Les eaux montent dans l’indifférence générale
Dans la proche banlieue de Bangkok, en Thaïlande, le littoral disparaît à toute vitesse tandis que l’eau cerne les quartiers défavorisés. Si scientifiques et jeunes militants tirent bien la sonnette d’alarme, ils peinent à se faire entendre.
Abritée du soleil tropical par une tonnelle de feuilles tressées, Samorn Kangsamut fouille frénétiquement une pile de papiers plastifiés. Articles de journaux, cartes satellites, photos d’époque, études scientifiques… La masse d’information est implacable. « Notre village va bientôt disparaître sous les eaux », s’exclame la matriarche de Ban Khun Samut. Ce petit village de pêcheurs est posté sur le littoral du golfe de Thaïlande, non loin de Bangkok.
« Cela fait 20 ans que je tire la sonnette d’alarme, mais le gouvernement m’a répondu qu’il ne pouvait rien y faire. »
Quelques centaines de mètres plus loin, le temple bouddhiste Wat Khun Samut offre une preuve éclatante du péril guettant la petite communauté. Situé à plus de 1 km de la mer il y a 30 ans, le lieu de prière est aujourd’hui entièrement cerné par les eaux, au point qu’un pont a dû être érigé pour le relier à la terre ferme.
« L’augmentation du niveau des océans est l’une des premières causes de la montée des eaux en Thaïlande », rappelle Seree Supradit, climatologue à l’Université de Rangsit et membre du GIEC.
« La mer s’élève de 4 mm par an en moyenne et cela va en s’accélérant, ce qui fera reculer le trait de côte de près de 2 km supplémentaires d’ici 20 ans », précise Thanawat Jarupongsakul, géologue qui étudie l’érosion côtière depuis les années 1990. Aux premières loges de la montée des océans, les habitants témoignent du bouleversement à l’œuvre. « Le climat devient extrême, c’est une évidence. Les vagues sont plus hautes et plus fortes qu’auparavant », explique Witsanut Kengsamut, maire du village.
« Il n’y a plus d’avenir ici »
Après avoir vainement tenté d’endiguer le phénomène en érigeant des digues en bambou et en replantant la mangrove, les villageois se sont faits fatalistes. « Cette maison s’effondrera dans moins de deux ans, pronostique Prayuth Poltaisong, 40 ans, en montrant la maison de son voisin. Quant à moi, je me prépare à quitter les lieux d’ici à dix ans. Il n’y a plus d’avenir ici. »
L’école du village, déplacée une première fois, ne raconte pas autre chose : d’un effectif de 200 élèves il y a 20 ans, elle n’accueille aujourd’hui plus que 6 enfants.
Tout le monde a quitté le village, nous sommes la dernière génération. Mais avant que nous partions, je veux faire du temple un monument à la mémoire des effets du réchauffement climatique. Witsanut Kengsamut, maire de Ban Khun Samut
Après que son cas a été médiatisé dans les années 2000, le temple Wat Khun Samut est devenu une attraction touristique et a attiré des centaines de milliers de dollars de dons. « Toutes les stars du pays sont venues prendre leur photo, se remémore l’édile, amer. Mais l’argent récolté n’a servi qu’à construire un rempart autour du temple, à construire une réplique et à entourer [des] restaurants. Nous demandions une digue, nous avons eu des magasins de souvenirs. »
Les Thaïlandais seraient-ils imperméables au réchauffement climatique ? « Assurément, regrette Seree Supratid. Un cataclysme se prépare et la majorité ignore encore tout de ces questions. »
Laminés par une gigantesque inondation en 2011 et une nouvelle début novembre 2021, beaucoup d’habitants situés en bord de fleuve, dans les quartiers défavorisés de Bangkok, assurent ne rien savoir du réchauffement climatique. « J’en ai entendu parler, mais je ne sais pas ce que c’est », témoigne Sujrat, 60 ans.
Elle vit avec son fils dans une minuscule bâtisse en bois dont les meubles portent encore les stigmates des inondations de novembre. « Mais je fais confiance au gouvernement pour ne pas laisser Bangkok être inondé pour de bon. »
Injustice climatique
« C’est le parfait exemple de l’injustice climatique, analyse Tara Buakamsri, directeur de la branche thaïlandaise de Greenpeace. La Thaïlande est un émetteur de CO2 relativement petit, mais l’un des plus exposés à l’accroissement du niveau de la mer. Et ses premières victimes sont les plus démunis. »
Une nouvelle génération de militants locaux a récemment émergé, bien déterminée à ne pas laisser Bangkok devenir une Atlantide asiatique. Du haut de ses 14 ans, Lilly Satidtanasarn veut contribuer au changement.
L’adolescente a créé un groupe de pression pour inciter le gouvernement à fixer des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre plus ambitieux.
« On ne parle pas assez du réchauffement climatique en Thaïlande », explique la jeune fille, qui cite Greta Thunberg comme modèle. « Les gens pensent toujours que cela se résume à quelques degrés de plus durant la saison chaude, or les ramifications sont immenses. »
Par Théophile Simon – La Presse – 20 décembre 2021
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