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La conscription, nouveau champ de bataille entre la junte et son opposition (1/2)

Depuis la promulgation de la loi sur le service militaire le 10 février, celle-ci ne cesse d’avoir des échos en Birmanie, dans les États voisins, et suscite des spéculations sur l’évolution des conflits armés. Un point de consensus toutefois : tout le monde a bien compris que le général Min Aung Hlaing cherche concomitamment à regarnir les rangs de ses régiments d’infanterie exsangues et à limiter le flux continu des jeunes Bamars rejoignant les groupes de la résistance armée. L’objectif du généralissime n’est pas seulement guerrier et court-termiste. La conscription lui offre l’opportunité de nouvelles manœuvres politiques voire politiciennes.

Avec des conscrits en nombre, la Tatmadaw est appelée à changer d’identité

Avec cet instrument jusqu’ici jamais employé, le numéro 1 du Conseil de l’administration de l’État (SAC) peut changer la nature même de l’affrontement qui l’oppose depuis trois années aux démocrates et aux groupes ethniques armés.

En introduisant une nouvelle composante sociétale dans les rangs d’une armée jusqu’ici de métier, il transforme une opposition « Armée – Nation » en un affrontement « Armée-Nation – Nation en armes ». Mais a-t-il bien évaluer tous les effets à moyen – long terme d’une décision qui va changer la nature d’une armée qui vit depuis des décennies en vase clos, à côté du reste de la société ? En attendant que ces changements se fassent sentir, l’artificialisation du soutien de la Nation à son armée par la voie des appelés du contingent va avoir pour conséquence un prix du sang d’abord payé par les « civils », ceux-ci s’entretuant pour mettre au-dessus de la mêlée une institution militaire gérée par un quarteron de généraux décidé à se maintenir au pouvoir à n’importe quel prix.

La Tatmadaw ne pourra pas recruter tous les soldats dont elle estime avoir besoin

Pour tenter de regagner le terrain militaire perdu, le commandant-en-chef des services de défense a besoin de troupes fraiche et en nombre. Toutefois, les premiers appelés du contingent ne seront pas disponibles pour cette saison sèche dont la fin approche (mai). L’objectif est donc de moyen terme. Il s’agit de mettre sous les drapeaux environ 60 000 jeunes hommes et femmes chaque année. Mathématiquement, cela veut dire que la Tatamadaw est appelée à avoir 120 000 personnels de plus d’ici-là mi-2026. A cet horizon, il est très vraisemblable que ce seuil ne sera pas atteint. D’ores et déjà, le porte-parole de l’armée, le major-général Zaw Min Tun, le revoit publiquement à la baisse. Selon lui, les enrôlements annuels ne devraient pas dépasser les 50 000, pour des raisons de contraintes budgétaires dit-il.

Dans les mois qui viennent, on sera plus proche de 4 000 soldats enrôlés par mois que les 5 000 avancés par les mêmes sources officielles il y a une semaine. Avec une différence de plus 15 % dans les effectifs promis, on voit bien combien le ministère de la Défense de Nay Pyi Taw navigue à vue. Si les filiales en charge de l’habillement des conglomérats militaires se mettent en situation de fournir rapidement les uniformes et les treillis des recrues, il n’est pas certains que les arsenaux soient suffisamment pourvus en armes pour les équiper or les fusils et autres armements automatiques ne se produisent pas aussi vite que des pièces de textile, leur acheminement jusqu’à leurs destinataires n’est pas non plus sans risque en ces temps troublé.

Face aux incertitudes sur les effectifs disponibles et leurs dotations, pas facile pour les états-majors de planifier des opérations d’envergure à six mois – un an nécessitant d’engager des conscrits. Cette perspective est normalement théorique.

Comme s’y emploie la communication de la junte, l’appel sous les drapeaux viserait d’abord à faire prendre conscience aux jeunes le rôle de la défense nationale et non à rassembler de la nouvelle chair à canon. Mais puisque la Nation elle-même est en danger, à la tête du Conseil national de défense et de sécurité nationale le général Myint Swe ayant été jusqu’à dire que « le pays risque de se désagréger si le gouvernement ne parvient pas à maîtriser les combats », on peut douter que la junte se contentera de conscientiser les jeunes et ne voudra pas les engager rapidement sur des théâtres d’opération.

En attendant de savoir où et comment les nouveaux soldats seront employés, d’ici le début de l’année prochaine, c’est probablement plus de 30 000 personnes qui vont devoir revêtir l’uniforme pour au moins deux ans.

Sachant que cette mesure est loin d’être accueillie favorablement dans la société, les communicants de la junte s’évertue maintenant à expliquer la conscription par « la situation présente », celle qui justifie l’extension de l’état d’urgence tous les six mois. L’introduction de la conscription serait donc principalement imputable aux comportements de l’opposition qui a décidée de recourir à la lutte armée et à des actions « terroristes » contre l’État, ses représentants et la religion bouddhiste (moines et lieux de culte).

Compte tenu du rejet massif des chefs de la junte dans l’opinion publique birmane, il n’est pas sûr que l’opposition démocratique soit, à ce stade, blâmée pour l’introduction de la circonscription. Nombre de Birmans y voient plutôt un moyen pour les chefs militaires de se maintenir coûte que coûte au pouvoir. Au retour des premiers sacs mortuaires de conscrits tués au feu, leurs familles mettront probablement plus facilement en cause la responsabilité de leur commandement que celle des « terroristes » de l’opposition. A ce stade, la junte fait cependant le pari inverse.

Des conscrits probablement rapidement appelés à servir sur la ligne de front

A un rythme d’enrôlement de 4 à 5 000 personnels après les festivités de Thingyan et en comptant deux mois d’instruction, la Tatmadaw pourrait voir affluer 20 à 25 000 hommes, un minimum formé et entraîné, à l’horizon du début novembre 2024 et le début de la prochaine saison propice à des opérations d’envergure.

La cohorte féminine sera alors peu nombreuse. Les premières femmes n’auront à rejoindre les rangs qu’en septembre – octobre. Même si ces arrivées ne sauraient rehausser substantiellement le moral au plus bas des troupes au service de la junte, il ne faudrait pas sous-estimer l’effet de volume.

N’oublions pas qu’à plein effectif de ses conscrits, la Tatmadaw pourrait bien avoir doublé ses personnels de rang. De plus, si tous les nouveaux venus se voyaient enrégimenter dans les troupes de combat, celles-ci verraient leurs effectifs croitre de plus d’un tiers d’ici la fin de l’année 2024, ce qui est loin d’être-négligeable. Par comparaison, ce serait aussi plus de deux fois le volume des troupes qui auraient fait défection depuis février 2021, si l’on en croit les données rendues publiques par le gouvernement d’opposition (NUG). Ces premières nouvelles forces vives compenseraient également à elles seules numériquement tous les soldats mis hors de combat depuis le coup d’État.

Par François Guilbert – Gavroche-thailande.com – 25 février 2024

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