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Thaïlande : les travailleurs du sexe paient encore les conséquences de la crise du Covid

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En Thaïlande, les travailleurs du sexe ont été parmi les plus touchés par les conséquences de l’épidémie de Covid-19. Ils ne bénéficient que de peu d’aide de la part du gouvernement alors que leur activité rapporte au pays plus de 6,4 milliards de dollars par an.

En janvier 2020, la Thaïlande a été le premier pays du monde à annoncer avoir dépisté un cas de Covid-19 sur son territoire, peu de temps après la Chine. En avril de la même année, l’état d’urgence était déclenché par le gouvernement thaïlandais qui a imposé couvre-feu, restriction de circulations et, surtout, suspension des vols commerciaux internationaux. Des mesures qui ont fortement affecté l’économie du pays avec une perte de 6,1 points de PIB pour l’année 2020 selon les chiffres du Fonds monétaire international (FMI), soit le plus fort recul depuis la crise économique asiatique de 1997.

Parmi les plus affectés par cette crise en Thaïlande, on compte les professionnels du tourisme dont dépendent largement l’activité économique du pays mais aussi les populations les plus vulnérables comme les 144 000 travailleurs et travailleuses du sexe du pays. Un chiffre par ailleurs largement sous-estimé, selon les organisations locales qui les estiment à plus de 200 000. Pour cette catégorie de la population, la fermeture des 23 000 « lieux de divertissement » dans lesquels on pouvait les trouver a signifié une perte totale de leurs revenus du jour au lendemain. Avec, comme conséquence directe, une précarisation qui s’est encore accentuée.

Surang Janyam, directrice de l’ONG Service Workers in Group (SWING) résume la situation à la chaîne singapourienne Channel News Asia (CNA) en ces termes : « Des centaines de milliers de personnes travaillant comme travailleurs du sexe pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille se sont soudainement retrouvées sans emploi. Cela fait maintenant plus d’un an que l’État ne s’occupe pas d’elles et qu’elles ne reçoivent aucune aide financière. »

PEU D’ALLOCATIONS-CHÔMAGE

Un constat que partage l’ONG Empower qui milite pour les droits des travailleurs du sexe depuis plus de trente ans. L’organisation, qui compte plus de 50 000 adhérents à travers la Thaïlande, explique à Marianne que « seuls 25 % des travailleurs du sexe ont pu accéder aux allocations-chômage ». Comme le travail du sexe reste illégal dans le pays, impossible pour eux de bénéficier du système de sécurité sociale thaïlandais. Les programmes d’aide lancés par le gouvernement thaïlandais n’ont, eux, « couvert que 180 jours dans le meilleur des cas », selon Empower. « Cela fait plus de 300 jours que le gouvernement a fermé nos lieux de travail, nous avons épuisé la plupart ou la totalité de nos économies, mis en gage tout ce qui avait de la valeur et réduit les dépenses partout où nous le pouvions » précise Arsio Lechoe, travailleuse du sexe et membre de l’ONG.

Cette précarisation n’affecte pas que les travailleurs du sexe mais aussi leur entourage. Comme le souligne l’ONG Empower, « une large majorité » de ces professionnels sont des femmes ayant à charge des enfants mais qui sont également le « principal soutien financier » de « 5 à 8 autres adultes dans la famille élargie ».

18 % DES TRAVAILLEURS À LA RUE

Pour mettre des chiffres sur cette réalité, un sondage mené auprès de 255 travailleurs du sexe a été conduit par SWING peu après l’instauration des mesures visant à limiter la propagation du Covid-19 en 2020. Il concluait que 75 % des sondés ne gagnaient plus assez d’argent pour couvrir leurs dépenses quotidiennes. De plus, 66 % assuraient ne plus pouvoir couvrir les dépenses de première nécessité et 43 % n’avaient même plus les moyens de rentrer dans leur ville natale retrouver leurs familles. Plus inquiétant encore, 18 % d’entre eux ont déclaré avoir dû quitter leur logement et n’avoir plus nulle part où vivre.

Leur activité habituelle étant devenue impossible, les travailleurs et travailleuses du sexe font depuis « tout ce qu’elles peuvent trouver comme travail » explique Arsio Lechoe. « Nous travaillons dans le bâtiment, nous sommes pompistes, nous faisons du nettoyage et nous vendons des produits ou de la nourriture en ligne » détaille-t-elle.

Une situation qui a poussé une large partie des travailleurs et travailleuses du sexe à aller exporter leur activité directement dans les rues, loin de la protection que pouvaient offrir les établissements dans lesquels on pouvait les trouver avant la crise du coronavirus.

DIFFICILE ACCÈS AUX SOINS

Au-delà de l’aspect économique, la pandémie de Covid-19 a également affecté les travailleurs du sexe dans l’accès aux soins, notamment « sur la prestation et l’accès aux services liés au VIH » explique à Marianne le bureau thaïlandais du Programme commun des Nations Unies sur le sida (UNAIDS). « Le nombre de clients effectuant des tests du VIH et des IST dans les principaux centres de dépistage a diminué de 50 à 75 % » détaille l’organisme. Une baisse de fréquentation qui se justifie, en outre, par la crainte de contracter le Covid-19 en se rendant dans les cliniques.

Pire, la pandémie a aussi rendu bien plus difficile l’accès aux soins pour les travailleurs du sexe ayant contracté le virus du Sida, comme le révèle le sondage de SWING. Un constat que vient confirmer l’agence onusienne UNAIDS. Selon ses informations, entre mars et juin 2020, 40 % de leurs 86 bureaux ont indiqué que les services de lutte contre le VIH destinés aux professionnels du sexe ont été perturbés par les mesures de lutte contre la pandémie.

APPEL À LA LÉGALISATION

Face à cette crise, les travailleurs du sexe n’ont pu souvent compter que sur les ONG comme Empower ou SWING. Distributions de denrées alimentaires et de kits d’hygiène, suivi des personnes ayant besoin d’attention médicale ou encore hébergement d’urgence : les organisations communautaires se sont révélées essentielles pour fournir une aide d’urgence face à la crise du Covid-19.

En seulement trois mois, SWING a, par exemple, distribué des dizaines de milliers de repas et kits d’hygiène dans les rues de Bangkok et Pattaya, dans l’est du pays. Elle a aussi noué un partenariat avec un hôpital public de la capitale pour inciter les travailleurs du sexe à faire des tests de dépistages du Covid-19, tout en proposant dans la foulée des tests de dépistage des maladies sexuellement transmissibles.

Pour éviter qu’une telle crise se reproduire à l’avenir, les chercheurs qui s’expriment dans la revue de l’OMS estiment unanimement que « l’absence de protection sociale pour les travailleurs du sexe en Thaïlande devra être résolue ». Le moyen le plus simple pour y parvenir serait alors de décriminaliser le travail du sexe en Thaïlande. Une requête formulée par les ONG depuis des années, bien avant la crise du Covid-19. « Il n’y a pas de vaccin contre la pauvreté et l’injustice. Outre la nécessité urgente d’abroger la loi sur la prostitution pour que les travailleurs du sexe puissent bénéficier de leurs droits, nous avons besoin de changements structurels » conclut Thanta Laovilyawanyakul, travailleuse du sexe et coordinatrice de la fondation Empower.

Par Nicolas Quenel – Marianne – 25 août 2021

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