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Abus d’autorité, harcèlement sexuel : en Thaïlande, un « guide de survie » pour les élèves

Depuis le 12 novembre, le collectif d’étudiants thaïlandais les « Mauvais élèves » distribue à l’entrée de plusieurs écoles du pays un « guide de survie », à destination des élèves scolarisés dans l’équivalent des collèges et lycées.

Notre Observatrice à Bangkok dénonce une culture scolaire autoritaire, marquée par plusieurs cas de violences physiques et sexuelles, qui les a poussés à réaliser ce projet.

Connaître ses droits, savoir vers qui se tourner en cas de harcèlement ou de violence, ou encore comment s’organiser et faire passer un message sur les réseaux sociaux : voilà dans les grandes lignes le contenu du « guide de survie en milieu scolaire » rédigé par des membres du collectif lycéen thaïlandais les « Mauvais élèves« , constitué de lycéens et d’ex-lycéens. Depuis le 12 novembre dernier, ils ont déjà distribué plus de 4 000 exemplaires devant différents lycées du pays.

« Les professeurs pensent qu’ils peuvent faire ce qu’ils veulent de nous »

Dans la lignée des nombreux groupes de jeunes militants pro-démocratie qui prennent d’assaut les rues de Bangkok depuis bientôt un an et demi, le collectif des « Mauvais élèves » entend faire changer une institution scolaire qu’il considère dépassée. Parmi eux, Thanchanok Koshpasharin, ou « Ban », 21 ans, qui vit et étudie à Bangkok. Selon elle, la première marque de cette culture autoritaire commence par les règles très strictes sur la tenue vestimentaire et la coupe de cheveux : 

Si vous venez en Thaïlande, vous verrez que beaucoup d’élèves ont les cheveux coupés (ou rasés) : parce qu’ils n’étaient pas conformes aux règles de l’école, ils ont été coupés par les professeurs, qui se sentent le droit de le faire…

C’est plus rare, mais il est également arrivé qu’un professeur, considérant une jupe trop courte ou contraire aux règles de l’école, mette des coups de ciseaux dans cette jupe pour que l’élève ne puisse plus jamais la porter. Certaines écoles punissent les élèves qui ne respectent pas l’uniforme en leur demandant de rayer leurs ongles sur les murs ou ce genre de choses. 

C’est cette culture autoritaire qui permet aux professeurs de faire à peu près ce qu’ils veulent des élèves, en instaurant une relation d’ascendance et de domination. En fait, ils pensent qu’ils peuvent vraiment faire ce qu’ils veulent de nous.

Pour les « Mauvais élèves », l’uniforme est le premier signe qui montre que l’institution scolaire veut contrôler leur corps. Leur guide insiste ainsi longuement sur le droit d’intégrité de son propre corps, parmi d’autres droits fondamentaux dont disposent les élèves thaïlandais en vertu des lois nationales et internationales, comme la liberté d’expression ou le droit à la sécurité.

Pour défendre ces droits, les « Mauvais élèves » se rendent régulièrement dans la rue ou réalisent des performances artistiques visuelles et virales, particulièrement relayées sur les réseaux, de Facebook à TikTok.

Ces dernières années, on recense ainsi dans le pays plusieurs cas de harcèlement moral, physique ou sexuel envers des écoliers, collégiens ou lycéens, révélés notamment via les réseaux sociaux – mais la majorité des cas resterait étouffée par le corps professoral et l’institution scolaire.

L’année dernière, deux cas de violences sexuelles dans le milieu scolaire ont secoué le pays. Le premier, en avril 2020, a été révélé par une vidéo (attention ces images peuvent choquer) où l’on voyait un directeur d’école thaïlandais caresser de force une élève de 12 ans sous ses vêtements. Puis en mai 2020, cinq professeurs d’école ont été arrêtés pour avoir violé une étudiante de 14 ans et une autre de 16 ans, à plusieurs reprises. Selon les « Mauvais élèves », ce ne serait que la partie émergée de l’iceberg, car les étudiants concernés n’ont personne vers qui se tourner – et surtout pas leurs professeurs : 

Quand un élève rapporte le cas à l’école, l’école essaie de cacher l’accident et demande à l’élève de faire comme si rien ne s’était passé, c’est une chose très courante. Parce que l’école pense que si ce harcèlement sexuel est rendu public, elle perdra sa réputation. Parfois, ils accusent même l’élève, du genre ‘pourquoi ne portes-tu pas de jupe longue ?’.

Idem pour les cas de violence entre élèves ou par un membre du corps enseignant. 

Le système scolaire thaïlandais considère les professeurs quasiment comme des parents : ils restent tard pour accompagner les élèves dans les établissements, ils s’assurent qu’ils rentrent bien chez eux en sécurité. Ban explique respecter certains de ses professeurs, mais qu’il est difficile de parler de « confiance » dans une relation scolaire. 

Dans ce climat, les associations étudiantes et les réseaux sociaux jouent un rôle essentiel.

Les réseaux sociaux tiennent une place essentielle,  parce que les étudiants, grâce à l’anonymat, ont plus confiance pour se livrer. De manière générale, dès que vous rapportez quelque chose qui vous semble injuste au professeur, il ne vous écoute pas , vous dit d’accepter les faits, que c’est comme ça en Thaïlande, c’est comme ça à l’école, si vous ne pouvez pas accepter les règles, vous devriez quitter cette école.

Le « guide de survie » des « Mauvais élèves » se conclut donc en expliquant aux élèves comment créer leur propre groupe pour faire bouger les lignes du système éducatif thaïlandais : comment se faire entendre dans la rue et en ligne, comment se trouver des alliés, comment réunir des témoignages via un hashtag… En bref, comment apprendre à « se débrouiller par soi-même ». 

Cet ouvrage est basé sur notre expérience, nous avons tous été élèves et savons à quoi ils sont confrontés à l’école. Nous avons essayé d’être le plus complet possible, de penser à ce qui pourrait aider un élève livré à lui-même. L’école est censée être un endroit sûr pour l’élève, mais en Thaïlande ce n’est pas comme ça, donc si personne n’est là pour nous aider nous devons créer nos propres conseils. 

Par Thaïs Chaigne – France 24 TV – 2 décembre 2021

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