En Birmanie, six ans de prison supplémentaires pour Aung San Suu Kyi
L’ex-dirigeante birmane a été condamnée lundi à une peine de six ans de prison supplémentaires, reconnue coupable de quatre charges de corruption. Ces derniers mois, la prix Nobel de la paix a déjà été condamnée pour un total de onze ans de détention.
C’est une énième condamnation pour la Nobel de la paix. La junte birmane resserre un peu plus encore son étau contre Aung San Suu Kyi : l’ex-dirigeante a été condamnée lundi à une peine de six ans de prison supplémentaires au cours d’un procès fleuve, dénoncé comme politique par la communauté internationale. La prix Nobel de la paix, âgée de 77 ans et qui avait déjà été condamnée pour un total de onze ans de prison, a été reconnue coupable de quatre charges de corruption.
Apparue en bonne santé au tribunal militaire, selon une source proche du dossier, elle n’a pas fait de commentaire après la lecture du jugement. Arrêtée lors du coup d’Etat militaire du 1er février 2021 qui a mis fin à une décennie de transition démocratique en Birmanie, Aung San Suu Kyi a été placée à l’isolement dans une prison de Naypyidaw fin juin. C’est dans cet établissement pénitentiaire de la capitale que se poursuit son procès, qui a débuté il y a plus d’un an, à huis clos, ses avocats ayant interdiction de parler à la presse et aux organisations internationales.
Elle est visée par une multitude d’infractions : violation d’une loi sur les secrets d’Etat datant de l’époque coloniale, fraude électorale, sédition, corruption… Et risque, en conséquence, des décennies de prison. Fin avril, Aung San Suu Kyi a été condamnée à cinq ans de prison en vertu de la loi anti-corruption, pour avoir perçu 600 000 dollars et plus de onze kilos d’or de pots-de-vin de l’ancien ministre en charge de la région de Rangoun. Elle avait été jugée auparavant pour importation et possession illégale de talkies-walkies, violation des restrictions liées au coronavirus et incitation aux troubles publics.
« Effacer le passé démocratique »
« Sourds à l’indignation nationale et internationale, les procès pour punir Suu Kyi et ses proches ont pour but d’effacer le passé démocratique » de la Birmanie, a réagi l’analyste politique David Mathieson. « Leur intention est claire pour tout le monde, sauf pour la communauté internationale », dont les sanctions sont jugées trop légères par certains observateurs, a-t-il poursuivi. De nombreuses voix dénoncent un acharnement judiciaire motivé, selon elles, par des considérations politiques : mettre en touche de manière définitive la fille du héros de l’indépendance et grande gagnante des élections de 2015 et de 2020.
Plusieurs de ses proches ont aussi été condamnés à de lourdes peines : 75 ans de prison pour un ancien ministre, 20 ans pour un de ses collaborateurs. Un ancien député de son parti condamné à mort, Phyo Zeya Thaw, a été exécuté fin juillet. D’autres se sont exilés ou sont entrés en clandestinité. Une partie de ces élus déchus ont formé un « gouvernement d’unité nationale » (NUG) parallèle dans le but de saper la légitimité de la junte. Mais celui-ci ne contrôle aucun territoire, et n’a été reconnu par aucun gouvernement étranger.
Aung San Suu Kyi reste une figure très populaire en Birmanie, même si son image internationale a été écornée par son incapacité à défendre la minorité musulmane des Rohingyas, victimes d’exactions de l’armée en 2016 et 2017, un « génocide » selon Washington.
« Simulacre » électoral en 2023 ?
L’envoyé spécial de l’Asean (Association des Nations d’Asie du Sud-Est) pour la Birmanie, mandaté pour trouver une sortie de crise, n’a pas été autorisé à la rencontrer lors de sa plus récente visite, fin juin. De nombreux opposants au régime militaire estiment aussi que leur lutte doit dépasser la prix Nobel pour tenter d’en finir avec l’emprise des généraux sur la politique et l’économie de la Birmanie. Des milices ont pris les armes contre la junte dans plusieurs régions de Birmanie, à contre-courant du principe de non-violence prôné par Aung San Suu Kyi.
L’armée au pouvoir, elle, défend son projet d’organiser des élections à l’été 2023. Les Etats-Unis ont déjà rejeté ce « simulacre » d’élections qui ne peuvent être « ni libres ni justes dans les conditions actuelles », selon le secrétaire d’Etat Antony Blinken. Ce lundi, un porte-parole du Département d’Etat américain a d’ailleurs estimé que la nouvelle peine de prison amputée à Aung San Suu Kyi constitue « un affront à la justice et à l’état de droit », et dénonce toujours une « arrestation injuste ».
La junte, de plus en plus isolée sur la scène internationale, a pris le pouvoir par la force sous prétexte de prétendues fraudes aux élections de l’année précédente, remportées de façon écrasante par le parti d’Aung San Suu Kyi, mettant fin à une décennie de transition démocratique. Le putsch a fait plonger le pays dans le chaos. Près de 2 100 civils ont été tués par les forces de sécurité et plus de 15 000 arrêtés, d’après une ONG locale.
Libération avec Agence France Presse – 15 août 2022
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