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L’autre guerre de Eric Vuillard

Lauréat du Prix Goncourt 2017, l’écrivain Eric Vuillard livre un nouveau récit historique sur la fin de la guerre d’Indochine : « Une sortie honorable » (Actes Sud). Donnant vie aux acteurs de la sortie « déshonorable », il revient avec panache sur une guerre coloniale en pleine Guerre froide.

L’écrivain Eric Vuillard n’en est pas à son premier « récit » historique. Il s’est intéressé tour à tour à la prise de la Bastille dans 14 Juillet (Actes Sud, 2016), à l’Anschluss dans L’Ordre du jour, pour lequel il a reçu le prix Goncourt en 2017, et à une révolte paysannes allemande du XVIe siècle dans La guerre des pauvres (Actes Sud, 2018), finaliste du International Booker Prize. En ce début d’année 2022, il nous livre un dernier roman sur la débâcle française dans la Guerre d’Indochine, en pleine guerre anticommuniste : Une sortie honorable (Actes Sud, 2022)

Une inspection du travail dans une plantation d’arbres à latex Michelin. Une barre de justice. Un travailleur torturé… L’incipit donne la couleur de ce récit qui se déclinera à l’Assemblée nationale, sur un plateau télévisé, dans le siège de la banque d’Indochine et sur le champ de bataille. Eric Vuillard est entré dans ce récit par les mots, le vocabulaire et la langue qui sont capables d’agir. Il explique, « On m’a offert un guide de voyage de 1923, […] je suis tombé sur le petit lexique : « va chercher un pousse-pousse, va doucement, va à gauche, attends-moi là un moment, etc… ». En écrivant l’entrée du livre, je me suis dit que les guides de voyage sont écrits par leurs lecteurs. Cela révèle l’inconscient d’une société. […] C’est une unité de mesure de la société coloniale toute entière. »  

Entre histoire, littérature et poésie, ses livres entraînent ses lecteurs dans les méandres de l’Histoire, derrière les coulisses, dans les coins mal éclairés et poussiéreux. Ses oeuvres sont composées de récits multiples, éclatés, où il est question de pouvoir, de violence, d’exploitation, d’alliance des puissants, de concentration des pouvoirs. Le titre d’Une sortie honorable, par exemple, est un élément de langage très en vogue à l’époque, « c’est une expression bizarre, qui ment. » explique Eric Vuillard. « Cela signifie faire la guerre pour l’arrêter. Reconquérir l’Indochine pour ensuite la laisser. À l’époque, Mauriac écrit dans l’Express : « plus on approche du pouvoir, moins on se sent responsable. » […] Mauriac nous fait entendre que c’est un grigri, une protection, au centre d’un discours politique de la responsabilité qui cherche à nous intoxiquer. »

Jouant avec nos images pré-construites des évènements, personnages et périodes historiques, ses oeuvres hautement documentées éclairent différemment le passé, et parviennent à charrier des échos jusque dans le présent. Comme le signale Eric Vuillard, « l’écriture est toujours le rouage entre un rapport à la réalité et une subjectivité. Cela ne signifie pas qu’il y a plusieurs vérités, ou que la vérité nous échappe toujours, mais à travers l’écriture, on cherche à attraper quelque chose d’une vérité fuyante. […] La sous-estimation, le mépris, c’est une position sociale très puissante. Mais ce n’est que le reflet d’une asymétrie qui structure nos sociétés. La littérature raconte cette asymétrie, sinon elle se cantonne à n’être qu’une littérature folklorique. » 

Par Olivia Gesbert – Radio France Culture – 3 janvier 2022

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