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Qui dirige la Birmanie des Généraux ?

Notre collaborateur François Guilbert suit de très près les évolutions politiques en Birmanie. Ses analyses sont des repères très utiles pour qui s’intéresse à la situation politique en Asie du Sud-Est. Voici sa dernière livraison sur le vrai visage de la junte militaire au pouvoir à Rangoun.

Birmanie : un régime militaire bicéphale

L’un à 65 ans, l’autre 61 ans. Numéros 1 et 2 des forces armées birmanes, ils se sont emparés ensemble du pouvoir par la force le 1erfévrier 2021. Tout en gardant leurs plus hautes responsabilités à la tête de la Tatmadaw, ils ont ajouté à celles-ci les fonctions « civiles » de président et vice-président du Conseil d’administration de l’Etat (SAC) puis au 1er août celles de Premier ministre et vice-Premier ministre du gouvernement. Ainsi, les généraux Min Aung Hlaing et Soe Win cogèrent toutes les affaires du pays. Le pays n’est donc pas sous la férule d’un homme ou d’un quarteron de généraux mais bien plus sous l’autorité d’un binôme. Par ordre de séniorité, l’un est le numéro 1 mais l’autre est, de facto et de jure, un numéro 1bis. Une situation très rare après un pronunciamiento.

Avant le coup d’Etat, on disait les deux hommes rivaux. A la retraite programmée du commandant-en-chef des services de défense à la mi-2021, le second était perçu comme plus à même de trouver un terrain d’entente politique avec la Conseillère pour l’Etat Daw Aung San Suu Kyi qu’il accompagnait fréquemment dans ses déplacements intérieurs.

Aujourd’hui, la rumeur veut que celui que l’on présentait autrefois comme le plus pragmatique et le plus sophistiqué serait devenu le plus radical, voire le plus va-t-en guerre contre ceux qui s’opposent aux putschistes. En tout cas, une chose est sûre, si différence d’appréciation il y a sur la conduite des affaires du pays, elle ne transparaît pas dans les discours rapportés par la presse d’Etat. On dispose pourtant d’un très vaste panel d’interventions des deux officiers. Il est même étonnant de constater que le numéro « 2 » du régime intervient dans les mêmes domaines d’action que son supérieur hiérarchique. Il parle aux troupes, aux interlocuteurs étrangers, aux groupes ethniques armés, s’exprime sur l’économie ou encore la santé publique et l’éducation. Cette visibilité n’en a pourtant pas fait l’ennemi public numéro 1. Il est vrai que les régimes militaires passés se sont le plus souvent articulés autour d’un seul chef (Ne Win, Than Shwe, Thein Sein), le général-premier ministre Khin Nyunt l’a appris à ses dépens en 2004 tout comme le général-président du parlement Thura Shwe Mann en août 2015. Cette supposée immanence du pouvoir birman conféré à un seul homme a pour conséquence que c’est le général Min Aung Hlaing qui fait l’objet de la vindicte publique et des critiques internationales les plus sévères. Le général Soe Win est moins souvent cloué au pilori, ce qui peut le préserver politiquement pour l’avenir. Sa responsabilité dans la crise dramatique que connaît la Birmanie n’en est pas moins grande. C’est d’ailleurs ce qui a justifié qu’il soit couché sur les listes des sanctions occidentales. Maintenant, reste à savoir si le tandem qui a plongé la nation dans les abymes est durable.

A la mi-2023, la junte veut organiser de nouvelles élections générales. Pas question de les perdre cette fois-ci !

Les leaders historiques du parti à la main de la prix Nobel de la paix sont et doivent demeurés sous le joug de la justice afin de les disqualifier de toute compétition électorale. Quant aux leaders des partis ethniques, l’objectif est de les rallier en introduisant la proportionnelle. Pas sûr que cette stratégie soit suffisante et même gagnante. Les hommes en uniformes sont très largement rejetés par la société. Plus problématique, la classe politique dans son ensemble est « Suu Kyi dépendante ». Au cœur du pays bamar et plus largement dans le monde rural, Daw Aung San Suu Kyi demeure la seule dirigeante que l’on écoute et dont on attend les appréciations partisanes. Mais, incommunicado, elle n’est pas à même de faire savoir ce qu’elle pense et propose. Une situation appelée à se prolonger. Le porte-parole de l’armée l’a fait savoir une nouvelle fois la semaine dernière. Daw Aung San Suu Kyi ne sera pas autorisée à rencontrer l’Envoyé spécial de l’ASEAN, le vice-premier ministre cambodgien Prak Sokhonn, lors de son prochain déplacement à Nay Pyi Taw à la fin mai. Au nom de la mise sur pied du dialogue politique inclusif souhaité en avril 2021 par les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Asie du sud-est, le Premier ministre cambodgien Hun Sen l’avait pourtant une fois encore souhaité lors de son échange téléphonique du 2 mai avec le général Min Aung Hlaing. Sans un retour d’Aung San Suu Kyi dans le jeu politique de nombreux partis seront tentés de boycotter le scrutin quant aux groupes récemment insurgés ils feront tout pour que les élections ne puissent se tenir dans de nombreuses circonscriptions. Cette perspective si elle n’empêchera peut-être pas totalement la consultation électorale, elle ne permettra pas de légitimer sur la scène intérieure et auprès d’une bonne partie de la communauté internationale les « nouvelles » autorités.

Dans un an, le binôme qui dirige aujourd’hui la Birmanie sera peut-être un triumvirat.

Il semble qu’un des plans en marche soit de porter à la présidence de la République le général Min Aung Hlaing, aux fonctions de Premier ministre le vice-senor général Soe Win et de confier au Lieutenant-général Moe Myint Tun, 54 ans, le commandement en chef des services de défense. Il est le plus jeune membre du SAC, l’organe directeur du régime militaire. Il est également le chef d’état-major de l’armée après avoir été le plus jeune officier à occuper un poste de commandant régional depuis que le général Min Aung Hlaing est devenu chef de l’armée. Président de la Commission des investissements, il est en fait l’un des rares membres du SAC à occuper des postes à la fois dans les forces armées et au sein du gouvernement du régime. Mis en cause par le passé dans des affaires de corruption tout comme les généraux Min Aung Hlaing et Soe Win, celui qui a arrêté le Président U Win Myint aux premières heures du coup d’Etat est un homme pétri d’hostilité à l’endroit de la Ligue nationale pour la démocratie et ne s’en cache pas. De telles perspectives de succession ne disent rien de bon pour la Birmanie et ses habitants.

Par François Guilbert – Gavroche-thailande.com – 15 mai 2022

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