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Le spectre de la crise politique plane de nouveau en Thaïlande

Avec la dissolution de l’Assemblée nationale le 20 mars dernier par le Premier ministre, Prayuth Chan-o-cha, la Thaïlande a renoué avec l’instabilité politique qui la caractérise depuis le dernier coup d’État de 2014.

Les prochaines élections législatives doivent en principe se tenir avant le 14 mai et verront s’affronter le parti de la junte militaire, dirigé par l’actuel Premier ministre et ancien général, candidat à sa réélection, avec le parti Pheu Thai de l’ancien Premier ministre, Thaksin Shinawatra. Ce dernier, renversé par un coup d’État en 2006, et depuis en exil au Cambodge, a placé sa fille Paetongtarn à la tête du clan. Sa sœur Yingluck avait quant à elle dirigé le pays entre 2011 et 2014.

Très populaire dans le Nord-Est du pays et disposant d’un vaste soutien parmi la classe moyenne, le retour au pouvoir du clan Thaksin n’est pourtant pas acquis en raison des modifications législatives apportées par la junte. Après le coup d’État de 2014, puis le putsch de 2019, les généraux ont imposé dans la constitution qu’une majorité permanente leur soit garantie au Sénat, ce qui complique la nomination d’un Premier ministre non soutenu par les militaires.

Malgré ses victoires à toutes les dernières élections législatives, le clan Thaksin n’a donc pas réussi à revenir au pouvoir, car sa majorité à la Chambre basse n’était pas suffisante pour compenser celle des militaires au Sénat. Pour espérer la victoire, il leur faudra remporter 376 sièges sur 500.

Mais, cette fois-ci, le contexte est un peu différent car le général Prayuth pourrait être victime de scissions au sein de la junte : une seconde formation dirigée par Prawit Wongsuwan, 77 ans, actuel vice-premier ministre et ancien commandant en chef de l’Armée royale, se présente également. Il menace même d’une alliance avec le camp Thaksin.

Dans le scénario – toujours probable – où Pheu Thai remporterait les élections mais sans la majorité nécessaire pour récupérer le poste de Premier ministre, le pays se retrouverait de nouveau dans une impasse politique. Les militaires garderaient certes le pouvoir, mais seraient obligés de s’appuyer sur Pheu Thai pour gérer les affaires courantes, et notamment tous les aspects budgétaires.

Enfin, n’oublions pas que la Thaïlande demeure une monarchie, dans laquelle la figure du roi est élevée au rang divin et où le blasphème envers la famille royale est sévèrement puni. Bien moins populaire que son père Rama IX, le roi Rama X, en fonction depuis 2016, n’a pas redoré son image en allant se confiner dans un hôtel de luxe en Allemagne, accompagné de son harem, durant une grande partie de la pandémie. Des manifestations avaient éclaté en juillet 2020 afin de réclamer la fin de la monarchie constitutionnelle, jugée trop autoritaire et accusée de trop de complaisance envers les mili­taires et la répression politique mise en place par la junte. Alors que la campagne en vue des futures élections débute à peine, le roi n’a cependant affiché aucun soutien officiel.

Soutenir la reprise

Pourtant, c’est bien de stabilité dont le pays aurait besoin, après une série de chocs. Le premier a bien sûr été celui du Covid, qui a mis à terre le secteur touristique.

Alors que la Thaïlande accueillait 40 millions de visiteurs par an en 2019, les flux se sont effondrés en 2020 et 2021. La réouverture des frontières en 2022 a donné un peu d’air, avec environ 12 millions de touristes. Les autorités en espèrent environ 25 millions en 2023. La grande question reste celle du retour des touristes chinois, qui représentaient jusqu’à un tiers du total avant la pandémie.

Deuxième choc, celui de la hausse du prix des matières premières, notamment alimentaires et énergétiques, qui est venue alimentée l’inflation à partir de début 2022. Après un pic à 7,9% en août, l’inflation a commencé à décélérer, et atteignait 3,8% en février.

Heureusement pour la banque centrale, la hausse des prix volatils ne s’est pas transmise à l’inflation sous-jacente, demeurée à des niveaux assez modérés, et surtout très stables, autour de 3%. Cela lui a permis de relever ses taux de manière extrêmement lente et graduelle (+100pb depuis juillet, par pallier de 25pb), et donc de mieux résister face aux contraintes liées au resserrement monétaire américain. 

Conséquence directe de la hausse des matières premières – importées – et de la baisse du nombre de touristes, les équilibres extérieurs se sont détériorés. Le solde courant, historiquement excédentaire grâce à la manne touristique, est devenu déficitaire en 2021 (-2,2% du PIB) et 2022 (‑0,5% du PIB). Le solde commercial enregistre également un déficit qui continue de se creuser depuis mars 2022.

Le retour des touristes, qui a déjà permis de soutenir le baht qui s’est réapprécié face au dollar depuis octobre, devrait aussi conduire le pays à dégager un excédent courant cette année. 

Au final, la croissance devrait accélérer en 2023, pour atteindre 3,7%, après 1,5% en 2021 et 2,8% en 2022, soutenue par la reprise de la consommation des ménages et des exportations de services.

Mais ce scénario repose évidemment sur l’hypothèse que le processus électoral aboutisse et que son résultat, quel qu’il soit, soit accepté par les différents camps. Même si les destinations les plus touristiques – les plages et les îles du Sud – ne sont pas celles dans lesquelles la contestation pourrait être la plus forte, les visiteurs internationaux pourraient modifier leurs plans de vacances en raison d’un contexte politique trop instable.

Notre opinion – La vie politique thaïlandaise n’est pas de tout repos : depuis 1990, le pays a dû faire face à trois coups d’État, en 1991, 2006 et 2014. L’implication de l’armée dans la sphère politique, l’absolutisme de la monarchie et la prédominance d’un seul grand parti d’opposition contribuent à cette instabilité chronique. Pourtant, c’est bien de stabilité dont la Thaïlande aurait besoin pour tirer son épingle du jeu dans une zone en pleine mutation, où les opportunités liées aux recompositions de certaines chaînes de valeur vont conduire les États à une concurrence acharnée pour attirer de nouveaux investisseurs. Dans ce cadre, l’absence de visibilité n’est jamais un avantage.

La croissance devrait accélérer en 2023, pour atteindre 3,7%, après 1,5% en 2021 et 2,8% en 2022, soutenue par la reprise de la consommation des ménages et des exportations de services. Mais ce scénario repose évidemment sur l’hypothèse que le processus électoral aboutisse et que son résultat, quel qu’il soit, soit accepté par les différents camps.

Par Sophie Wieviorka – Crédit Agricole Eco – 30 mars 2023

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