéresser à l’art contemporain thaïlandais au début des années 1990. De l’acquisition d’une première oeuvre, s’en ajoute d’autres au point d’avoir une collection de plus de 400 pièces. Véritable projet familial, Jean-Michel Beurdeley, sa défunte épouse Patsri Bunnag et le fils de cette dernière Eric Bunnag Booth, ont ouvert en 2016, le MAIIAM, un musée d’art contemporain privé. Le trio expose au public une collection accumulée depuis 30 ans.
Situé dans un ancien entrepôt de 3.000 mètres carrés dans le quartier de San Kamphaeng à Chiang Mai, le MAIIAM abrite des expositions temporaires et des événements particuliers, une salle de cinéma et une exposition permanente de la collection familiale au premier étage. On y retrouve des noms connus de l’art contemporain thaïlandais comme Montien Boonma, Kamin Lertchaiprasert, Chatchai Puipia, Araya Rasdjarmrearnsook, Navin Rawanchaikul, Natee Utarit, Vasan Sitthiket, Pinaree Sanpitak ou encore Rirkrit Tiravanija, mais l’on découvre aussi de jeunes artistes.
Lepetitjournal.com/chiang-mai a rencontré Jean-Michel Beurdeley pour revenir sur l’origine de ce musée qui place encore un peu plus Chiang Mai sur la liste des villes artistiques, et parler de l’évolution de l’art contemporain en Thaïlande.
LEPETITJOURNAL.COM : D’où vient votre passion pour l’art ?
Jean-Michel BEURDELAY: Mon père était un expert en art d’Extrême-Orient à l’Hôtel des Ventes à Paris et mon arrière-grand-père était également un collectionneur. En fait toute la famille a toujours été dans l’art, plutôt dans l’antiquité, nous sommes une famille de collectionneur. Je me suis mis sérieusement là-dedans en 1965, à l’âge de 19 ans, avec ma galerie d’antiquités et d’art chinois à Saint-Germain-des-Prés. Après 30 ans, j’en ai eu assez! L’antiquité, quand vous avez fait cela toute votre vie, il y a un moment où vous avez envie de changer. Je m’intéressais beaucoup aux peintres contemporains chinois qui vivaient à Paris, dont la fameuse artiste Lalan.
En quittant Paris pour habiter en Thaïlande le plus possible, je me suis petit à petit consacré à l’art contemporain thaïlandais, j’ai commencé à acheté mes premières pièces vers 1990. Vous achetez une première pièce, puis 2, 10, 50, 400! A un moment, nous ne pouvions plus les accrocher au mur, il y en avait trop.
Avec mon épouse, nous nous sommes dit que plutôt que de donner de l’argent à des oeuvres de charité -où ce n’est pas toujours facile de retracer comment est dépensé cet argent- nous allions ouvrir un musée d’art contemporain.
Pourquoi avez-vous choisi d’ouvrir ce musée à Chiang Mai ?
Chiang Mai est une ville très artistique, très culturelle, beaucoup d’artistes de Bangkok et d’ailleurs ont déménagé ici. Nous avions trouvé que c’était un bon endroit pour faire quelque chose. Il y a 20-30 ans, San Kamphaeng était le quartier de l’artisanat, cela semblait logique que nous nous y installions. J’aurais préféré être en ville mais il faut des moyens que je n’ai pas, finalement je suis content d’être à San Kamphaeng.
Après 4 ans d’activité, le MAIIAM n’est pas viable mais cela, on le savait dès le départ. Les entrées ou les ventes de la boutique ne couvrent pas les frais pour payer le personnel et l’électricité ainsi que les frais d’exposition d’artistes provenant de l’étranger. Il faut être courageux et avoir un peu les moyens.
Avant le Covid-19, nous avions peut-être 10.000 visiteurs par an. Nous avions des étudiants qui venaient d’un peu partout pour visiter le musée. Depuis la réouverture en juin, les gens reviennent petit à petit. Cela me donne un grand plaisir de voir les gens passer une heure à regarder les oeuvres, lire les étiquettes. Je vois de plus en plus de jeunes au musée, des jeunes qui n’ont parfois jamais vu d’art abstrait, ils se photographient devant les tableaux, c’est donc que quelque part ces tableaux les interpellent. C’est formidable, on sent que cela bouge et que l’intérêt pour l’art se répand.
En ouvrant un musée d’art contemporain à Chiang Mai, aviez-vous la volonté d’élever la ville sur la scène internationale de l’art ?
Je n’avais pas pensé à cela mais comme nous avons gagné un prix très important après une année d’existence, le Leading Cultural Destinations Awards cela nous a placés comme étant l’un des meilleurs musées privés et cela nous a offert une visibilité mondiale.
Le musée permet à beaucoup de gens de voir ce qui se fait au niveau de l’art contemporain en Thaïlande, souvent ils ne connaissent que quelques artistes, ceux de la vieille école, plus figuratif. Quand ils viennent ici, ils peuvent voir autre chose. Il y a 20 ans, les collectionneurs achetaient des oeuvres figuratives et maintenant, ils sont dans l’art abstrait, ils y viennent petit à petit et je pense que nous avons un peu aidé. Nous avons également eu une exposition d’artistes originaires de Pattani. Les Thaïlandais eux-mêmes ne savaient même pas qu’il y avait une école des beaux-arts à Pattani. Nous avons donc permis de les faire connaître et, depuis, ces artistes exposent en Malaisie, en Indonésie, etc.
Est-ce que l’on peut parler d’un rayonnement international des artistes Thaïlandais ou est-ce que cela reste plutôt un phénomène local ?
C’est très local! J’ai une théorie là-dessus, les Thaïlandais se sont mis à collectionner, aussi bien l’antiquité que l’art contemporain, très tardivement. Pendant longtemps, les arts étaient protégés par le roi, le roi était le patron des artistes et c’était lui qui faisait les commandes officielles. Ou alors, les commandes venaient des temples. Par conséquent, vu que les arts étaient “protégés”, les Thaïlandais ne collectionnaient pas. Cette tradition a changé il y a seulement une cinquantaine d’année.
Dans les pays qui ont été colonisés comme le Vietnam, l’Indonésie, les Philippines, il y a eu beaucoup plus tôt un marché de l’art, des artistes qui étaient exposés à l’étranger, etc. En Thaïlande, c’est plus récent. En fait, c’est un marché en plein boom. Mais nous sommes qu’au début, cela ne fait même pas 10 ans. Il y a de plus en plus de collectionneurs thaïlandais, des résidents étrangers qui collectionnent, cela créé un marché qui n’existait pas il y a 10 ou 15 ans.
Existe-t-il des différences entre le marché de l’art à Bangkok et à Chiang Mai ?
Je ne vois pas trop de différence si ce n’est qu’à Bangkok, il faut être un héros pour se balader d’une galeries à l’autre en raison de la circulation. Les gens de Bangkok, quand ils viennent ici, ont envie de se reposer, d’être détendus. A Chiang Mai, la circulation est fluide, ils vont voir les expositions et ils peuvent acheter directement aux artistes ou dans les galeries.
Au niveau des artistes, ceux qui vivent à Chiang Mai exposent aussi de temps en temps à Bangkok et vice-versa.
Le problème est plutôt qu’ici, il n’y a pas de ventes publiques, ou très rarement. Une vente publique permet d’évaluer la valeur d’un artiste et permet au collectionneur d’acheter avec discernement. Cela pourrait créer un engouement pour l’art en Thaïlande. Bien sûr, il faut d’abord acheter pour le bonheur d’avoir l’objet chez soi mais si en plus l’oeuvre s’apprécie financièrement, c’est mieux.
Je pense que cet engouement viendra des galeries, il faut qu’elles exposent les gens qu’elles aiment et qu’elles arrivent à vendre les oeuvres, sans penser uniquement au côté commercial, elles doivent aussi imposer leur goût et transmettre au public. Tout cela prend du temps pour se mettre en place, mais cela vient, on voit de nouvelles galeries qui ouvrent.
Vous êtes venus pour la première fois en Thaïlande en 1964, quels grands changements avez-vous pu observer en un peu plus de 50 ans ?
La Thaïlande a connu un changement total! Bangkok est une plus belle ville aujourd’hui qu’il y a 30 ans. A l’époque, il y avait des constructions moches et de mauvaises qualités. Chiang Mai a énormément changé. A l’époque, quand je venais, je connaissais les quatre chauffeurs de taxi de l’aéroport, il n’y avait même pas un vol par jour! Mais je trouve que la ville a très bien évolué, l’urbanisme y est mieux qu’à Bangkok. Nous ne pouvons pas tout garder comme avant, il faut pouvoir se mettre à la modernité.
Prévoyez-vous des évolutions pour le MAIIAM ?
Depuis très peu de temps, j’ai un projet qui est juste dans ma tête pour le moment, de faire une extension de 250 mètres carré au musée pour présenter la photographie. La photographie est un sujet très intéressant que l’on ne montre pas assez.
Par Catherine Vanesse – Lepetitjournal.com – 12 octobre 2020
Articles similaires / Related posts:
- Thaïlande : des artistes inspirés par le mouvement pro-démocratie Casque de réalité virtuelle sur la tête et manettes à la main, l’artiste thaïlandais Chalermpol Junrayab effectue comme une danse de robot pour réaliser son art....
- L’expo Uncensored rassemble 30 artistes dénonçant la dictature en Thaïlande Jusqu’au 22 novembre 2021 à Bangkok, une trentaine d’artistes exposent des œuvres à caractère politique pour dénoncer la dictature et promouvoir la démocratie en Thaïlande....
- En Thaïlande, le rap électrise la contestation de la jeunesse Facile à produire et à diffuser, le hip hop aux textes hostiles au pouvoir connaît un succès grandissant en Asie du Sud-Est, malgré les tentatives de censures des autorités....
- Littérature thaïlandaise : « Les Nobles » de Dokmaï Sot, portrait de femme non conventionnelle « Faire le bien est chose difficile pour beaucoup de gens. Les difficultés découragent, elles font hésiter le plus grand nombre à faire le bien. »...
- Rencontre avec l’auteur (francophone) du roman « Bangkok Déluge », Pitchaya Sudbanthad « Bangkok Déluge » est à la fois un roman historique et d’anticipation dans lequel l’auteur francophone Pitchaya Sudbanthad dresse un magnifique portrait la capitale thaïlandaise menacée par les eaux. ...