Telenor va-t-il quitter la Birmanie ?
L’opérateur de télécommunications norvégien Telenor a annoncé le 2 juin dernier que « au regard de la situation en Birmanie, le groupe Telenor est en cours d’évaluation de différentes options concernant sa présence dans le pays ».
La veille, des informations avaient filtré que la société norvégienne avait engagé la banque d’investissement Citi afin de prospecter pour une éventuelle vente. Telenor est l’un des principaux investisseurs étrangers en Birmanie, en tête des entreprises privées étrangères en termes d’impôts commerciaux en 2019.
Le 4 mai dernier, l’entreprise de télécom avait dû déprécier la valeur de sa filiale birmane, l’équivalent de 782 millions de dollars, « en raison de la dégradation des perspectives de l’environnement économique et commercial et de la détérioration de la situation en matière de sécurité et de droits de l’homme, avec des perspectives d’amélioration limitées », selon son communiqué de presse. Une dépréciation qui a contribué à ce que le groupe norvégien enregistre une perte nette de l’ordre de 390 millions d’euros pour le premier trimestre 2021, contre un bénéfice d’environ 70 millions d’euros un an plus tôt. La filiale birmane comptait pour 7% des bénéfices de Telenor en 2020. A l’époque, le PDG de Telenor avait expliqué « que les opérations en Birmanie se poursuivaient et que la présence future de l’entreprise dépendrait de l’évolution de la situation dans le pays et de sa capacité à apporter une contribution positive à la population locale », ajoutant qu’opérer en Birmanie est « un acte d’équilibre avec plusieurs dilemmes », comme la sécurité des employés, le maintien des opérations, le soutien à la liberté d’expression. Un dilemme qui ressemble à celui de Total et que la réponse simpliste « Quittez le pays ! » ne résout en rien.
Des logiciels espions d’interception obligatoires
Car Telenor reste la seule entreprise de télécommunication en Birmanie qui provienne d’un pays démocratique. Ses trois concurrents sont en effet la locale MPT, détenue par l’Etat birman et numéro 1 du secteur aujourd’hui, les qataris d’Ooredoo, numéro 3, et le joint-venture Mytel, appartenant à des entreprises des armées birmanes et vietnamiennes. Les gouvernements birman, qatari et vietnamien n’étant pas des parangons des droits Humains et de la liberté d’expression, Telenor reste à ce jour la seule option pour ceux qui veulent communiquer sans être trop surveillés. Le départ de Telenor serait donc une catastrophe pour la population.
Certes, si les Norvégiens décidaient de se retirer, leur licence trouverait repreneur. Probablement par un opérateur chinois ou russe, ce qui ne serait guère encourageant en matière de respect de la vie privée et de protection des droits de l’homme. Le 4 mai, le PDG de Telenor avait expliqué qu’il croyait que son entreprise « faisait une différence lorsqu’elle maintenait ses opérations en cours ». Surtout dans un pays où les lignes fixes ne sont pas courantes.
Telenor a obtenu sa licence de télécommunication en Birmanie en 2013 et a lancé son activité l’année suivante. Elle compte un peu plus de 18 millions d’abonnés aujourd’hui dans le pays. Les restrictions sur l’usage de la téléphonie mobile et d’internet d’abord dans l’Arakan puis dans tout le pays à partir de février 2021 et de la prise du pouvoir par des militaires a considérablement impacté ses activités.
La dépréciation de sa filiale birmane place Telenor parmi une série d’investisseurs internationaux contraints de réévaluer leurs opérations dans ce pays. Comme le confie un analyste économique au journal japonais Nikkei Asia, « le fait que Telenor, qui n’a cessé de développer ses activités au Myanmar, a finalement reconnu cette perte de valeur de sa filiale pourrait inciter d’autres entreprises étrangères à suivre cet exemple. Cela ne signifie pas que les Norvégiens ont fait une croix sur la Birmanie mais plutôt que désormais ils peuvent agir en toute liberté dans cette incertitude ».
Une liberté qui pourrait être rapidement utile puisque selon l’Asia News Network, Ann, une association de médias asiatiques, « les cadres supérieurs étrangers des principales entreprises de télécommunications du Myanmar ont été informés par l’armée au pouvoir qu’ils ne devaient pas quitter le pays sans autorisation ». Un ordre confidentiel datant de la mi-juin. Une semaine plus tard, les opérateurs de télécommunications ont reçu une deuxième lettre leur indiquant qu’elles avaient jusqu’à hier pour mettre pleinement en œuvre « la technologie d’interception » qu’on leur avait précédemment demandé d’installer pour permettre aux autorités d’espionner les appels, les messages et le trafic web et de suivre les utilisateurs par eux-mêmes, toujours selon Ann. Qui précise que « plusieurs mois avant la prise de contrôle du 1er février, les fournisseurs de services de télécommunications et d’Internet ont reçu l’ordre d’installer des logiciels espions d’interception pour permettre à l’armée d’écouter les communications des citoyens » et que Telenor comme Ooredoo ne s’y étaient pas encore conformés entièrement.
Lepetitjournal.com – 5 juillet 2021
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