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Apichatpong Weerasethakul, l’artiste thaïlandais à la conquête de Cannes et de nos imaginaires

Il a la réputation d’être le magicien de l’âme et de l’invisible dans l’univers du cinéma. Après une Palme d’or en 2010, l’artiste et réalisateur thaïlandais Apichatpong Weerasethakul, 50 ans, est à partir du 6 juillet de nouveau en compétition au Festival de Cannes avec Memoria.

À l’occasion de la grande monographie Periphery of the Night qui vient d’ouvrir ses portes à l’Institut d’Art Contemporain de Villeurbanne, il nous a confié comment naissent ses idées et surgissent ses images.

RFI : Pour apprécier vos créations et vos films, est-ce plus important de les regarder ou de les sentir ?

Apichatpong Weerasethakul Vous pouvez faire ce que vous voulez. L’important, c’est ça : la liberté. Bien sûr, cela se passe à l’intérieur du cadre de l’écran, et à l’intérieur du cadre de votre tête. Vous pouvez le synchroniser ou vous pouvez simplement rêver de quelque chose.

Vous êtes né en Thaïlande où vous habitez et travaillez en tant que réalisateur de films expérimentaux. Quand vous parlez de « périphérie », qu’est-ce que cela veut dire ?

C’est une frontière ou quelque chose dans notre esprit par rapport à l’existence de l’entre-deux-choses ou l’entre-deux-états : le jour et la nuit, le conscient et l’inconscient, la vie et la mort. Et parfois, il n’y a pas de ligne de frontière. Cette exposition est un va-et-vient sous forme d’une interrogation sur ce sujet. Cela concerne notre manière de vivre et notre conscience par rapport à cette question à laquelle nous sommes tout le temps confrontés. Il y a, par exemple, cette peur de traverser, de franchir des choses, et la peur de la mort.

Dans votre travail, la nuit est omniprésente. Quelle est pour vous sa plus importante caractéristique ?

L’obscurité nous permet de ne pas voir. La nuit nous permet d’imaginer. Cela me rappelle quand j’étais plus jeune et que je me promenais avec une lampe torche illuminant le sol, les arbres… Alors vous voyez certaines choses et vous imaginez ce qui se trouve dans l’obscurité. Dans la vie, c’est souvent la façon d’aborder les choses, en utilisant simplement votre intuition. Laissez simplement le cerveau sentir pour vous.

L’exposition passe en revue vos œuvres des derniers vingt ans. Dans chaque installation ou film, il y a quelque chose de différent qui nous attire : une émotion, une couleur, un éclair. Qu’est-ce qui nous attend dans votre nouvelle création, Durmiente, une vidéo de 11 minutes, avec Tilda Swinton, tournée en 2021 ?

L’œuvre nous parle de la périphérie. Il montre le simple geste de s’allonger et de s’endormir. Il y a une interaction avec async-first light, une vidéo de 2017, projetée comme un diptyque. La nouvelle pièce interagit avec des images et des personnes qui dorment dans le deuxième écran. Dans Durmiente, une personne [Tilda Swinton] ferme très lentement les yeux et s’endort. À l’image du soleil qui disparaît et la chambre qui s’assombrit. Elle « traverse » la frontière et vit entre les deux. C’est ça mon idée.

Dans Memoria, le film que vous allez présenter en compétition au Festival de Cannes, Tilda Swinton joue également le rôle principal, aux côtés de Jeanne Balibar, deux actrices très connues. Depuis votre Palme d’or pour Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures en 2010 à Memoria, en lice pour la Palme d’or 2021, qu’est-ce qui a changé dans votre façon de faire des films ?

Je pensais que beaucoup de choses allaient changer, mais, en fait, elles n’ont pas changé tant que ça. Même si le nouveau film a une culture et une langue différentes, des membres d’équipe différents, il y a toujours une disponibilité et une compréhension indicible par rapport au type de cinéma que nous faisions en équipe, cette fois-ci en Colombie. C’était aussi le cas avec Tilda et Jeanne. C’est comme si nous parlions le même rythme. Donc, pour moi, cela n’a pas tellement changé, sauf que j’ai peut-être une nouvelle sorte d’amour pour un univers plus grand, avec plus de membres. Dans l’exposition, vous remarquerez qu’il s’agit en fait d’un mode d’expression similaire, mais avec de nouveaux membres.

Qu’est-ce qui déclenche chez vous l’envie de faire un nouveau film ?

Mon cerveau. Sa capacité d’attraper des choses. Parfois, c’est si beau. Par exemple avec certains types de rêves ou d’événements qui se produisent. J’ai aussi toujours une petite caméra avec moi pour capturer les choses. Ce genre de choses m’ont mené à faire ces œuvres que vous pouvez voir dans l’exposition. Beaucoup d’entre elles ont été créées de cette façon.

L’industrie du cinéma a beaucoup changé ces dernières années, avec le succès planétaire des plateformes comme Netflix, Amazon ou Disney, mais aussi avec les réseaux sociaux comme YouTube ou Instagram. Quand vous faites un film aujourd’hui, que recherchez-vous ? L’impact et le rôle de l’image en mouvement et le rôle du spectateur ont-ils changé ?

Je ne sais pas. Dire cela semble un peu contradictoire, car un film est destiné à être partagé et projeté. Mais je l’ai vraiment fait juste pour avoir un souvenir personnel et aussi pour expérimenter. En ce qui concerne le spectateur, je n’ai vraiment aucune attente. C’est cela ce que signifie quand je vous dis : vous entrez et vous êtes libre. Vous pouvez faire des interprétations ou même dormir. Cela ne me dérange pas.

Periphery of the Night, exposition d’Apichatpong Weerasethakul à l’Institut d’Art Contemporain (IAC) à Villeurbanne/Rhône-Alpes, du 2 juillet jusqu’au 28 novembre 2021.

► Apichatpong Weerasethakul présentera la première mondiale de son nouveau film Memoria, avec Tilda Swinton et Jeanne Balibar, le 15 juillet en compétition officielle du Festival de Cannes. La sortie en salles en France est prévue le 17 novembre 2021.

Par Siegfried Forster – Radio France Internationale – 4 juillet 2021

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