Le Mékong et la diplomatie de l’eau, un enjeu crucial pour l’Indochine
Notre chroniqueur Ioan Voicu s’interroge dans cette nouvelle analyse sur l’impact de la diplomatie de l’eau et de la Commission du fleuve Mékong.
Une diplomatie décisive pour les pays riverains de ce fleuve nourricier. Il n’existe pas de définition universellement acceptée de la diplomatie de l’eau. La Société française pour le droit international a organisé en 2010 une rencontre académique sur un thème novateur : L’eau en droit international au cours de laquelle de nombreux aspects liés à la diplomatie de l’eau ont été analysés.
Une chronique géopolitique de Ioan Voicu, ancien Ambassadeur de Roumanie en Thaïlande, professeur invité à l’Université de l’Assomption (Bangkok)
Historiquement, il est utile de rappeler que la Commission centrale pour la navigation du Rhin était prévue par l’Acte final du Congrès de Vienne de 1815 et a été convoquée pour la première fois en 1816, étant présentée dans la doctrine comme la première organisation internationale capable de pratiquer la diplomatie de l’eau.
Une organisation originale
En Asie, la réalité de la diplomatie de l’eau est illustrée par la Commission du fleuve Mékong (Mekong River Commission – MRC), qui est une organisation intergouvernementale créée en 1995 pour le dialogue et la coopération régionales dans le bassin inférieur du fleuve Mékong. Sur la base de l’Accord du Mékong entre le Cambodge, le Laos, la Thaïlande et le Vietnam, la MRC sert de plate-forme régionale pour la diplomatie de l’eau, ainsi que de pôle de connaissances sur la gestion des ressources en eau pour le développement durable de la région. La Chine et le Myanmar ont rejoint la MRC en 1996, en qualité d’observateurs. La diplomatie de l’eau est pour les membres de la MRC un élément clé afin d’éviter les conflits entre les États riverains du bassin du Mékong.
Le bassin du Mékong a 4 350 km de longueur dont près de la moitié en Chine où il prend sa source dans la chaîne de l’Himalaya. 6 pays traversés : Chine, Myanmar, Laos, Thaïlande, Cambodge, Vietnam. Un bassin-versant de 795 000 km2.
On estime que 250 millions de personnes dépendant du fleuve pour leur alimentation, le transport et l’énergie.
Conformément aux évaluations faites par la MRC elle-même, malgré les difficultés qu’il rencontre, le Mékong a la chance de pouvoir compter sur la MRC agissant comme une plateforme de diplomatie de l’eau raisonnablement efficace pour des pays qui étaient historiquement des nations en guerre ; et tout cela, sans compter les interventions des superpuissances. La MRC a pu mener sa « diplomatie de l’eau » grâce à un certain nombre d’éléments : le cadre juridique clair, l’Accord du Mékong et ses procédures, dans lequel elle opère ; les mécanismes et processus institutionnels légitimes qui rassemblent les pays, engagent les partenaires et les parties prenantes et facilitent les accords ; la vision et la gestion stratégique du bassin, la stratégie de développement du bassin, qui vont au-delà des intérêts nationaux ; et enfin les directives techniques, par exemple, le Guide de conception préliminaire des barrages principaux, fondés sur la science.
Le mois d’août 2021 est très important dans l’histoire de la MRC. Deux événements diplomatiques importants ont eu lieu à Vientiane, au Laos, siège de la MRC. Ces événements n’ont pas été médiatisés par les médias grand public.
Les Amis du Mékong
Le 19 août 2021, un communiqué de presse conjoint des Amis du Mékong « Récupération et résilience » a été publié par le Département d’État des États-Unis. Il s’agissait d’une Réunion Ministérielle qui s’est réunie virtuellement le 5 août 2021.
Les Amis du Mékong comprennent : la Banque asiatique de développement, l’Australie, le Cambodge, l’Union Européenne, le Japon, le Laos, le Secrétariat de la Commission du fleuve Mékong, le Myanmar, la Nouvelle-Zélande, la République de Corée, la Thaïlande, les États-Unis, le Vietnam et la Banque mondiale. Le Secrétariat de l’ASEAN, le Royaume-Uni et l’Inde y ont participé en tant qu’observateurs.
Dans le Communiqué de presse conjoint, les participants se sont réaffirmés en faveur de valeurs partagées et de principes communs dans la sous-région du Mékong, y compris ceux inscrits dans la Charte des Nations Unies, le Traité d’amitié et de coopération en Asie du Sud-Est et d’autres mécanismes régionaux pertinents, tels que la transparence, bonne gouvernance, unité et centralité de l’ASEAN, multilatéralisme, égalité, respect mutuel, confiance mutuelle, bénéfice mutuel, consensus et ordre fondé sur des règles dans le respect du droit international. Ils se sont engagés à poursuivre leurs approches transparentes et collaboratives pour un développement durable et inclusif de la sous-région du Mékong.
Les domaines de coopération prioritaires mentionnés dans le Communiqué, sans s’y limiter : le développement socio-économique, la santé, le climat, l’environnement, l’eau, l’énergie, la sécurité alimentaire, la gestion des ressources naturelles, les infrastructures durables, la transformation numérique, le développement humain et l’accent mis sur un reprise verte et durable du COVID-19.
Sur une arène strictement diplomatique, les participants ont réitéré leur intention de convoquer régulièrement des dialogues, des consultations, des hauts fonctionnaires et des réunions ministérielles et d’accroître le partage d’informations et l’échange de meilleures pratiques pour explorer et trouver des moyens d’approfondir la coopération dans les domaines d’intérêt mutuel.
Le premier dialogue sur la sécurité de l’eau
Le deuxième événement diplomatique a été l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) et le tout premier Dialogue sur la sécurité de l’eau de la MRC visant à trouver des solutions innovantes pour relever les défis émergents en matière de sécurité de l’eau dans la région. Le dialogue de deux jours, prévu du 19 au 20 août 2021, a été organisé par le Secrétariat de la MRC, en coopération avec le Secrétariat de l’ASEAN, avec des centres de réunion désignés dans les pays du Mékong. Des délégués d’autres pays de l’ASEAN ont participé en ligne en raison des restrictions liées au COVID-19. Plus d’une centaine de participants des États membres de l’ASEAN, des partenaires de développement et des organisations régionales et internationales se sont joints à la discussion.
Les Communiqués de presse publiés après le premier dialogue ASEAN-MRC sur la sécurité de l’eau ont présenté trois solutions thématiques liées à la politique, à la technologie et au partenariat qui peuvent aider les pays du Mékong et de l’ASEAN au sens large à relever les défis existentiels en matière de sécurité de l’eau auxquels la région est confrontée.
Au niveau politique, les hauts fonctionnaires et les experts ont exhorté toutes les parties et tous les acteurs à promouvoir une plus grande transparence et un engagement plus profond pour stimuler la gestion durable de l’eau et des ressources connexes dans toute la région de l’ASEAN.
Réformes politiques et institutionnelles
Des appels à des réformes politiques et institutionnelles progressistes ont été exprimés afin de promouvoir une gestion intégrée des ressources en eau et des appels à une intégration régionale et locale plus étroite ont également été lancés, en particulier dans les domaines de la planification des ressources en eau, de la gestion de la pollution, de la prévision et de l’alerte précoces et de la sensibilisation.
Les participants ont affirmé que la technologie a un rôle vital à jouer, tandis que la numérisation et les outils de modélisation avancés, tels que l’intelligence artificielle et les jumeaux numériques, représentent actuellement certaines des solutions les plus efficaces pour gérer les bases de données régionales sur les ressources en eau.
Les délégués ont également suggéré de poursuivre l’engagement avec un large éventail d’institutions et de recourir davantage aux partenariats public-privé. Un engagement plus profond avec le secteur privé peut aider les gouvernements de l’ASEAN à accéder aux nouvelles technologies, tandis qu’une coopération régionale renforcée facilitera un échange mutuel d’expertise et encouragera les investissements durables.
Plus de 70 millions de personnes dépendent en partie ou entièrement du Mékong
Au cours des débats, il a été rappelé que plus de 70 millions de personnes dépendent en partie ou entièrement du Mékong comme source de revenus et comme source de vie. Mais les problèmes transfrontaliers urgents ont atteint un stade critique dans de nombreuses parties de la région élargie de l’ASEAN et nécessitent une unité régionale plus profonde et plus forte pour combler les écarts de développement.
Une conclusion importante de la réunion était que le Secrétariat de la MRC et les pays du Bas-Mékong, en collaboration avec les États membres de l’ASEAN, se sont engagés à atteindre les objectifs de l’Accord du Mékong de 1995 et la vision de l’ASEAN pour la sécurité de l’eau d’ici 2025 grâce à une coopération et une coordination renforcées.
Alors que le premier dialogue était axé sur les échanges techniques et les solutions entre les décideurs et les experts de l’ASEAN, le deuxième dialogue ASEAN-MRC sur la sécurité de l’eau prévu pour 2023 devrait se concentrer sur les discussions politiques qui incluent un plus large éventail de parties prenantes. Pendant ce temps, l’ASEAN et la MRC tiendront des consultations diplomatiques sur la façon de traduire les recommandations clés du dialogue en actions politiques.
Certains diplomates ont estimé que ce premier Dialogue sur la sécurité de l’eau arrivait trop tard compte tenu de l’urgence des questions à examiner et à résoudre. Sur cette question, nous partageons le point de vue du Bangkok Post qui, dans un récent éditorial, affirmait que « Arriver en retard est toujours mieux que jamais. Ainsi, après des années passées à assister à l’étouffement de l’écologie du fleuve Mékong par le développement de barrages hydroélectriques, les communautés de cette région peuvent avoir un peu d’espoir après que l’ASEAN et la MRC sont intervenues et ont co-organisé le Dialogue sur la sécurité de l’eau ».
Optimisme modéré
Les résultats de ce Dialogue doivent être traités avec un optimisme modéré. La MRC et l’ASEAN seront confrontées à de nouveaux défis à l’avenir, car il n’y a jamais eu de cadre juridique pour l’allocation des eaux fluviales transfrontalières. Par conséquent, le fleuve Mékong est devenu un point chaud pour le développement de barrages hydroélectriques, et chaque pays insiste sur le fait que sa souveraineté lui permet de développer librement les ressources en eau de son territoire.
La vie montre que le Mékong est déjà un nouveau champ de bataille environnemental sur les questions de partage de l’eau. De nombreux pays se font plus entendre que par le passé sur la façon de partager le fleuve. Le gouvernement des États-Unis a créé le partenariat Mékong-États-Unis en 2020 et a commencé à soutenir de nombreux projets sur le fleuve Mékong. Pendant ce temps, la Chine, qui a développé plus de deux douzaines de barrages le long du tronçon supérieur du fleuve sur son propre territoire, a créé le Forum de coopération Lancang-Mékong en 2016.
Par Ioan Voicu – Gavroche-thailande.com – 27 août 2021
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