En mer de Chine méridionale, le Vietnam vient concurrencer Pékin dans la course aux îles artificielles
En quelques mois, Hanoï a comblé une grande partie de l’écart avec Pékin concernant l’agrandissement artificiel d’îles en Mer de Chine méridionale : quel est le but du Vietnam dans une zone maritime où les tensions se multiplient ?
Le Vietnam accélère depuis quelques mois sa construction d’îles artificielles en Mer de Chine méridionale, dans une région traversée par de lourdes tensions en 2024. Cette politique, similaire à celle pratiquée par Pékin, soulève de nombreuses questions sur les intentions de Hanoï : quel est l’objectif derrière ce développement soudain, alors que la Chine renforce sa présence dans cette zone maritime ?
Une course à la construction dans le Mer de Chine méridionale
Pékin transforme depuis des années des atolls et récifs dans la Mer de Chine méridionale en véritables bases militaires, en étendant leur surface artificiellement. Le procédé est surveillé avec appréhension par les pays de la région, alors que la Chine revendique la souveraineté sur l’essentiel de cette mer, se basant sur des arguments historiques invalidés par la Cour permanente d’arbitrage de La Haye, en 2016. Le pays s’est dernièrement arrogé le droit d’arrêter des navires et des personnes dans ses eaux auto-attribuées (comprenant celles d’autres États).
Plusieurs autres États de la région cherchent à s’approprier des atolls de la Mer de Chine méridionale pour obtenir des Zones Économiques Exclusives (ZEE) d’ampleur, multipliant les frictions régionales. Les confrontations chinoises avec les Philippines autour d’îlots comme le Banc Second Thomas ont fait craindre un risque d’escalade et poussent au rapprochement de Manille et Washington. Dans ce chaos maritime, le Vietnam s’est lui aussi pris au jeu, à une vitesse stupéfiante.
Le Vietnam rattrape la Chine
Hanoï a ainsi créé dans les six premiers mois de 2024 autant de terres que durant les années 2022 et 2023 combinées, selon le think tank américain Asia Maritime Transparency Initiative (AMTI). En tout, le Vietnam aurait développé artificiellement 955 hectares sur ces îles, soit à moitié autant que la Chine (1 881 hectares), dans des zones souvent revendiquées par Pékin. La situation est incomparable avec 2021, quand les travaux de Hanoï représentaient moins de 10 % de ceux effectués par Pékin.
Les travaux vietnamiens s’effectuent dans les îles Spratleys, archipel où sont aussi présents la Chine communiste, les Philippines, la Malaisie, et Taïwan. Si les trois plus grands récifs des Spratleys, à savoir Fiery Cross, Mischief et Subi, sont occupés par Pékin, cinq des dix plus grands récifs sont entre les mains de Hanoï et ont été agrandis par le Vietnam. Le récif Barque Canada, le plus grand récif entre les mains du Vietnam dans les Spratleys, est ainsi passé de 96 à 166 hectares en l’espace de six mois.
Défendre la Mer de Chine méridionale face à Pékin
La militarisation vietnamienne de cette zone est loin d’être au même niveau que celle chinoise, qui a fait des récifs de Fiery Cross, Mischief et Subi des complexes remarquables. La seule piste d’atterrissage vietnamienne dans l’archipel se situe sur l’île de Spratley elle-même, mais n’est pas adaptée aux plus grands avions de transport, de surveillance ou de bombardement, d’après l’AMTI. Le think tank constate cependant l’apparition d’équipements typiques des avant-postes vietnamiens sur plusieurs îles, comme des tranchées, des défenses côtières, ou encore des héliports temporaires sur des zones comme le Grand récif Discovery ou le récif Ladd.
Face à une position chinoise de plus en plus ferme et devant l’exemple philippin, qui connaît plusieurs accrochages avec la Chine autour du blocus par Pékin du ravitaillement de l’atoll Banc Second Thomas, la décision de Hanoï peut viser à « bloquer » le grand dragon.
Si la puissance navale chinoise en fait un acteur dominant dans la Mer de Chine méridionale, en parallèle de ses installations militaires sur divers récifs et atolls, les tensions avec Manille, Taïpei et Washington représentent déjà un large défi pour Pékin, sans devoir y rajouter un bras de faire avec Hanoï. L’investissement vietnamien pourrait cependant aussi donner des idées à d’autres États de la région, et compliquer encore un peu plus la situation.
Par Benjamin Laurent – Géo Magazine – 14 juin 2024
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