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Birmanie : «L’escalade du conflit dépendra des effectifs dans l’armée»

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La Birmanie est confrontée depuis un coup d’État militaire il y a trois ans à une guerre civile qui se déroule depuis trois ans sur plusieurs fronts. Fin octobre, le conflit entre les insurgés et l’armée birmane s’est intensifié au point de faire vaciller la junte au pouvoir. Entretien avec Lway Mownt Noon, révolutionnaire, ancienne prisonnière politique et militante féministe de la minorité ethnique Ta’ang.

RFI : Le 27 octobre dernier à l’aube, l’Alliance des trois fraternités composée de trois groupes armés ethniques a lancé une opération coordonnée contre l’armée birmane dans l’État Shan, au nord-est du pays. En quoi cette opération est-elle inédite en près de trois ans de guerre civile ?

Lway Mownt Noon : Cette mission a été gardée dans le plus grand secret. Personne n’était au courant des préparatifs, jusqu’à l’attaque, pas même le gouvernement d’unité nationale. L’opération est une réussite, car elle a été gardée secrète et parce que l’armée de l’alliance démocratique birmane, l’armée de l’Arakan et l’armée de libération nationale ta’ang, valorisent la coopération et la collaboration et se soutiennent mutuellement. L’opération visait à renverser le régime militaire, démanteler les réseaux de fraudes en ligne à la frontière avec la Chine, et surtout reconstruire l’État et protéger sa population, toute la population, qu’elles aient la citoyenneté, une pièce d’identité ou pas.

Concrètement, comment les objectifs militaires se sont-ils traduits sur le terrain ?

L’Alliance des trois fraternités a bloqué la route principale qui relie Mandalay à la frontière chinoise et elle contrôle désormais la zone frontalière, les passages frontaliers et s’est emparé de douze villes. Les cartes montrent que jusqu’à présent les révolutionnaires ont pris le contrôle de 50% du territoire. Ce qui signifie que la junte est en train de s’effondrer. L’opération du 27 octobre s’est propagée non seulement dans l’État Shan mais dans tout le pays, surtout dans les régions de Sagaing, de Mandalay et dans l’État Rakhine.

La détermination et la ténacité de l’Alliance ont proliféré à Sagaing, où les Forces de défense du peuple et les autres forces armées ethniques ont entendu parler du succès de l’opération dans le nord de l’État Shan ce qui les a encouragées à s’emparer de bases militaires dans l’État Kachin et la région de Sagaing. C’est pourquoi je dirai qu’il y a un avant et un après l’opération de l’Alliance. Les choses sont très différentes aujourd’hui.

Le 12 janvier, la junte et les groupes insurgés du nord de l’État Shan ont conclu un accord de cessez-le-feu. Cette trêve – pas toujours respectée – a été obtenue grâce à une médiation chinoise. Comment interprétez-vous cette implication de la Chine ?

La Chine a poussé au cessez-le-feu, qui devait être confidentiel au départ, mais la nouvelle s’est répandue partout. La junte militaire avait énormément de demandes auxquelles l’Alliance n’a pas adhéré. Ce n’est qu’au troisième round de négociations que l’Alliance a accepté de rouvrir les postes frontières. La raison, c’est que les communautés mixtes qui vivent dans cette région dépendent beaucoup de la Chine. Comme la principale artère qui relie Mandalay à la Chine était bloquée par nos forces, la communauté chinoise a appelé le gouvernement chinois à intervenir.

La Chine a pesé de tout son poids dans ces négociations. Elle ne s’attendait pas du tout à un tel succès de l’offensive de l’Alliance. Si l’Alliance avait échoué, la Chine ne l’aurait pas suivie. Pékin poursuit sa propre politique étrangère et ses intérêts. Il y a de nombreux projets d’investissements chinois dans l’État Shan et dans le nord de cet État. Vous avez aussi les nouvelles routes de la soie dans l’État Rakhine. Tous ces investissements chinois se trouvent dans les régions des armées ethniques ta’ang, arakanaise et du nord de l’État Shan.

Quelle est la situation à l’intérieur de l’armée birmane ? Percevez-vous des signes avant-coureurs d’un effondrement ?

Dans le nord de l’État Shan, la junte a déjà perdu beaucoup de villes, un grand nombre de soldats et d’officiers de haut rang ont rendu les armes. Une multitude de bases militaires ont été saisies à la junte, et on compte de nombreuses victimes parmi les soldats. Environ 4000 militaires et leur famille sont restés en vie et ont été capturés. L’armée ta’ang est signataire de la Convention de Genève, les prisonniers, informateurs et leurs familles ne sont pas tués.

Les autres membres de l’Alliance respectent ces mêmes règles. Il y a deux semaines, 300 militaires ont déserté pour fuir en Inde, ils ont été ramenés au QG de l’armée. Un avion de l’armée a récemment été abattu par l’armée arakanaise. Ils sont en train de perdre leurs bases, les affrontements intenses un peu partout incitent des militaires à faire défection. De là à prévoir l’effondrement, on ne peut pas savoir. Tout dépendra du nombre de militaires qui refuseront de combattre les révolutionnaires. L’escalade du conflit dépendra des effectifs dans l’armée birmane.

Quelles sont selon vous les faiblesses du côté des forces de résistance anti-junte ?

Le plus gros problème vient du centre, du cœur du pays. Les forces de défense du peuple, en particulier celles dirigées par l’ethnie majoritaire Bamar, ne sont pas unies. Elles ne collaborent pas entre elles, ne se soutiennent pas et n’ont pas de commandant. C’est pourquoi j’appelle le Gouvernement d’Unité Nationale et surtout le ministre de la Défense du gouvernement civil en exil de renforcer leurs capacités et de prendre le contrôle des PDF Bamars. Vous savez, dans l’État Shan, il y a un leader, pareil chez les ta’ang, partout dans les régions ethniques il y a un leader.

Le problème ce sont les Bamars et c’est Aung San Suu Kyi qui est responsable de ce déséquilibre entre les révolutionnaires. Sa libération ne ferait que créer davantage de difficultés aussi bien pour les Bamars que les communautés ethniques. Pour atteindre les objectifs, mettre fin à la dictature militaire et construire une union fédérale, le gouvernement d’unité nationale doit être à la manœuvre. Mais il n’en a pas encore les capacités et ça, c’est un problème. Toutes les leaders des forces de résistance armée sont à l’intérieur du pays, le ministre de la Défense lui est à l’étranger.

La communauté internationale fait elle assez pour aider à mettre fin à ce conflit ?

Le 12 janvier, nous avons célébré le 61e anniversaire de la révolution Ta’ang. Nous Ta’ang sommes une minorité à l’intérieur d’une minorité. Nous sommes deux fois plus réprimés et soumis à une double domination, par les Shan et les Birmans. Nous avons plusieurs fois alerté la communauté internationale sur la nécessité de couper les principales sources de revenus de la junte. Tout report des sanctions contre la junte signifie davantage de victimes. On écoute mes appels, mais ils ne sont pas suivis d’effets avec des actions concrètes pour sanctionner le gaz, les minerais et les entreprises sous contrôle de la junte. Cette inaction nous a poussé à accroitre notre collaboration dans le pays, entre nous.

En tant que militante, je n’en veux pas à la communauté internationale, je peux comprendre ses intérêts. Quand je parle à mes frères et mes sœurs sur le terrain, je leur dis : “C’est le moment de renverser le régime militaire, ne reportez pas, il faut agir maintenant” !

Par Jelena Tomic – Radio France Internationale – 1er Février 2024

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