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Manifestations pro-démocratie en Thaïlande : « Dans le passé, ça se serait sans doute très mal passé »

C’est le premier signe d’ouverture en Thaïlande. Le chef du gouvernement a décidé de lever l’état d’urgence renforcé, une décision vue comme un recul face aux manifestants pro-démocratie. Questions à Christine Cabasset, chercheuse à l’Institut de recherche sur l’Asie du Sud-Est contemporaine.

FRANCE INTER : Comment interpréter cette décision du pouvoir thaïlandais ?

CHRISTINE CABASSET : « C’est un recul, c’est certain. En même temps, même si des dizaines d’opposants et notamment des leaders du mouvement ont été arrêtés, emprisonnés, on peut noter une retenue de la part du gouvernement. J’en veux pour preuve ce qui s’est déroulé le 14 octobre, date de l’une des grosses manifestations de Bangkok durant laquelle le cortège royal s’est trouvé sur la route des manifestants.

Le cortège royal a été entouré à un moment donné par les manifestants qui ont jeté des invectives vis-à-vis de ce que représente la royauté et ont montré le fameux signe de ralliement des trois doigts levés. Et ça, c’est quelque chose d’impensable quand on connaît le contexte thaïlandais. Or, les forces de sécurité qui étaient sur place ont essayé de gérer au mieux la situation, mais il n’y a eu à aucun moment des violences physiques ou en tout cas, pas de grande ampleur. Donc, on peut noter une retenue à la fois du côté des opposants, mais aussi du côté du gouvernement. Suite à cette grosse manifestation, il y a eu un durcissement de la position du gouvernement, notamment avec la déclaration d’un état d’urgence renforcé qui empêchait par exemple les rassemblements de plus de quatre personnes. Renforcé puisque la Thaïlande vit sous état d’urgence depuis mars pour cause sanitaire.

Pour autant, l’état d’urgence renforcé n’a pas débouché sur la réduction de ce mouvement, au contraire. Dans le passé, ça se serait sans doute très, très mal passé, ce qui n’a pas été le cas du tout cette fois-ci. Nous allons voir ce sur quoi cela peut déboucher. Il s’agit d’un geste d’ouverture, d’autant plus que l’on s’oriente vers une session spéciale du Parlement la semaine prochaine, pour essayer de trouver les moyens de dialoguer entre les différentes forces politiques du pays. Tout cela semble aller dans le bon sens. »

Le gouvernement semble faire volte-face. Peut-on dire que les méthodes d’hier ne s’appliquent plus aujourd’hui ? 

« En effet, avec ce type de manifestants, les vieux rouages ou les vieilles recettes, que sont finalement la répression accrue envers les manifestants ou les réseaux sociaux qu’ils utilisent, ont beaucoup de mal à marcher. Ces manifestants sont très mobiles, très connectés, trouvent toujours des tas d’échappatoires pour poursuivre leur mouvement. Face à cela, les vieilles recettes ne fonctionnent plus comme elles ont fonctionné dans le passé. Il ne resterait donc que la violence physique. Or, encore une fois, le gouvernement, pour des raisons qui restent encore à éclaircir, ne souhaite pas manifestement aller jusque-là. »

Il y a eu quand même quelques violences vendredi dernier : les policiers ont utilisé la manière forte pour réprimer une manifestation. 

« Oui, bien sûr, ils ont utilisé des canons à eau. Mais bon, on est en Thaïlande ! Il y a eu dans le passé, malheureusement, des manières encore plus fortes pour essayer de régler un conflit, parfois sanglantes, alors que là, ça n’a pas été le cas. Cela reste mesuré par rapport aux dispositions qui pourraient être prises, des dispositions plus violentes. »

Les manifestants réclament la démission du premier ministre, le général Prayut Chan-O-Cha. Ils lui ont lancé un ultimatum hier et lui donnent trois jours pour le faire. Ça vous parait possible ?

« Ça ne me semble pas improbable. D’ailleurs, le général Prayut oscille entre des accès de dureté et des accès plus fréquents de relâchement ou de détente vis-à-vis des manifestants. A priori, il serait prêt à envisager sa démission. D’autres personnes très proches du premier cercle du pouvoir ne seraient pas, si j’ai bien compris, opposées non plus à sa démission puisqu’un homme fort est fort jusqu’à ce qu’on trouve finalement un autre compromis. Non, ça ne me semble pas inenvisageable. »

Peut-être poussé par le roi ? 

« Pour l’instant, il est assez difficile de dire quel est le rôle du roi. Est-ce qu’il agit sur la modération que prend la tournure des événements ? Est-ce qu’il agit pour maintenir au gouvernement le Premier ministre ? Il est difficile de le dire aujourd’hui. »

Par Valérie Crova – Radio France Inter – 23 Octobre 2020

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