L’influence des investissements chinois à Sihanoukville, au Cambodge
Le professeur Gabriel Fauveaud, du Département de géographie de l’UdeM, s’est rendu à Sihanoukville, au Cambodge, pour y constater les effets socioéconomiques des investissements chinois.
Sihanoukville, une petite ville portuaire sur la côte sud du Cambodge faiblement peuplée il n’y a pas si longtemps, a connu une métamorphose radicale ces dernières années en raison d’investissements massifs en provenance de Chine. Dans le cadre d’un projet de recherche qu’il mène depuis 2020, le professeur Gabriel Fauveaud, du Département de géographie de l’Université de Montréal, s’est rendu sur place pour évaluer les effets sociaux, économiques et spatiaux de cette transformation.
Des investissements massifs en provenance de Chine
Avant 2017, Sihanoukville comptait environ 60 000 habitants. Cependant, des investissements massifs chinois ont complètement changé la donne: la ville a explosé démographiquement, passant à près de 300 000 habitants en 2019 et devenant la deuxième ville en importance du Cambodge, après la capitale, Phnom Penh. Ces investissements ont touché tous les aspects de la ville, entraînant la construction d’infrastructures comme des complexes immobiliers de luxe et l’implantation de zones économiques spéciales et de casinos.
Les nouvelles infrastructures, notamment les autoroutes et les barrages hydroélectriques, ont façonné le paysage urbain, tandis que les zones économiques spéciales ont attiré des entreprises étrangères. Les appartements en copropriété et les casinos ont également proliféré, séduisant non seulement des investisseurs chinois, mais aussi des touristes du même pays.
Effet de la pandémie et répercussions sociales
Cependant, la pandémie de COVID-19 a fortement freiné cette expansion. Les restrictions ont ralenti la frénésie de la construction, laissant derrière elles plusieurs centaines de bâtiments inachevés. De plus, la crise sanitaire a mis en lumière des problèmes tels que le blanchiment d’argent et des cas d’esclavagisme dans la ville, liés aux activités illicites et aux jeux en ligne.
Au cours d’un séjour de trois semaines en juin à Sihanoukville, le professeur Fauveaud a exploré les dynamiques actuelles de la ville, issues d’une phase de boum, d’arrêt, puis de redémarrage des activités.
«Des lois visant à contrôler certaines activités ont été mises en place, mais la ville cherche à se défaire de son image liée aux scandales et aux arnaques en ligne, souligne Gabriel Fauveaud. L’arrivée de touristes chinois a redonné vie aux activités, mais la question de la légitimité de ce développement demeure.»
La face cachée de la vie nocturne
Les entretiens que Gabriel Fauveaud a eus avec diverses personnes sur le terrain – des chauffeurs d’autopousse (tuk-tuk) aux travailleurs de la construction en passant par les acteurs des activités illicites et extralégales – ont dévoilé les aspects cachés de l’économie, notamment les jeux en ligne et les entreprises de cyberescroquerie, qui font tourner en grande partie l’économie de la ville.
Le chercheur a principalement observé la vie nocturne de Sihanoukville, où la lumière des bâtiments attire les touristes tout en dissimulant des activités en coulisse. Les organisations de jeux en ligne et d’escroquerie ont pignon sur rue à l’arrière des bâtiments, surveillés par des agents de sécurité et fonctionnant 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Selon les estimations du professeur Fauveaud, jusqu’à 80 % de l’économie de la ville seraient liés à ces activités cachées.
Toutefois, les bâtiments vides, témoins de projets inachevés, ont été récupérés par des travailleurs à faible revenu, devenant ainsi des milieux de vie pour plusieurs familles. Malgré les critiques internationales sur le développement urbain et les activités illicites, ces lieux vacants ont trouvé un nouveau souffle, selon Gabriel Fauveaud.
Les conséquences sociales et économiques à long terme
Pour l’heure, le projet de recherche de Gabriel Fauveaud révèle la dualité entre les ambitions économiques chinoises et les défis sociaux et économiques qui en résultent pour la population locale.
De fait, les investisseurs chinois ont remodelé la ville et la région tout en laissant derrière eux des bâtiments inachevés et des questions sur la légitimité du développement.
«Sihanoukville est un exemple vivant des conséquences complexes des investissements étrangers massifs dans un contexte de développement urbain rapide, conclut-il. Mais les répercussions à long terme de cette transformation socioéconomique sur les Cambodgiens, les investisseurs chinois et la dynamique régionale restent encore à voir.»
Les résultats de ce volet de son projet de recherche seront prochainement publiés*.
* Gabriel Fauveaud, «Violence and the making of land subalternity in Sihanoukville, Cambodia», Justice spatiale = Spatial Justice, n° 18, 2023, à paraître.
Par Martin Lasalle – Nouvelles.umontreal.ca – 7 septembre 2023
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