Les K-pop et leurs réseaux sociaux électrisent les manifs en Thaïlande
Que ce soit pour récolter des dizaines de milliers d’euros pour les manifestants ou pour galvaniser la jeunesse thaïlandaise qui rejoint la contestation à grand renfort de danse et des réseaux sociaux, les fans de K-pop se révèlent comme une puissante force politique au sein du mouvement anti-gouvernemental en Thaïlande.
Il y a quelques mois, les fans de K-pop en avaient surpris plus d’un aux États-Unis en utilisant la puissance de leurs réseaux sociaux pour collecter des fonds en faveur du mouvement Black Lives Matter et saboter un rassemblement politique de la campagne électorale du président Donald Trump.
Mais en Thaïlande, les K-Pop font partie du paysage depuis un bon moment déjà. Et leur degré de soutien et d’implication dans le mouvement de protestation actuel traduit les frustrations d’une génération mécontente de voir à quel point les gens du gouvernement utilisent sans vergogne le pouvoir de l’État pour étouffer la dissidence.
« Les fans de K-pop aimeraient se contenter de jouer les ‘fangirls’ avec nos ‘oppas’ et n’avoir à se soucier de rien d’autre. Mais vu la situation de notre pays, nous, les citoyens, devons appeler à des choses meilleures », s’exclame Suphinchaya, 23 ans – « oppa » est un terme affectueux utilisé par les filles désignant des garçons plus âgés, le plus souvent les artistes masculins de K-pop, tandis que « Noona » est celui utilisé par les garçons à l’attention des filles.
Comme la plupart des manifestants thaïlandais qui s’expriment auprès des journalstes, Suphinchaya a refusé de donner son nom complet par peur de répercussions, compte tenu du sujet sensible de ce mouvement qui appelle entre autres à des réformes de la monarchie, du jamais vu depuis la révolution de 1932.
Majoritairement féminin et très habile avec les réseaux sociaux, le profil des fans de K-pop correspond à celui de nombreux manifestants, note Chayanit Choedthammatorn, une chercheuse thaïlandaise spécialisée sur les sujets liés à la Corée.
« Même s’ils sont fans de K-pop, ce sont d’abord des citoyens thaïlandais », souligne-t-elle.
L’appel à l’action le plus important a eu lieu lors de la manifestation du 16 octobre, lorsque la police a utilisé des canons à eau -une eau mélangée à des agents irritants- pour disperser des milliers de protestataires qui s’étaient rassemblés malgré un décret d’urgence renforcé imposé la veille pour mettre fin au mouvement demandant la démission du Premier ministre, une nouvelle Constitution et des réformes de la monarchie.
Loin du théâtre des manifestations, la jeune Areeya avait alors lancé un sondage Twitter depuis son groupe de fans des Girls ‘Generation regroupant plus de 17.500 abonné(e)s pour voir si ses fans aideraient à financer la cause.
Les résultats se sont révélés extrêmement positifs, affirme-t-elle, car les fans de K-pop n’étaient pas étrangers aux campagnes flash de financement – les utilisant auparavant pour acheter des publicités dans les espaces publics en vue de célébrer les anniversaires ou les sorties d’albums de leurs artistes bien-aimés.
« De nombreuses personnes ont été ulcérées par la répression et la violence policière contre des manifestants non armés ce jour-là. Elles ont transformé cette colère en dons d’argent », explique Areeya, 23 ans.
En seulement neuf heures, les fans thaïlandais(es) du groupe, qui se faisaient appeler SONE, ont collecté plus de 780.000 bahts (21.500 euros), tout comme l’ont fait d’autres fandoms (bases de fans) thaïlandaises de K-pop qui ont toutes ensemble collecté plus de 4 millions de bahts (environ 110.000 euros) cette semaine-là.
Areeya et son groupe ont coordonné les achats d’équipements de protection tels que des casques et des lunettes, organisé les livraisons sur les sites de protestation puis ont tout enregistré par souci de transparence.
La plus grande partie des dons est allée à l’ONG Thai Lawyers for Human Rights, une organisation d’avocats à but non lucratif qui a fourni jusqu’ici une assistance juridique pro bono à plus de 90 manifestants arrêtés depuis la mi-octobre.
Expérience politique coréenne
Les fans thaïlandais des plus grands noms de la K-pop tels que BTS, Super Junior, EXO, Blackpink et SHINee se sont également mobilisés – les labels des artistes, SM Entertainment, Big Hit Entertainment et YG Entertainment, n’ont pas immédiatement répondu aux demandes de réaction de Reuters.
« Nous sommes fier(e)s de soutenir la cause en laquelle nous croyons, au nom de quelqu’un que nous aimons », confie Jan, 27 ans, qui a recueilli plus de 700.000 bahts (19.250 €) avec le fandom de Super Junior, E.L.F., en seulement 22 heures.
Thai Lawyers for Human Rights a indiqué à Reuters que les dons avaient soudainement grimpé en flèche.
« Nous nous retrouvons tout d’un coup avec plus de 10 millions de bahts (275.146 €) sur notre compte bancaire », a déclaré le directeur Yaowalak Anuphan. « Je suis stupéfait par les fans de K-pop. »
Sur les réseaux sociaux, les comptes de fans de K-pop, qui étaient jusque-là rivés sur l’actualité de leurs artistes préférés, sont devenus politiques – faisant la promotion de mots-dièse liés à la contestation et sapant les hashtags pro-royalistes avec des messages sarcastiques et des expressions tirées de l’argot K-pop.
Dans les manifestations, les fans de K-pop sont facilement identifiables lorsqu’ils agitent des panneaux LED et des bâtons lumineux, comme ils le font habituellement en concert, et brandissent des images encadrées d’or représentant leurs idoles, en référence aux portraits des membres de la famille royale thaïlandaise.
La connaissance qu’ont les fans de l’expérience de la Corée du Sud et le rôle joué par la culture pop dans les récentes manifestations a également été une source d’inspiration.
Natchapol Chaloeykul a dansé lors des récentes manifestations au son de « Into the New World » de Girls ‘Generation – la chanson chantée lors de rassemblements d’étudiants qui avait conduit en 2017 à la destitution de l’ancien président sud-coréen Park Geun-hye.
« Les fans de K-pop lisent des informations sur la Corée du Sud, et quand nous regardons ensuite notre pays, nous nous demandons pourquoi nous ne pouvons pas en être là où ils sont », s’interroge le jeune homme de 24 ans.
« Comme dans la chanson, nous voulons aussi de nouvelles choses pour notre pays. »
LePetitjournal.com avec Reuters – 6 Novembre 2020
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