Birmanie : un an après le coup d’État militaire, la résistance ne faiblit pas
Le 1er février, la Birmanie marquera le premier anniversaire du coup d’État de la junte militaire, menée par son commandant en chef, Min Aung Hlaing. À cette occasion, la résistance face à la junte a demandé à la population de respecter un « jour du silence », en restant à domicile pour manifester leur colère de façon pacifique.
Ce n’est pas le premier « jour du silence » organisé depuis le coup d’État, et à chaque fois, le scénario est le même : entre 10h et 16h, les habitants restent chez eux, les rues sont vides, les commerces sont fermés. Moment très frappant dans une grande ville comme Rangoun où on est habitué aux embouteillages, aux klaxons des bus, et aux très nombreux marchés de rue.
On pourrait s’attendre à ce que les groupes de résistance armés, dont certains opèrent à Rangoun, profitent de l’absence de civils pour organiser des attaques contre la police ou des institutions de la junte, mais en fait les rues sont réellement vides et les militaires sont très tendus lors de dates importantes comme celle-ci. Il est donc en général plus prudent de suivre la consigne et de rester chez soi. Lors du dernier « jour du silence », le 10 décembre, un photographe indépendant, Soe Naing, s’est fait arrêter alors qu’il prenait des photos des rues vides, et il a été le premier journaliste à être tué en détention depuis le coup d’Etat. On peut imaginer que la population choisira de rester à la maison.
Les personnes rencontrées ces derniers jours disent la même chose : évidemment, idéalement, elles voudraient qu’il se passe quelque chose, le 1er février est une date forte, et une attaque de la résistance ce jour-là enverrait un message fort à la junte en lui montrant qu’un an après, elle n’a toujours pas le contrôle du pays – mais ces personnes disent aussi qu’elles ne sont pas dupes et qu’elles se doutent bien que c’est trop dangereux.
L’un des événements déclencheurs pour moi, c’est quand j’ai vu une jeune fille de 18 ans qui ne pouvait pas se défendre se faire torturer et battre par les soldats. Je ne pouvais rien faire pour l’aider. Alors j’ai compris que si les soldats avaient des armes, je devais en avoir aussi, pour pouvoir riposter. A l’entraînement dans l’armée ethnique rebelle, nous suivions un protocole très strict, similaire au standards militaires, nous devions garder nos lits propres et bien faits, on nous forçait à boire un litre d’eau chaque matin, et nous devions faire nos exercices militaires même sous la pluie. Il y avait une phrase que l’on entendait beaucoup parmi nous : « Nous n’avons que nous-mêmes, nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes ». Et c’est la vérité. En 2021, nous avons fait beaucoup de préparation, comme le maniement des armes, l’apprentissage de tactiques militaires, et tout un tas de choses utiles. En 2022, nous allons attaquer, et non plus simplement nous défendre.
La junte ne contrôle pas tout
Un an après le coup d’État, on a l’impression que la résistance armée gagne du terrain. Pour trouver de l’information sur le sujet, on peut lire soit le journal de propagande de la junte, soit les médias pro-démocratie. Mais comme ces deux types de médias ne peuvent pas croiser leurs informations pour confirmer quoi que ce soit, puisqu’ils ne communiquent pas, il est compliqué de savoir si ce qu’on lit est réel ou si on va par exemple raconter une victoire sur les soldats de la junte juste pour soutenir le moral de la résistance.
Mais ce qu’on voit, c’est que les gens continuent à faire des donations pour soutenir la résistance armée, que même si le moral est bas à un an du coup d’État, les gens continuent à parler de victoire contre la junte. Un signe qui montre bien cette résistance, ce sont les factures d’électricité : depuis le coup d’État, la majorité de la population a arrêté de payer ses factures, pour couper une source de financement de la junte. Les gens attendent que l’armée vienne toquer à leur porte pour aller payer, ou alors qu’on leur coupe l’électricité.
On peut voir que la vie a repris, les gens vont au travail, les restaurants sont pleins même s’il y a toujours un couvre-feu, les gens sortent le week-end, mais c’est parce que les gens ont besoin de survivre. Une femme rencontrée à Rangoun racontait qu’il n’y a pas de débat entre elle et ses amis partis au front, puisque chacun comprenait la position de l’autre – elle reste à Rangoun et peut les soutenir financièrement avec son salaire, pendant qu’ils apprennent à se battre. C’est une forme de complémentarité qui s’est installée avec le temps, et tout le monde voit ça comme la façon la plus durable de continuer la résistance contre la junte.
Le manque de reconnaissance internationale du gouvernement civil birman freine le retour de la démocratie
Le gouvernement birman d’opposition en exil a toujours du mal à se faire reconnaître par la communauté internationale. C’est pourtant, selon ses dirigeants, l’une des conditions indispensables pour la victoire du camp démocrate en Birmanie, rapporte notre correspondante à Bangkok, Carol Isoux.
Sans une reconnaissance officielle par les instances internationales du gouvernement birman d’opposition, impossible pour ses dirigeants ni de mettre en place une aide humanitaire, ni d’acheter des armes, pourtant nécessaires au combat contre la junte.
Maw Htun Aung, le ministre délégué aux Ressources naturelles, appelle les pays démocrates à plus de réalisme : « On ne gagne pas une guerre avec des déclarations d’intention. Lorsque que vous opérez au niveau international, vous avez absolument besoin d’une reconnaissance officielle, sans cela vos comptes en banque peuvent être gelés, toute la logistique doit se faire sous le manteau. C’est vrai, le gouvernement central n’est pas en mesure d’aider les jeunes combattants birmans sur le terrain pour l’instant, et ils ont le droit d’être déçus, mais c’est aussi lié au fait que nous n’avons reçu aucun soutien de la part des pays démocratiques, qui tout en saluant haut et fort le courage du peuple birman, ne lui apportent en réalité aucune aide concrète. »
Certaines institutions ont amorcé des procédures de reconnaissance du gouvernement civil birman, c’est le cas du Sénat français. Mais pour l’instant aucun gouvernement n’a officiellement fait cette démarche.
Par Juliette Verlin – Radio France Internationale – 31 janvier 2022
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