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L’histoire méconnue des Canadiens qui ont combattu au Vietnam

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Mike Lepine a 17 ans en 1966 quand il s’enrôle dans l’armée américaine. Né aux États-Unis d’une mère canadienne, il vit alors à Essex, en Ontario. Il s’engage pour conserver sa citoyenneté américaine.

J’avais emmené un ami au bureau de recrutement à Détroit pour qu’il s’enrôle et je me suis retrouvé à passer les tests le 8 décembre. Le 13 décembre, j’étais en route pour recevoir mon entraînement au Kentucky. Ensuite, j’ai été envoyé en Allemagne. Là-bas, je me suis porté volontaire pour aller au Vietnam,” se souvient-il.

Si Mike est américain, ce n’est pas le cas de Keith Tracy. Originaire de Windsor, il a à peu près le même âge que Mike quand il choisit de s’engager dans l’armée américaine, en 1964.

J’étais un jeune homme de 17 ans qui cherchait quelque chose à faire. À l’époque, il n’y avait pas d’emplois ici. Je n’aimais pas l’école. Un jour, j’ai décidé de traverser [la frontière] et j’ai demandé ce que je devais faire pour m’enrôler. Ils m’ont répondu : “Signe ces papiers, tu vas avoir un passeport et tout va s’arranger”, raconte Keith.

Lui-même n’ira jamais au Vietnam, mais ils seront des milliers à y être dépêchés.

Selon les estimations de l’Association des anciens combattants canadiens au Vietnam, jusqu’à 40 000 Canadiens auraient pris cette décision entre 1959 et 1975 et auraient rejoint l’armée américaine durant la guerre dans ce pays. Ils seraient 12 000 à avoir effectivement été envoyés au Vietnam.

Certains d’entre eux avaient la double nationalité; d’autres étaient animés par des convictions idéologiques ou avaient envie de partir à l’aventure. Un grand nombre d’entre eux l’ont fait parce qu’ils n’avaient pas d’autres options. Les emplois se faisaient rares à l’époque et l’armée canadienne, qui réduisait alors ses effectifs, n’engageait plus.

« Ils avaient besoin de gars et prenaient ceux qui voulaient s’engager. »— Une citation de  Ketih Tracy, ancien combattant dans l’armée américaine

Certains de ces futurs soldats se sont engagés parce que leur père avait combattu pendant la Deuxième Guerre mondiale. Ils pensaient donc faire leur devoir eux aussi en allant au Vietnam, explique Greg Maev, candidat à la maîtrise à l’Université de Windsor, qui prépare un mémoire sur la participation de soldats canadiens à la guerre du Vietnam.

Les gens avaient ce sens du devoir d’aller se battre contre les méchants, explique-t-il.

Une fois enrôlés, ces hommes ont été intégrés dans les unités américaines et n’ont pas nécessairement été conscients que d’autres Canadiens étaient déployés sur le terrain.

Beaucoup de Canadiens ont servi sous les drapeaux, mais ils ne le disaient pas. J’ai rencontré des gars qui m’ont dit qu’ils étaient du Missouri, de New York, de Chicago, de la Californie, mais personne ne m’a jamais dit qu’il était de l’Alberta, de l’Ontario ou de quelque part au Canada, se souvient Mike.

Le Canada et la guerre du Vietnam

Après avoir pris une part active en Asie après la Deuxième Guerre mondiale en s’engageant notamment dans la guerre de Corée en 1950 sous l’égide des Nations unies, le Canada change sa politique internationale. Il prend ses distances par rapport à la politique interventionniste des États-Unis et affirme son indépendance et son rôle de gardien de la paix dans le monde.

Pendant la guerre du Vietnam, de 1954 à 1975, et lorsque les Américains ont commencé à envoyer leurs propres soldats, en 1965, les Canadiens ont refusé de se joindre militairement aux Américains. Diplomatiquement, ils ont quand même joué un rôle important, souligne Christopher Gosha, professeur d’histoire à l’Université du Québec à Montréal.

C’est donc contre l’avis de leur propre gouvernement que ces hommes s’enrôlent dans l’armée américaine. Un tel engagement est d’ailleurs illégal pour un Canadien en vertu de la Loi sur l’enrôlement à l’étranger, adoptée en 1937, qui interdit à des citoyens canadiens de s’engager dans une armée étrangère pour participer à une guerre à laquelle le Canada ne participe pas officiellement.

Toutefois, le gouvernement canadien est très conscient du fait que certains de ses ressortissants s’engagent dans l’armée américaine, mais il ferme les yeux.

Cette question est portée à l’attention de Lester B. Pearson, premier ministre à l’époque, qui n’entend rien faire pour contrer le phénomène, souligne Greg Maev.

Pour Mike Lepine, il est aujourd’hui très clair que le Canada a joué un rôle dans cette guerre.

Il faut bien comprendre que le Canada a été impliqué au Vietnam. Cette histoire a commencé en 1959 et a duré jusqu’en 1975. Il manque beaucoup de pièces au puzzle. Le Canada était à l’arrière-scène, mais il n’y a pas eu un seul drapeau canadien sur le champ de bataille, soutient-il.

Le retour, pire que le service actif

Si les soldats américains qui ont combattu au Vietnam ont été très critiqués à leur retour, les Canadiens ont été encore plus mal reçus.

La plupart ont été ignorés. Certains ont été accusés de trahison par d’anciens combattants, d’autres ont été traités d’assassins d’enfants.

La vérité au sujet de toute cette histoire, c’est que ce n’est pas la guerre qui m’a le plus dérangé. C’est quand nous sommes rentrés au pays, parce que nous n’étions pas les bienvenus, se rappelle Mike Lepine, qui est d’abord rentré aux États-Unis avant de revenir au Canada.

« Nous avons été traités de tous les noms. Nous ne parlions jamais du Vietnam. Nous ne savions rien de nos droits. Nous avons fermé notre gueule et nous avons travaillé. »— Une citation de  Mike Lepine, ancien combattant canadien au Vietnam

La Légion royale canadienne refusait de les reconnaître comme d’anciens soldats. Ce n’est qu’en 1994 qu’elle les a acceptés dans ses rangs.

À ce jour encore, le gouvernement canadien ne reconnaît pas leur existence et ne leur octroie aucune pension.

Ça a été la même chose aux États-Unis. Ça leur a pris près de 25 ans pour se faire reconnaître là-bas, souligne Keith Tracy.

C’est toutefois aux États-Unis que les anciens combattants canadiens trouvent du soutien, non seulement de la part d’autres anciens du Vietnam mais aussi du gouvernement américain, qui les prend en charge, notamment pour couvrir leurs frais médicaux.

Cependant, beaucoup ignorent leurs droits.

Les seuls qui le savaient sont ceux qui avaient été gravement blessés, mais la plupart n’étaient pas blessés physiquement. Ils étaient blessés psychologiquement et ne savaient pas où aller, explique Keith.

« J’ai rencontré des gens qui étaient près de mourir et à qui j’ai appris qu’ils pouvaient obtenir de l’aide du gouvernement américain. Ils devaient aller s’inscrire, mais ils ne l’ont jamais fait et n’ont jamais rien reçu. »— Une citation de  Keith Tracy

Un monument pour guérir

Plus de 50 ans après son retour du Vietnam, Mike garde un goût amer de cet épisode de sa vie. Il semble toutefois avoir pansé ses blessures.

Après des années difficiles pendant lesquelles il a sombré, comme tant d’autres, dans la drogue et dans l’alcool, il raconte qu’il est parvenu à remonter la pente en grande partie grâce à sa mère, qui l’a encouragé – ou plutôt forcé – à se prendre en main au nom de tous ceux qui ne sont jamais revenus du champ de bataille.

Toutefois, ce qui a été vraiment thérapeutique pour lui, c’est la construction du monument commémoratif dédié aux anciens combattants canadiens du Vietnam, inauguré à Windsor en juillet 1995.

« Quand le mur a été construit, ça a été le moment pour moi de sortir et de dire que j’étais fier de la personne que j’étais. »— Une citation de  Mike Lepine

Financé par d’anciens combattants américains, The North Wall devait initialement être construit à Ottawa, rappelle Greg Maev.

Selon Keith Tracy, la création du mémorial a eu un effet bénéfique sur plusieurs anciens soldats qui ont commencé à se fréquenter après avoir ignoré l’existence des uns et des autres pendant des décennies.

Le mémorial a ouvert les vannes. Avant, seules les familles savaient ce qui s’était passé, constate-t-il.

Mike Lepine éprouve le même sentiment. Lui aussi a donné un nouveau sens à sa vie en allant à la rencontre d’anciens soldats.

En m’inscrivant à l’Association des anciens combattants au Vietnam, j’ai pris conscience de ce que je voulais être. Je me suis rendu compte que je voulais aider. Ça m’a aidé encore plus, parce que maintenant, je peux en parler. Auparavant, je ne pouvais pas le faire, confie Mike Lepine, aujourd’hui président de la section de Windsor de la North Wall Riders Association et vice-président national.

Le mémorial comporte actuellement le nom de 169 Canadiens qui ont été tués au combat.

Ce devoir de mémoire est toutefois loin d’être terminé puisqu’on ignore encore le nombre exact de Canadiens qui se sont engagés dans l’armée américaine, tout comme le nombre de ceux qui ont perdu la vie sur le champ de bataille. C’est pourquoi Keith Tracy fait des recherches depuis plus de deux ans pour savoir combien de Canadiens ont effectivement servi sous le drapeau américain au Vietnam.

On a les noms de huit [soldats] originaires de Windsor qui sont morts au Vietnam, mais il y en a eu d’autres qui venaient de partout au Canada, précise Keith.

Petit à petit, Keith Tracy rassemble les informations sur chacun des 169 hommes dont le nom est gravé sur le mur pour raconter leur histoire et pour leur rendre leur identité. De nouveaux noms s’ajoutent au fur et à mesure que ses recherches progressent et que des langues se délient.

Il espère que ces morts ne seront pas oubliés et que les générations futures prendront bien soin du mémorial des Canadiens morts au Vietnam. Il souhaite aussi que ce monument soit aussi bien entretenu que ceux des autres guerres.

Pour l’heure, Keith et Mike veulent avoir le sentiment qu’ils ont fait quelque chose de bien. Ils sont heureux de pouvoir parler de ce qu’ils sont et de ce qu’ils ont fait.

Vendredi, ils prendront part aux cérémonies organisées par la Légion royale canadienne près du Monument aux morts au centre-ville de Windsor. Ils seront aux côtés d’anciens combattants qui se sont battus pendant les guerres auxquelles le Canada a pris part, y compris la guerre du Vietnam.

Par Marine Lefèvre – Radio Canada – 11 novembre 2022

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