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Dix ans après, l’exigence de vérité sur la disparition de Sombath Somphone

Notre ami et chroniqueur Yves Carmona a été Ambassadeur de France au Laos. Il nous livre, dix ans après la disparition du militant laotien des droits de l’homme, un retour poignant sur ce kidnapping qui n’est toujours pas élucidé.

Ce nom ne dit sans doute rien à la plupart des lecteurs. Sa disparition il y a 10 ans (exactement le 15 décembre 2012) n’a jamais été élucidée et personne, y compris l’auteur de ces lignes, ne sait où il est ni n’a obtenu d’explication du gouvernement sur sa disparition.

Or au même moment, le gouvernement laotien a su faire preuve d’humanité. Comment expliquer un tel paradoxe ?

1/ La disparition de Sombath a connu une grande résonance

Tout part d’un double malentendu. Le Laos a obtenu l’organisation, pour la première fois, d’un « forum de dialogue », l’ASEM, encore jeune mais où siègent de nombreux chefs d’Etat et de Gouvernement (CEG).

Il s’agissait de mieux équilibrer le triangle Etat-Unis, Europe, Asie dont l’Uruguay round avait montré, avec les réunions régulières et créatrices de normes de l’APEC (Asia Pacific Economic Cooperation) qu’il fallait l’équilibrer d’une branche euro-asiatique, et c’est le Premier ministre Goh Chok Tong ainsi que Jacques Chirac qui l’a mise en œuvre dès l’élection présidentielle de 1995.

Le 9ème sommet des chefs d’État, dont le Président Hollande, et de gouvernements s’est effectivement tenu les 5 et 6 novembre 2012, le forum d’hommes d’affaires (AEBF) – quelque peu acrobatique dans un pays réputé communiste et le forum des peuples (AEPF) ainsi que le forum parlementaire (ASEP). L’ASEM a également donné naissance en 1997 au forum sur la Culture (ASEF) qui relève désormais d’une autre structure.

Double malentendu : le Laos, petit pays pauvre, enclavé, au milieu de l’Asean mais encore peu ouvert avait, sans doute lors de l’ASEM asiatique précédente, levé le doigt pour signifier : « pourquoi pas nous » quand il s’était agit de choisir le prochain pays asiatique organisateur, et personne n’avait eu envie de dire non. Malentendu aussi parce que l’ASEM, ce n’était pas seulement l’organisation parfaite d’une réunion solennelle de deux jours avec le gratin des pays membres, dans un centre de congrès tout neuf dont on avait enlevé peu avant les inscriptions en chinois (son inauguration devait coïncider avec l’ouverture de la ligne chinoise de chemin de fer), car seules des entreprises chinoises payées par la Chine l’avaient construit en un temps record…

C’était aussi l’AEPF, forum des peuples. Ce forum des peuples a réuni à Vientiane, du 16 au 19 octobre 2012 plus de mille délégués représentant des ONG.

C’est là que Sombath, fondateur en 1996 de l’association PADETC et distingué en 2005 par le « prix Ramon Magsaysay » pour avoir su assurer le développement communautaire dans son pays est apparu en pleine lumière et a pris le risque de son enlèvement. La réunion de l’AEPF s’est tenue à l’Institut français de Vientiane, seule salle de réunion assez grande et non inféodée au Pathet Lao. Le public sur les gradins comportait forcément bon nombre de policiers en civil qui ont entendu le courageux Sombat attaquer l’appropriation des terres par des riches au détriment des paysans et défendre une société moins inégalitaire – il n’a jamais attaqué le capitalisme, préférant l’action concrète aux slogans politiques dont il savait qu’ils ne mènent nulle part.

Autre élément de contexte, les attaques de prétendus défenseurs des droits de l’homme qui prenaient à témoin les chefs d’État et de gouvernement de leurs violations.

La directrice de l’ONG Helvetas a été expulsée pour avoir envoyé aux CEG une lettre virulente leur demandant de dénoncer ceux qui allaient les accueillir 6 jours après à l’ASEM., réelles pour certaines, fantasmées pour d’autres – comme les mauvais traitements infligés à certains Hmongs mais pas tous puisque la Présidente de l’assemblée nationale en était issue et qu’une visite dans la région où ils étaient le plus nombreux montrait que beaucoup cherchaient à faire vivre leur identité dans un pays pauvre, pas à attaquer le régime.

Celui-ci était et reste avant tout soucieux de défendre l’intégrité d’un pays qui a dû depuis des siècles la défendre, avant même la colonisation et l’atroce guerre du Vietnam dont le Laos a été – et est encore à travers les bombes non explosées – la victime collatérale.

2/ 10 ans après avoir été enlevé, Sombath n’est pas oublié.

Son épouse Shui Meng a écrit le 15 décembre sur Facebook : « En ce 10ème anniversaire de la disparition de Sombath, je veux rappeler à tous que Sombath a travaillé pendant plus de 30 ans à améliorer les conditions de vie des pauvres du milieu rural en faisant en sorte que les produits de l’agriculture, l’artisanat et autres produits accèdent au marché en créant des entreprises d’échange socialement équitable. Il a fondé Taibaan (appelé formellement Saoban) pour qu’elle permette l’accès au marché d’un artisanat fabriqué par des villageoises. Sombat Somphone ne veut qu’une chose : voir les conditions de vie de Laotiens ordinaires s’améliorer. Nous n’oublierons pas Sombat Somphone. »

Il est d’autant moins oublié que l’association qu’il a fondée, le Padetc, existe et continue plus que jamais à remplir sa mission.

A l’ASEM asiatique suivante, à Oulan Bator en 1976, a été adoptée cette déclaration :

« Enforced Disappearance of Sombath Somphone.

On 15th December 2016, it will be four years since the enforced disappearance of Sombath Somphone. Sombath was one of the main organizers of AEPF9 held in Vientiane just before ASEM9. Sombath’s abduction on 15th December 2012 was captured by a police CCTV camera. Since then, the Lao Government has provided no meaningful information to Sombath’s family, friends and the public about his abduction and continuing disappearance. Instead, successive statements and actions by the Lao Government indicate a continuing denial of its basic responsibility and obligations.

We should be reminded that while concerns continue to be raised in the confines of the Universal Periodic Review and similar human rights dialogues, the policies and programmes of governments, donors, and development agencies remain largely unaltered. While Laos is the chair of ASEAN this year, for the first time in its history the parallel ASEAN People’s Forum must be held in another country.

We remind all ASEM member states of their human rights obligations, both domestically and internationally. We sincerely demand that the Lao Government complete their investigation into Sombath’s disappearance, make public the investigation report, and take forward appropriate legal processes against the perpetrators of the crime. We urge ASEM member states to monitor the fulfillment of these demands and ensure that Sombath and his family receive the justice that is surely their right and that he is returned safely to his family. »

3/ Comme de coutume, tentons de reconstituer les faits.

Ils sont évoqués de manière accablante dans la déclaration ci-dessus. Sombath circulait dans sa voiture personnelle sur une des avenues les plus fréquentées de la ville le 15 décembre quand il a été arrêté. On voit sur les images des caméras de surveillance, images qui ont été filmées par son épouse Shui Meng, inquiète de ne pas le voir revenir, sur les écrans de la police (!) un homme le faire sortir de force de sa voiture et l’obliger à monter dans un autre véhicule parti ensuite pour une destination inconnue. Personne ne l’a plus jamais revu.

Les images que chacun peut consulter témoignent de l’amateurisme de son enlèvement, cela fait penser aux escadrons de la mort. En général, dans les dictatures y compris au Laos, on s’y prend de manière mieux préparée pour faire disparaître les adversaires du régime.

Elle a en tout cas suscité une émotion considérable y compris dans la communauté diplomatique dans son ensemble au début, notamment singapourienne puisque l’épouse de Sombath en avait la nationalité, mais bien vite les diplomates asiatiques, sans doute sur instructions, ont évité de poser au gouvernement des questions désagréables. Restaient les Occidentaux et en particulier ceux de l’Union européenne dont les représentants n’ont jamais manqué de rappeler le cas Sombath aux Tables rondes sur le développement (de 2013 à 2015) qu’elle co-présidait, dont le rapport était porté au Président Sayasone, ou aux membres laotiens du gouvernement, prenant le risque d’expulsion.

S’ils ont tous considéré comme inacceptable cet enlèvement, ils ont fini par renoncer à interpeller le pouvoir.

D’autre part, des rumeurs très tôt ont tenté de déconsidérer Sombath, l’accusant de s’être enfui en Thaïlande avec une jeune femme et allant jusqu’à prétendre savoir où il se trouvait pour extorquer de l’argent à son épouse (source personnelle). L’objectif était comme il est fréquent de terroriser, à telle enseigne qu’une plaisanterie émise auprès d’un directeur adjoint du protocole du ministère des affaires étrangères a suscité de sa part l’effroi : « je ne sais rien, je ne veux rien savoir ».

4/ Pourtant, au plus haut du pouvoir, un homme, un des quatre vice-premier ministres, Somsavat Lengsavad, a montré en maintes occasions qu’il voulait aussi le bien de son pays. A plusieurs reprises, bien que lui-même d’origine en partie chinoise, il a téléphoné en plein entretien au préfet de Luang Prabang, capitale royale dont il était originaire, pour éviter que le chemin de fer chinois ne passe au milieu de la ville. Il a ensuite pris sa retraite en disparaissant de la nomenklatura du Pathet Lao et le chemin de fer a finalement été réalisé, sans qu’aucune relation ne puisse bien sûr être établie entre ces deux faits.

Conclusion : l’auteur de ces lignes ne peut s’empêcher de penser que la disparition de Sombath est plus une bavure qu’un enlèvement décidé au sommet du pouvoir. Il a été victime de rapports de force au sein de l’équipe dirigeante, les « extrémistes » se sentant menacés et trouvant que les « modérés » étaient trop mous – mollesse à relativiser si on pense que le même régime est né dans le massacre du couple royal et la mort d’un nombre indéterminé de Laotiens, la fuite des plus chanceux à travers le fleuve Mékong et encore aujourd’hui expulse ou menace d’expulsion ceux qui osent élever la voix – et ont donc improvisé l’enlèvement d’une personnalité gênante.

Reste que son épouse Shui Meng veut croire qu’il va revenir et la cruauté d’un tel traitement ne saurait faire l’objet d’un pardon – peut-être l’aveu de ceux qui savent sera-t-il formulé un jour.

Par Yves Carmona – Gavroche-thailande.com – 25 décembre 2022

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