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«Mon combat contre la junte birmane»

Thinzar Shunlei Yi est militante des droits de l’homme en Birmanie depuis plus de dix ans, l’une des premières à s’être opposée à la junte et l’une des rares à être restée dans le pays.

Cette fille de militaire, élevée dans des casernes de l’armée, a, notamment, découvert son histoire et son pays au fil de ses rencontres avec les minorités. Elle vient de publier son livre, coécrit avec le journaliste français Guillaume Pajot. Mon combat contre la junte birmane est à la fois une autobiographie, sur son enfance, mais aussi le récit des événements tels qu’elle les a vécus depuis le coup d’État. Entretien avec Clea Broadhurst.

RFI : Pourquoi avez-vous choisi de rester en Birmanie, alors que de nombreux militants se sont exilés après la prise du pouvoir par l’armée ?

Thinzar Shunlei Yi : Je voulais rester au plus près des gens et de leur souffrance, et c’est comme ça que des jeunes militants comme moi restent connectés à toutes les communautés. À présent, nous ne pouvons plus manifester dans la rue, mais cela ne veut pas dire que nos voix disparaissent pour autant. Il y a de nombreuses manières de s’opposer à la junte militaire. C’est pour cela que j’ai décidé de continuer mon combat.

Même dans la pire situation d’oppression, il y a toujours des moyens de résister : durant les sept dernières décennies, le peuple birman a survécu et la résistance n’a jamais faibli. Surtout lorsque l’on regarde l’histoire des minorités ethniques telles que les Rohingyas, qui ont longtemps été discriminés. Mais nous obtiendrons justice, nous devons continuer à nous battre, l’oppression ne perdurera pas et il faut que les choses changent.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle tout le monde y met du sien : beaucoup de fonctionnaires ont quitté leur travail pour rejoindre le mouvement de désobéissance civile. Chaque citoyen peut également contribuer d’une certaine manière, en refusant de payer certaines factures ou en refusant d’acheter les produits issus des activités de l’armée. Chaque personne a un rôle à jouer dans cette révolution. Depuis le coup d’État du 1er février, la junte ne laisse pas un jour passer sans tuer ou arrêter quelqu’un. La situation se détériore, mais la résistance est toujours en marche.

Dans votre livre, vous racontez votre enfance, le fait d’avoir été élevée au sein de l’armée, comment est-ce que cela a influencé votre parcours ?

Je suis née dans une caserne militaire, je n’ai pas eu de choix. Être une fille de militaire, issue de l’ethnie principale, tout en étant également bouddhiste [la religion principale en Birmanie, NDLR]. Les choses étaient donc faciles pour moi. Mais par ailleurs, il y a de nombreux problèmes au sein de l’armée où il y a de fortes discriminations et où les droits humains ne sont pas toujours respectés. La hiérarchie y est très forte, donc les abus de pouvoir et l’oppression y sont courants. J’ai vécu ainsi, et j’ai « normalisé » cette oppression.

Mais lorsque je suis sortie des casernes, j’ai rencontré beaucoup de gens différents et j’ai entendu beaucoup de témoignages de tous horizons. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à en apprendre davantage sur les droits humains et les droits fondamentaux auxquels tout le monde a droit. Ça m’a ouvert les yeux, c’est ainsi que j’ai trouvé ma voie.

J’ai voulu me battre pour ma dignité, mais également celle des autres : j’ai décidé de me battre pour ceux qui n’en avaient pas le privilège. Je me suis rendue compte que, faisant partie d’une majorité religieuse, venant de l’armée et de l’ethnie principale, j’avais davantage de pouvoir pour élever ma voix, surtout contre les militaires. Mais en même temps, en faisant cela, je suis devenue une cible pour les militaires : on m’a inculpé, ces trois dernières années, pour avoir organisé des manifestations en faveur des minorités et je suis aujourd’hui recherchée par la junte.

Dans votre livre, vous parlez de la façon dont Aung San Suu Kyi vous a influencée, jusqu’à un certain point…

C’est très rare de voir une femme s’élever au rang de leader dans un pays aussi conservateur que la Birmanie. Lorsqu’elle est apparue comme figure de la démocratie, s’élevant contre la junte militaire, cela a donné beaucoup d’espoir à de nombreuses personnes, moi incluse. Elle venait également d’une famille de militaires, alors c’est devenu un modèle pour moi. Ses discours sur les droits humains et la démocratie m’ont inspirée. J’ai voulu la suivre, non pas pour la personne, mais pour ce en quoi elle croyait. Je suis devenue une militante des droits de l’homme et une militante pro-démocratie.

En me penchant dans le monde politique, cela m’a donné beaucoup de nouvelles façons de comprendre comment fonctionnait mon pays. En tant que militante de la société civile, mon rôle était également de contrôler ce qu’il se passait au niveau politique. Lorsqu’elle était au pouvoir, il fallait scruter ce qu’elle faisait également, ce qu’elle décidait ou non de faire.

Quand elle a ignoré le sort de la communauté des Rohingyas, et celui d’autres minorités, ça m’a brisé le cœur. Je me suis demandée qui elle était vraiment, car la façon dont elle agissait alors qu’elle était au pouvoir avait radicalement changé. Tous les jeunes de ma génération l’ont vu sous un nouveau jour.

Aujourd’hui, elle est entre les mains des militaires et je me bats pour qu’elle soit relâchée, pour que tous les prisonniers politiques soient libérés car je pars du principe que personne ne devrait être emprisonné sous prétexte d’avoir une idéologie politique différente. Je ne suis pas d’accord avec la façon dont les militaires la traitent, mais cela ne veut pas dire que je cautionne ses actions pour autant car le sort des Rohingyas, ainsi que d’autres minorités, est injuste.

Pourquoi était-ce important pour vous de publier ce témoignage ?

Les histoires des gens sont très puissantes et je suis qui je suis aujourd’hui grâce à la mienne. C’est après avoir écouté les témoignages des gens issus de minorités, notamment celles des Rohingyas, que j’ai commencé à avoir de nouvelles idées, et une nouvelle façon de voir les choses. Je n’avais jamais entendu ces histoires auparavant, parce que je vivais au sein de l’armée, donc je n’avais accès qu’à une partie des faits. J’ai voulu devenir militante pour aider ceux qui étaient opprimés, je voulais faire quelque chose qui ait du sens sur la durée.

Mon histoire m’a fait devenir qui je suis aujourd’hui et je mène mon combat en partageant mon autobiographie pour que les gens apprennent ce qu’il s’est passé, en ayant le point de vue d’une expérience bien réelle. J’espère que cela permettra de remettre la Birmanie au cœur des discussions, mais aussi de montrer comment on peut être utile auprès des jeunes. Après tout, même quelqu’un comme moi, élevée au sein de l’armée, peut devenir une militante des droits de l’homme ! Il faut avoir espoir en la jeune génération. Les jeunes ont une opinion différente de celle des précédentes générations : c’est ça mon message principal avec ce livre.

Pensez-vous que le coup d’État, et par conséquent, le mouvement de dissidence qui s’en est suivi, permettra de changer l’avenir de la Birmanie ?

La construction de notre nation n’a jamais abouti, depuis notre indépendance. Il faut encore que nous nous accordions sur un grand nombre de politiques et sur le système à mettre en place. Mais nous avons gâché plus de sept décennies sans savoir où nous voulions aller. Je pense que le coup d’État nous redonne une chance de réévaluer là où nous nous sommes trompés, ce qui n’allait pas ces dix dernières années, pourquoi la constitution de 2008, rédigée par les militaires, n’était pas la bonne solution.

À présent, les jeunes générations qui sont parties prenantes au niveau politique, ont appris la leçon. Pour nous, c’est la démocratie qui doit primer. Aujourd’hui, les choses sont plus claires, nous savons quel est notre but. Nous sommes tous en train de créer de nouvelles structures politiques sans les militaires, pour la première fois de notre Histoire. Les militaires n’étaient que des scénaristes, et maintenant nous n’avons plus besoin d’eux. Nous voulons écrire notre Histoire nous-mêmes, être nos propres scénaristes. Et cela me donne beaucoup d’espoir.

Par Clea Broadhurst – Radio France Internationale – 11 décembre 2021

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