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Le Vietnam en guerre contre ses experts écologiques

Le Vietnam, un des cinq pays les plus vulnérables face aux changements climatiques, semble être entré depuis deux ans dans une phase de répression de ses experts et de ses militants environnementaux. Une vague qui vient d’emporter l’analyste et conseillère en transition énergétique Ngo Thi To Nhien, dont l’arrestation le 15 septembre dernier a été finalement confirmée dimanche par Hanoï. Elle est accusée « d’appropriation de documents ».

Cela porte à huit le nombre de personnes oeuvrant dans le domaine de l’adaptation aux changements climatiques et de la transition énergétique arrêtées et jetées en prison depuis 2021, souvent sous des prétextes opportunistes, comme la « fraude fiscale », dénoncent plusieurs organisations internationales.

Ces groupes s’inquiètent au passage du caractère contre-productif de cette campagne répressive visant à faire taire des personnes pourtant clefs dans les mutations économiques et sociales souhaitables pour que le Vietnam puisse affronter les dérèglements climatiques en cours.

« Nous sommes profondément préoccupés par les violations des droits de la personne et par la répression contre la société civile au Vietnam », a dénoncé cette semaine Susanne Wong, d’Oil Change International, un groupe de réflexion sur le climat. Une transition énergétique juste est impossible à l’heure actuelle dans le pays, tant que des représentants de cette société civile sont enfermés. » Et d’ajouter : « Vietnam, le monde regarde ! Vous ne pouvez pas être un leader climatique et enfermer vos détracteurs. C’est aussi simple que cela. »

Loin d’être une activiste pour l’environnement, Ngo Thi To Nhien était surtout, au moment de son arrestation, une experte reconnue à l’échelle internationale en politique énergétique, directrice de l’Initiative vietnamienne pour la transition énergétique. Elle a travaillé pour le gouvernement vietnamien comme conseillère technique et politique dans le développement du Partenariat pour une transition énergétique juste. Il s’agit d’un accord doté d’une enveloppe de 15,5 milliards de dollars américains signé entre le Vietnam et les pays du G7, dont le Canada fait partie, pour soutenir la transition du pays vers les sources d’énergie renouvelables. Le plan vise à aider Hanoï à atteindre, entre autres, son objectif de neutralité carbone d’ici 2050.

Le gouvernement lui reproche d’avoir eu en sa possession des documents à circulation restreinte portant sur la « planification politique et le développement du réseau électrique du groupe EVN [la société nationale d’électricité du Vietnam] », ont rapporté dimanche les médias d’État.

Des « lois abusives et trop larges »

Avec cette nouvelle inculpation dans le secteur des changements climatiques, Hanoï poursuit une série d’arrestations amorcée en 2021 avec les militants écologistes très en vue au Vietnam Dang Dinh Bach, Mai Phan Loi et Bach Hung Duong. L’an dernier, Nguy Thi Khanh et Hoang Ngoc Giao se sont également retrouvés devant la justice pour répondre à des accusations d’« évasion fiscale » basées sur l’article 200 du Code pénal. Deux autres personnes gravitant dans l’univers de la transition énergétique, Duong Duc Viet et Le Quoc Anh, experts en transport et systèmes électriques, ont également été arrêtés en septembre, aux côtés de Ngo Thi To Nhien.

Le gouvernement du Vietnam se trouve aussi sous un feu nourri de critiques après avoir condamné la semaine dernière à trois ans de prison Hoang Thi Minh Hong, militante environnementale de premier plan et fondatrice de l’organisme Change, qui cherche à mobiliser la jeunesse du pays à l’action contre les changements climatiques. Elle était accusée, elle aussi, de fraude fiscale.

Jeudi dernier, le département d’État américain s’est d’ailleurs dit « préoccupé » par cette condamnation, et a appelé Hanoï à « libérer toutes les personnes injustement détenues et à respecter le droit à la liberté d’expression et d’association de toutes les personnes au Vietnam ».

« Les dirigeants d’ONG comme Hoang Thi Minh Hong jouent un rôle essentiel : ils contribuent à relever les défis mondiaux, à proposer des solutions durables dans la lutte mondiale contre la crise climatique et à combattre le trafic d’espèces sauvages et de bois », a ajouté la diplomatie américaine. Ces trafics nourrissent des réseaux de corruption dont profitent plusieurs dirigeants et hauts fonctionnaires vietnamiens. En 2022, la corruption au Vietnam était perçue comme moins importante qu’au Kosovo, mais plus qu’en Afrique du Sud, au Sénégal et au Ghana, selon Transparency International.

« Le gouvernement vietnamien utilise ses lois abusives et trop larges pour poursuivre en justice les personnes qui demandent des réformes », a résumé Phil Robertson, directeur adjoint de la division Asie de Human Rights Watch, en juin dernier, après l’arrestation du militant anticorruption Dang Dang Phuoc. L’organisation internationale a dénoncé l’an dernier des campagnes portant atteinte à la liberté de circulation des activistes dans le pays.

Le Royaume-Uni a rappelé à Hanoï son engagement à consulter les « ONG, les médias et d’autres parties prenantes dans le cadre du Partenariat pour une transition énergétique juste » et a exhorté le gouvernement vietnamien « à garantir que les organisations de la société civile peuvent fonctionner et s’impliquer sans crainte de ciblage ou de poursuites ». Le Canada n’a pas fait de déclaration sur ces récentes arrestations et condamnations.

Dimanche, Hanoï a dénoncé « des informations calomniant » le Vietnam diffusées par des « agences de presse étrangères et des organisations réactionnaires exilées » dans la foulée de l’arrestation de Ngo Thi To Nhien. Le Vietnam n’arrête pas « les militants pour l’environnement » et considère les déclarations contraires comme « un acte d’ingérence dans les affaires internes » du pays, a souligné le lieutenant-général To An Xo, voix du pouvoir, dans la presse d’État.

Malgré les signes d’ouverture du régime vietnamien exposés par le Doi moi [renouveau], ce train de réformes économiques amorcé en 1986 par le Parti communiste, le Vietnam revient aux racines de son autoritarisme depuis plusieurs années, et davantage depuis le troisième mandat à la tête du Parti obtenu en 2021 par le très conservateur secrétaire général Nguyen Phu Trong.

Par Fabien Deglise – Le Devoir (.ca) – 5 octobre 2023

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