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La chasse aux organisations non gouvernementales par les militaires est sans pitié

Ne dérogeant pas à ses pratiques politico-administratives autocratiques, c’est par la presse que les organisations de la société civile et les organisations non gouvernementales internationales ont appris cette semaine leurs nouvelles obligations d’enregistrement.

 Alors que le texte était en discussions interministérielles depuis des mois, aucun des ministères de tutelle (ex. Affaires sociales, Santé,…) n’a cru bon de consulter préalablement qui que ce soit ou expliquer les tenants de la réglementation désormais applicable. A l’arrivée, les responsables associatifs sont décontenancés. Ils s’interrogent sur l’avenir de leurs actions et se demandent même pour quelques-uns s’ils vont pouvoir continuer à opérer. Cette déstabilisation est voulue par un régime militaire qui ne voit à l’extérieur de son appareil d’État que des adversaires systémiques. Pour lui, il s’agit de s’assurer de réduire au silence toute opposition susceptible de se faire jour, éradiquer les ressorts financiers et humains qui sous-tendent celle qui existe et qui pourrait perturber le bon ordonnancement des élections générales voulues par les généraux en 2023.

Le texte d’une vingtaine de pages qui vient d’être endossé par le Conseil d’administration de l’État (SAC) et rendu public par les journaux laisse transparaître une volonté de contrôler, au jour le jour, les actions des acteurs non gouvernementaux, nationaux ou étrangers.

Tout rejet d’un enregistrement ne sera d’ailleurs pas susceptible d’appel. La décision sera à la fois définitive et elle s’appliquera en tout point du territoire. Dans un tel contexte, les opérateurs non gouvernementaux entrent dans une grande période d’incertitude administrative. Ils vont devoir gérer une contrainte de plus alors qu’ils peinent déjà, depuis des mois, à fonctionner au quotidien, faute de pouvoir notamment accéder à leurs comptes bancaires et récupérer les versements de leurs bailleurs.

Pour continuer de fonctionner légalement, tous les acteurs non gouvernementaux administrativement reconnus vont devoir se faire réenregistrer. Un screening qui va permettre d’écarter les plus turbulents et des opposants notoires. Quant aux autres, ils ont jusqu’au 27 décembre 2022 pour se soumettre à la loi.

Au passage, la bureaucratie impécunieuse a multiplié par 5 les frais d’enregistrement. Elle a aussi rendu plus complexes, pour ne pas dire plus lentes et sourcilleuses, les procédures d’agrément. Dorénavant, pour travailler à l’échelle nationale ou locale, il faudra obtenir l’agrément de nouvelles administrations notamment celles du très conservateur ministère des Investissements et des relations économiques extérieures et du très policier ministère de l’Immigration et de la main d’œuvre. Il conviendra également de rendre des comptes trimestriellement des actions menées auprès de la Direction des affaires générales (GAD), autrement dit auprès du ministère de l’Intérieur, dont le titulaire du portefeuille est constitutionnellement un militaire.

Dès lors, force est donc de constater qu’en matière sociale et humanitaire, comme dans bien d’autres domaines administratifs, la junte du général Min Aung Hlaing s’emploie méthodiquement à corseter la société mais également à déconstruire assez méthodiquement les efforts d’ouverture qui furent entrepris par le régime militaire du général Thein Sein qui a précédé de 2010 à 2016 l’arrivée au pouvoir d’Aung San Suu Kyi.

Le texte adopté ces jours-ci ne remplace pas en effet un document législatif élaboré par le gouvernement civil chassé du pouvoir par la force mais bien par un devancier rédigé au nom des chefs de la Tatmadaw et avalisé par un parlement élu (Pyidaungsu Hluttaw, loi n°31/2014). Le généralissime d’aujourd’hui n’a en réalité de cesse depuis sa prise du pouvoir de juger comme laxiste les ouvertures qui furent décidées par ses pairs voici dix ans. En ce sens, le SAC est un régime fondamentalement « révisionniste ». La nouvelle « Organisation Registration Law » qui se substitue au régime instauré en 2014 institue ainsi la remise de rapports d’exécution trimestriels aux autorités cantonales, 40 % des ressortissants nationaux bien sous tous rapports dans les conseils d’administrations associatifs et exigera d’être adoubé par le ministère des Affaires étrangères pour ce qui concerne les ONG internationales. Ne pas se soumettre au régime d’enregistrement comme c’est le cas de nombre d’organisations depuis des années voire une décennie, ce sera s’exposer à de lourdes sanctions pénales. Elles pourront aller jusqu’à 5 années d’emprisonnement. Seront aussi passibles de poursuites judiciaires toutes actions pouvant être jugées en liens avec des groupes insurgés ou illégaux, suspectées de soutenir des actions politiques ou religieuses. Dorénavant, il existe une base « légale » pour que les autorités à la main de la junte puissent arrêter et harceler tout employé d’une organisation sans enregistrement. Travailler ou être en contact avec une organisation non enregistrée pourra aussi valoir 2 ans de régime carcéral. Désormais, il est probable que travailler dans les régions sous contrôle de groupes ethniques armés, à moins qu’ils ne soient signataires de l’accord national de cessez-le-feu (NAC), ne devienne impossible.

Les acteurs humanitaires vont non seulement se voir scruter le moindre de leur acte mais leurs capacités d’action vont être grandement entravées, en particulier là où sont les populations les plus vulnérables. Or en 2023 celles-ci seront plus nombreuses que jamais. Les agences des Nations unies estiment à cette heure que 500 000 personnes supplémentaires seront demanderesses d’aide nutritionnelle. Dans quelques mois, la Birmanie comptera 15,7 millions de personnes en insécurité alimentaire sévère et modérée.

Par François Guilbert – Gavroche-thailande.com – 7 novembre 2022

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