Pourquoi la guerre en Ukraine a des échos en Birmanie ?
Notre collaborateur et chroniqueur François Guilbert ne rate pas une occasion de décrypter les événements politiques birmans. A l’heure de la guerre en Ukraine, son jugement mérite réflexion.
La crise ukrainienne s’invite dans les débats politiques birmans
Bicéphalie gouvernementale oblige, le Conseil d’administration de l’État (SAC) et le Gouvernement d’unité nationale birman ont des positions totalement orthogonales sur la guerre provoquée par la Russie en Ukraine. Du côté de la junte arrivée au pouvoir en février 2021, on affiche un soutien sans faille à Moscou. De l’autre bord, on proclame sa solidarité totale avec le peuple d’Ukraine. Une posture courageuse car elle froisse une bonne partie de opinion publique birmane. Celle-ci continue de s’offusquer que Kiev n’ait pas cessé de livrer depuis un an des armements qui aujourd’hui participent, très directement, à la répression et mènent à la mort de nombreux civils.
La posture du SAC est sans surprise, tant la Russie est apparue au cours de l’année écoulée comme un soutien inconditionnel des généraux et pour tout dire le seul véritable sur la scène internationale. La Fédération de Russie où le général Min Aung Hlaing a effectué l’un de ses seuls voyages à l’étranger depuis sa prise de pouvoir est par ailleurs un pourvoyeur d’armement déterminant, notamment pour mener les brutales opérations aériennes contre les insurgés de l’État Kayah et de la région de Sagaing.
Dans un propos tenu sur les ondes en birman de la Voice of America, le porte-parole de la Tatmadaw n’a pas été par quatre chemins pour défendre les opérations russes en cours. Avec la finesse d’un char du président Poutine avançant dans les plaines de son voisin, le major-général Zaw Min Tun a proclamé rien de moins que la Russie défendait sa souveraineté nationale, comme si au fond l’État ukrainien n’existait pas, ce qui, il est vrai, est le narratif politico-historique de la propagande du Kremlin.
N’étant pas détenteur du siège birman aux Nations unies à cette heure, un tel déni du droit international ne pourra être répété dans la principale arène de la communauté internationale appelée à se saisir de l’agression. Néanmoins, le soutien des chefs de la Tatmadaw à leur partenaire du Kremlin n’est pas fait à la demi-mesure. Le représentant patenté de la junte a qualifié l’invasion d’action « appropriée ». Certes ce langage n’a pas été exprimé par le ministère des Affaires étrangères de Nay Pyi Taw mais il dénote plus fondamentalement chez les généraux birmans une fascination vis-à-vis d’un État jugé comme le dernier rempart protecteur. L’officier a d’ailleurs souligné dans ses propos que la Russie, en envahissant l’Ukraine, montre qu’elle est toujours une « nation puissante qui joue un rôle essentiel dans le maintien de l’équilibre des forces pour la paix mondiale » (sic !). Une affirmation grandiloquente que les autorités chinoises feraient bien de retenir car elle souligne ô combien la République populaire aura bien du mal à disposer d’un ascendant total sur les hommes en uniforme de Nay Pyi Taw.
Au soutien ostentatoire de l’usage de la force a répondu un positionnement juridique et moral des leaders de l’opposition aux militaires de la Tatmadaw. La ministre des Affaires étrangères du NUG a, dès le déclenchement des hostilités, souligné sur Tweeter que la journée de l’offensive de l’Armée rouge était bien « triste pour la démocratie ». Quelques heures plus tard est venu s’ajouter un tweet du président en exercice du NUG, le Kachin Duwa Lashi La. Dans un propos plus élaboré, celui-ci a rappelé en deux phrases l’essentiel : une attaque russe non provoquée et injustifiée, une violation de la Charte des Nations unies et des souffrances pour les populations civiles. Plus précis encore a été quelques temps plus tard le communiqué officiel du ministère des Affaires étrangères du NUG. Une condamnation sans circonvolution et à 180 degrés de la posture de la junte !
La grande réactivité du Gouvernement d’union nationale et la précision des propos démontrent la maturité politique et diplomatique acquise en quelques mois par l’organe pivot de l’opposition. Les termes de l’analyse sont exprimés avec clarté. Les principes rappelés avec fermeté. Ainsi, le texte parle bien d’actes de guerre non provoqués, dirigés contre l’Ukraine et son peuple. Sans faire référence à ce qui se passe actuellement dans les Etats Kayah ou la division du Sagaing mais comment ne pas y voir une allusion au drame birman, le ministère des Affaires étrangères du NUG a mis en cause les attaques terrifiantes et croissantes contre l’Ukraine – menées depuis les airs, la terre et la mer – et qui ont déjà fait un nombre important de morts et chassé des dizaines de milliers de civils de leurs foyers. En s’affichant explicitement en solidarité avec les Ukrainiens, l’opposition aux putschistes birmans en appelle au droit celui de respecter l’intégrité territoriale, l’indépendance et la souveraineté de l’Ukraine, ce que l’on voudrait voir repris dans toutes les capitales de l’ASEAN, voire très solennellement par l’organisation sud-est asiatique elle-même.
Par François Guilbert – Gavroche-thailande.com – 28 février 2022
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