En Birmanie, la mobilisation contre la junte se propage hors des grandes villes
L’ONU appelle les États à réagir avant que l’engrenage de la guerre civile ne devienne irréversible.
Les traditionnelles batailles d’eau du festival de Thingyan, le Nouvel An bouddhique, n’ont pas eu lieu. Déjà annulées l’année dernière pour cause de pandémie de Covid-19, les célébrations de la principale fête religieuse en Birmanie, entamées hier, sont cette année encore l’ombre d’elles-mêmes. Cette fois-ci, pour cause de coup d’État.
Plus de deux mois après la prise de pouvoir par le général Min Aung Hlaing, quelques milliers de Birmans sont à nouveau descendus dans les rues mardi pour montrer leur opposition à la junte militaire. Les cortèges, moins garnis qu’aux premières heures des manifestations prodémocratie, avaient pour but premier de ne pas laisser s’essouffler le mouvement de désobéissance civile, au cours de ces cinq jours d’habituelles célébrations. « Il faut qu’il y ait un Thingyan révolutionnaire », appelait de ses vœux Ei Thinzar Maung, l’une des figures de proue du mouvement de contestation. Faisant toujours preuve d’une ingéniosité sans pareille, de nombreux manifestants ont peint une main levant les trois doigts centraux, symbole du mouvement anti-coup d’État, sur les pots de fleurs traditionnellement utilisés pour les festivités.
700 morts
Malgré cette mobilisation continue, rien ne semble pouvoir empêcher la Birmanie de s’enfoncer dans le chaos. La répression violente menée par Tatmadaw (surnom des forces armées birmanes), sort désormais des zones urbaines, où elle s’était jusqu’ici concentrée, et s’invite hors des principales agglomérations. Vendredi dernier, des manifestations ont ainsi viré au bain de sang dans la ville de Pégou, à une centaine de kilomètres de la capitale économique Rangoun. 82 personnes y ont perdu la vie, faisant de cette journée l’une des plus sanglantes depuis le coup d’État. Selon l’Association d’assistance aux prisonniers politiques, la répression sans merci des forces armées a fait plus de 700 morts, dont 50 enfants, et conduit quelque 3. 000 personnes en détention.
De même, la tension monte dans les provinces frontalières, berceau des minorités ethniques et de leurs groupes armés. Nombre d’entre eux, dont la puissante Armée de libération nationale karen (sud-est), ont rompu l’accord national de cessez-le-feu signé en 2015 avec l’armée, dénonçant la répression violente à l’encontre de civils. Samedi, l’Alliance de la fraternité, rassemblant trois groupes armés d’importance, s’est emparée d’un poste de police dans l’État shan (est), tuant au moins dix policiers. Plus au nord, dans l’État de Kachin, trois civils ont trouvé la mort lors d’échauffourées entre l’armée birmane et l’armée de l’indépendance du Kachin.
Dans ce contexte d’aller simple vers la guerre civile, il n’y a a priori rien à attendre du pouvoir judiciaire, entièrement contrôlé par la junte. Vendredi, la chaîne d’État MRTV a annoncé en direct la condamnation à mort de 19 personnes, dont 17 par contumace pour vols ou meurtres. Une première depuis le coup d’État du 1er février.
Après de multiples reports, l’ancienne chef de fait du gouvernement, désormais déchue, Aung San Suu Kyi, a comparu lundi à Naypyidaw. Elle est poursuivie pour au moins cinq motifs, dont violation d’une loi sur les secrets d’État datant de l’époque coloniale. Elle encourt jusqu’à quatorze ans de réclusion.
Malgré des sanctions économiques prises par les États-Unis, l’Union européenne et le Royaume-Uni ces dernières semaines, la réaction de la communauté internationale tarde à venir. « Je crains que la situation en Birmanie ne se dirige vers un conflit généralisé, a déclaré la haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Michelle Bachelet. Les États ne doivent pas permettre que les erreurs fatales qui ont été commises en Syrie (…) se répètent », a-t-elle ajouté, rappelant que les manifestations réprimées dans le sang y ont mené à une guerre civile qui dure depuis dix ans.
Par François Camps – Le Figaro – 13 avril 2021
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