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Au Cambodge, le “parti de la bougie” renaît de ses cendres pour les élections locales

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Après cinq ans sans scrutin, des élections communales ont lieu ce 5 juin. Le principal mouvement d’opposition, interdit en 2017, est parvenu à présenter des candidats. Comme Sin Rozeth, qui mène campagne pour proposer une alternative au parti au pouvoir depuis 1979.

Devant une centaine de partisans pleins d’espoir réunis dans une maison de Battambang, dans le nord-ouest du Cambodge, Sin Rozeth a un triple message à faire passer.

La candidate du “parti de la bougie”, résurgence du parti d’opposition historique, leur demande de répéter après elle, ponctuant chaque phrase d’un geste du doigt. “Lek muoy” (“premièrement”) : élections communales le 5 juin. “Lek pi” (“deuxièmement”) : Rozeth candidate. “Lek bey” (“troisièmement”) : votez !

“Si vous votez pour le Parti du peuple cambodgien [PPC, au pouvoir sous différentes formes depuis 1979], c’est que vous avez vraiment envie de perdre de l’argent”, lance-t-elle à son auditoire qui éclate de rire. Plus sérieuse, elle ajoute :

“Maintenant vous avez le choix : le parti qui a volé ma place ou bien le ‘parti de la bougie’.”

Sin Rozeth, une personnalité pugnace

À 36 ans, Rozeth a un certain talent pour la comédie et l’habitude de parler d’elle à la troisième personne. Cela fait des mois qu’elle décline ce discours, deux fois par jour, dans la commune semi-rurale d’O’Char. Élue de cette ville de 10 000 habitants, elle a été chassée de son poste il y a cinq ans lors de la dissolution du Parti du sauvetage national du Cambodge (PSNC), qui représentait l’opposition.

Au cours de sa campagne, elle a promis de s’occuper des problèmes dont les habitants se plaignent, en vain, depuis 2017.

Elle lance :

On ne peut pas rester les bras croisés et laisser le parti au pouvoir faire ce qu’il veutNous devons revenir les concurrencer.”

Rozeth soutient [l’opposant historique au Premier ministre Hun Sen] Sam Rainsy depuis son adolescence. Elle a rapidement gravi les échelons du parti aujourd’hui dissout, décrochant un poste d’adjointe à l’âge de 26 ans avant d’être élue responsable locale à 31 ans. Cette brève expérience lui a valu une popularité immédiate – et a attiré, sur elle, l’attention du parti au pouvoir.

Après la dissolution du PSNC [en novembre 2017] , le Parti du peuple cambodgien a proposé à Rozeth de rejoindre ses rangs. Mais la jeune femme a préféré ouvrir un petit restaurant de nouilles et de riz sauté en périphérie de Battambang. Les autorités l’ont alors accusée d’organiser des réunions visant à renverser le gouvernement. En 2019, Rozeth a dû mettre la clé sous la porte. Sur la façade du restaurant fermé, on voit désormais une affiche de son parti et une photo d’elle, souriante, en dessous de l’enseigne.

Un travail de terrain

Lorsque le “parti de la bougie” a émergé, à l’automne dernier, comme potentielle force d’opposition, il était évident pour Rozeth qu’il fallait tourner la page du PSNC.

Les habitants de Battambang ont salué son retour en politique. La liste de leurs problèmes est longue. Du fait de l’absence de rigoles d’évacuation le long des routes – dont bon nombre ne sont pas pavées –, chaque année les maisons sont inondées pendant la saison des pluies. Il faut parfois attendre des mois avant de recevoir des documents officiels importants. Certains habitants ont été mal répertoriés par les services municipaux dans le système d’enregistrement des populations démunies, et ne touchent pas toutes les aides auxquelles ils ont droit.

Depuis deux ans, le gouvernement verse des allocations aux familles pauvres touchées par le Covid-19. La catégorie des “très pauvres” – ou IDPoor 1 – a droit à davantage d’aides.

Bun Sokunthea, 40 ans, ne possède pas de certificat de naissance pour son fils de 7 ans qui doit aller à l’école. Elle n’est pas mariée avec son partenaire, raison pour laquelle la municipalité a refusé, jusqu’ici, de lui délivrer le document, explique-t-elle.

J’espère que ça changera si Rozeth est élue, c’est une femme gentille, elle ne porte pas de jugement sur les gens.”

Que notre parti gagne

Âgé de 30 ans, Eng Rattanak est le mari de Rozeth. Il est le fils l’ancien vice-président du PSNC, Eng Chhai Eang. Lorsqu’on photographie son épouse-candidate, il s’efface. Jusqu’en mars, Rattanak était le candidat du “parti de la bougie” à Phnom Penh, avant que sa candidature ne soit invalidée par le comité national électoral, comme 17 autres candidats du district de Tuol Svay Prey.

Aujourd’hui, il se contente d’être l’assistant de Rozeth. Et, il résume :

Nous sommes du même parti et nous avons le même objectif : que notre parti gagne.

Dans cette élection, Rozeth fait face à Em Sophal, candidat du PPC, et Chum Huot, candidat du Parti de l’amour de la nation, ancien membre, comme elle, du PSNC. Huot s’est engagé à se concentrer sur les infrastructures et à ouvrir un foyer d’accueil pour les orphelins de la ville, précisant qu’il saluait la candidature de sa rivale, Rozeth.

Nous avons trois partis, dont deux qui font concurrence au parti au pouvoir, c’est la force de la commune d’O’Char”, ajoute Rattanak.

Huot et son frère jumeau Chum Huor sont d’anciens défenseurs de l’environnement qui ont quitté le pays en 2016 peu après le meurtre du militant Kem Ley, dont ils étaient de fervents partisans. Ils ont même reçu le statut de réfugiés en Thaïlande. Puis, ils sont retournés au Cambodge et ont rejoint le Parti de l’amour de la nation l’an dernier.

Briser l’immobilisme

Mouen Vibol, 63 ans, est l’actuel chef de la commune et membre du PPC. Il dit comprendre les doléances de ses administrés, mais souligne que certains ne comprennent pas bien les mécanismes administratifs et jugent injustement ses services.

“Ils me reprochent de ne pas satisfaire leurs demandes, mais ils veulent que cela se fasse immédiatement, explique-t-il à propos des problèmes de route. Les procédures prennent du temps, j’essaie de leur expliquer.”

Rozeth termine son dernier discours de la journée. La foule commence à se disperser. La candidate discute avec un groupe d’hommes ayant levé la main pour signaler qu’ils ne possèdent pas de carte d’identité officielle pour aller voter. Elle promet de les accompagner le lendemain matin pour évoquer le sujet avec le chef de la commune.

Déterminée à permettre à chaque résident d’O’Char de voter le 5 juin, elle n’est pas pour autant naïve. Elle conclut :

Je sais que nous allons gagner. Nous avons déjà gagné. Mais ils ne nous laisseront pas l’emporter facilement, parce qu’ils vont se retrouver dans une situation embarrassante.”

Par Keat Soriththeavy & iona Kelliher – VOD / Courrier International – 5 juin 2022

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