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En Birmanie, le sacrifice de la jeunesse face au coup d’État

Il y a cent jours, l’armée birmane effectuait un nouveau coup d’État. Depuis, la répression a déjà fait près de 800 morts et plus de 3 000 arrestations. En dépit de cette atmosphère de terreur, des centaines de milliers de jeunes continuent de manifester avec courage et détermination.

« Les militaires sont des terroristes qui tuent tout le monde, aveuglément, sans distinction, des vieux, des jeunes, des hommes, des femmes et des enfants… » La ligne téléphonique grésille, et la voix de Maung Maung, jeune interne en médecine de 22 ans à Mandalay, s’éloigne, se rapproche à nouveau… À l’image d’une Birmanie qui vacille mais résiste toujours.

La fragile connexion Internet est sur le point d’agoniser puis renaît : « Nous n’accepterons jamais que cette junte illégitime nous prive de démocratie » … nouvelle coupure… « Nous irons jusqu’au bout, jusqu’à la mort » … Bip, bip, bip…

Pour renouer le contact, il faudra attendre le lendemain en pleine nuit lorsque le réseau reprendra vie. On sent alors, dans la voix de cette fille de petits commerçants de la seconde plus grande ville du pays, la détermination d’une jeunesse birmane bien décidée à poursuivre la résistance. Elle joue en effet un rôle prépondérant dans les manifestations qui se poursuivent encore à Rangoun, Mandalay, Bago et dans les provinces ethniques du nord du pays.

Retour à la case « dictature militaire »

Depuis le putsch militaire mené le 1er février 2021 par le général Min Aung Hlaing, trois mois après que son camp eut perdu des élections législatives, le destin de la Birmanie a basculé. Retour à la case « dictature militaire » que le pays a connue pendant plus d’un demi-siècle depuis son indépendance des Anglais en 1948.

Dans la capitale politique Naypyidaw, les blindés militaires ont encerclé le Parlement qui allait se réunir pour la première fois depuis le scrutin. De nombreux députés sont arrêtés et placés en résidence surveillée. La leader Aung San Suu Kyi, faussement accusée de malversations, n’y échappera pas. Elle attend aujourd’hui d’être « jugée ».

Les rêves de démocratie qui se concrétisaient timidement depuis le retour à un régime civil en 2012 se sont effondrés du jour au lendemain. « Lorsque j’ai entendu la nouvelle du coup d’État, se souvient Maung Zarni, exilé politique birman à Londres depuis des années pour éviter d’être tué en Birmanie, j’ai tout de suite compris que nous allions à nouveau devoir livrer un combat de longue haleine pour déloger ces voleurs de démocratie. »

Les vieux militants politiques ayant participé aux manifestations sanglantes de 1988 contre l’armée, qui avaient fait plus de 3 000 morts, ont vu remonter le cauchemar de cette répression. Les jeunes en revanche, libérés du fardeau tragique du passé, n’ont pas hésité une seconde.

La jeunesse en première ligne

« Mon téléphone a bipé sans cesse ce jour-là », se souvient Zo Maw, étudiant en droit, à peine sorti du lycée l’année précédente. « Sans hésiter, avec les copains et copines on s’est tous retrouvés dans les grosses manifestations dès le début à Rangoun. » Si les premiers manifestants étaient des médecins, fonctionnaires, avocats, professeurs… le gros des troupes fut et est toujours, en dépit des 900 morts et 3 000 arrestations à ce jour, les jeunes : collégiens, lycéens, étudiants et jeunes travailleurs.

« Cette dimension générationnelle a émergé très vite », souligne un ingénieur européen qui vit depuis de longues années en Birmanie. « Pour tous ces jeunes qui avaient goûté au bonheur de la liberté et de la démocratie depuis dix ans, il était hors de question de vivre dans un monde dominé par les militaires. »

La force de ce qu’on appelle la « Génération Z », âgée de 17 à 30 ans, née avec un téléphone portable en main, connectée aux réseaux sociaux entre jeunes mais aussi avec le monde entier, sans idéologie politique particulière, est assurément, selon Thu Rein, professeur à Rangoun, « son énergie, son insouciance mais aussi sa détermination à refuser l’oppression. Ils veulent la justice car ils ne supportent pas l’injustice. »

« Je sais que je risque ma vie »

Ils se sont d’ailleurs clairement inspirés des manifestants hongkongais et thaïlandais qui eux aussi revendiquent la démocratie et la liberté face à un pouvoir autoritaire. Les stratégies de défense durant les manifestations viennent de Hong Kong avec leurs casques de chantier sur la tête, les masques à gaz, les boucliers, les lance-pierres et les cocktails Molotov. Comme à Hong Kong, ils refusent le moindre leadership personnalisé. Le geste de la main levée avec trois doigts (inspiré de la série américaine Hunger Games), lancé en Thaïlande par les jeunes antimonarchistes, a été repris.

« C’est une jeunesse mondialisée, assure Frédéric Debomy, spécialiste de la Birmanie et ancien directeur de l’association Info Birmanie à Paris. Elle a pris son autonomie par rapport à la société traditionnelle birmane. » On le voit dans l’engagement des filles en première ligne ou dans les guérillas ethniques dans les provinces. Elles représentent « 60 % des manifestants », assure Maung Zarni. Notre étudiante en médecine, Maung Maung, a entraîné toutes ses copines d’université avec elle, pour manifester comme pour soigner les blessés. Sur un pied d’égalité avec les garçons.

Ei Thinzar Maung, 26 ans, militante des droits de l’homme en faveur des musulmans rohingyas en 2017, est entrée dans le gouvernement d’unité nationale fondé en secret en avril. « Je sais que je risque ma vie et que je serai tuée si les soldats m’arrêtent mais je ne peux laisser ma peur m’empêcher d’agir alors que des millions risquent également leur vie », a-t-elle déclaré il y a quelques jours depuis son refuge clandestin. « D’origine kachin, femme et jeune ! On lui a fait une place dans le monde politique, c’est encourageant pour l’avenir », se réjouit Frédéric Debomy.

Des jeunes de 14 et 16 ans tués par des snipers

Autre détail important, dans les manifestations les affiches sont rédigées en… anglais, afin que les messages traversent les frontières en direction des journalistes étrangers et de la communauté internationale. Un peu naïvement d’ailleurs car ils espéraient que l’Europe, les États-Unis et l’ONU envoient des troupes pour renverser les militaires birmans qui les massacrent. Mais ils comprennent aujourd’hui qu’ils ne peuvent compter que sur leur propre force intérieure.

Alors, courageux ou inconscients, ces milliers de jeunes Birmans qui se battent à mains nues contre des fusils, des tanks et chasseurs MIG-29 russes ? « Ils sont 200 % courageux », lâche Thu Rein, « ils savent qu’ils n’ont pas le choix ». Ils incarnent une résistance presque sacrificielle tant les forces en présence sont disproportionnées. Des jeunes de 14 et 16 ans ont été tués par des snipers. Les images crues de ces jeunes victimes ont fait le tour des réseaux sociaux, appelant encore et toujours à la rébellion permanente.

Selon un ingénieur qui a passé des journées dans les rues de Rangoun avec eux, « ils savent très bien ce qu’ils font en surfant sur cette vague de folie meurtrière qui risque de les détruire mais ils se sentent pris en otages. On leur vole leur futur et ils vivent aujourd’hui dans le “rien à perdre” ». Même la vie.

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Un bilan tragique depuis le coup d’État

La Birmanie est plongée dans le chaos depuis le putsch du 1er février dernier. Le mouvement de désobéissance civile est depuis sévèrement réprimé dans tout le pays par les militaires et les forces de sécurité.

Selon l’Association d’assistance aux prisonniers politiques (AAPP), plus de 800 personnes ont été tuées, beaucoup de jeunes et très jeunes (âgés de moins de 16 ans) dans les deux grandes villes Rangoun et Mandalay mais aussi dans les provinces des ethnies Shan, Karen et Kachin.

L’AAPP a enregistré plus de 3 000 arrestations dans tous les secteurs de la société mais de nombreux étudiants sont emprisonnés dans la terrible prison d’Insein à Rangoun.

Des dizaines de députés du parti de la Prix Nobel Aung San Suu Kyi, élus en novembre 2020, ont aussi été jetés en prison dans les jours qui ont suivi le coup d’État.

L’ONU a dénombré près d’un demi-million de Birmans déplacés à cause de la répression, à l’intérieur même de la Birmanie mais aussi vers l’Inde, la Thaïlande et le Bangladesh.

Par Dorian Malovic – La Croix – 13 mai 2021

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