Thaïlande : Thanapol Eawsakul, un éditeur “harcelé” par les autorités
Sans apparaître en tête du classement des pays qui emprisonnent le plus les écrivains, la Thaïlande entretient une relation très particulière avec la liberté d’expression, faite d’intimidations constantes du gouvernement.
Thanapol Eawsakul, responsable éditorial de la maison Same Sky Books (Fah Diew Kan), en a récemment fait les frais.
Dans un pays où le discours contestataire à l’égard de la monarchie peut facilement tomber sous le coup de l’article 112 du Code pénal, qui criminalise l’insulte à l’encontre du pouvoir royal, on comprendra aisément que l’opposition n’ait pas énormément de latitude pour se développer.
Les éditeurs de livres, parce qu’ils portent parfois des voix dissidentes, sont en première ligne, et particulièrement exposés à la répression. L’Union internationale des éditeurs (IPA, International Publishers Association) s’inquiète ainsi du cas de Thanapol Eawsakul, responsable éditorial de la maison Same Sky Books (Fah Diew Kan).
Le 29 juin dernier, il a été interpelé au prétexte d’avoir commis des actes contraires à la loi de lutte contre la cybercriminalité, mais aussi aux articles 123, 124 et 128 du Code pénal, qui punissent le recel d’informations présentant un risque pour la sécurité nationale.
Sur sa page Facebook personnelle, Thanapol Eawsakul avait publié un document émanant du secrétaire général du Conseil de sécurité national, remontant à novembre 2020. Il chargeait les autorités d’enquêter sur un diplomate retraité et sa capacité à publier des informations nuisibles au gouvernement thaïlandais. Thanapol Eawsakul lançait l’hypothèse que le diplomate visé n’était autre que Russ Jalichandra, ancien ambassadeur de la Thaïlande, rapporte Prachatai.
Le document partagé par l’éditeur sur sa page Facebook évoquait par ailleurs différentes opérations pour contrer les forts mouvements prodémocratie de 2020 : ces derniers avaient vus des citoyens manifester et directement remettre en cause le régime monarchique.
D’après l’organisation Thai Lawyers for Human Rights, fondée en 2014 pour assurer la défense des prisonniers politiques et des opposants, Thanapol Eawsakul avait été convoqué par la police pour répondre des charges pesant contre lui, pour cette publication Facebook, dès le mois d’avril dernier. Il avait effectué les démarches pour prendre rendez-vous, mais la police est finalement venue l’interpeler au siège de la maison d’édition, mandat d’arrêt en main.
La caution pour sa libération, fixée à 2800 $, a finalement été prise en charge par Rangsiman Rome, militant prodémocratie et élu au sein de la Chambre des représentants de Thaïlande.
Autorités acharnées
Ce n’est pas la première fois que la maison d’édition et ses employés ont affaire à la police : M.R. Priyanandana Rangsit, petite-fille de Rangsit Prayurasakdi, qui fut régent de Thaïlande entre 1946 et 1951, avait ainsi intenté un procès au chercheur thaïlandais Nattapoll Chaiching et son éditeur, la maison Fah Diew Kan. Elle réclamait 1,5 million $ pour une information qu’elle estimait erronée, relayée dans un article de recherche, mais supprimée du livre publié par l’éditeur.
En janvier 2022, l’ordinateur et le téléphone de Thanapol Eawsakul avaient été saisis par la police, qui recherchait des informations sur un livre jugé dangereux pour la sécurité nationale… qui n’était même pas publié par Fah Diew Kan.
L’UIE, qui a placé la maison d’édition thaïlandaise dans la liste des nommés pour le Prix Voltaire 2022, lequel salue la défense de la liberté de publier, insiste : « Ce harcèlement des autorités doit cesser. » Kristenn Einarsson, responsable du comité Liberté de publier, poursuit : « L’engagement de Thanapol Eawsakul pour la liberté de publier lui a valu un harcèlement constant des autorités thaïes depuis des années. »
Par Antoine Oury – Actualitte.com – 6 juillet 2022
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