Le Cambodge, un défi français ?
Un pays en Asie attend la France : le Cambodge. Cet ancien protectorat français essaie de créer les conditions politiques et économiques pour attirer les investisseurs français. Et l’Élysée lui montre depuis quelque temps un vif intérêt. Nous avons rencontré des Français qui ont réussi dans cette petite monarchie. Ils essayent d’aller encore plus loin.
Pourquoi a-t-on oublié le Cambodge ? Voilà un petit pays de 15 millions d’habitants situé dans une zone stratégique, l’Association des Nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN), où la francophonie perdure au sein même de son gouvernement. Où la France, ancienne puissance coloniale du temps du Protectorat, n’a pas laissé un mauvais souvenir. Un pays qui, avec un peu de volontarisme politique, pourrait devenir notre hub vers des voisins extrêmement dynamiques et très peuplés tels que l’Indonésie, la Malaisie, la Thaïlande ou le Viêt Nam. Un pays que l’on délaisse depuis plusieurs décennies alors que c’est à Paris, en 1991, qu’ont été signés les accords pour un règlement global du conflit au Cambodge, sous la houlette de la France et de l’Indonésie. On le délaisse ou presque…
En décembre 2022, l’ancien Premier ministre cambodgien, Hun Sen, est reçu par le président Emmanuel Macron. Un an plus tard, c’est le roi Norodom Sihamoni, fils de Sihanouk, qu’il accueille en grande pompe. Et quelques semaines plus tard, dès janvier 2024, le nouveau Premier ministre khmer, Hun Manet, fils de l’ancien chef de gouvernement, nous gratifie d’un séjour dans la capitale où il rencontre le chef de l’État, les présidents des deux assemblées, Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher, et bien sûr, son homologue Gabriel Attal avec lequel il partage une réunion de travail ! Signe d’une prise de conscience soudaine, à l’Élysée, que le Cambodge devient intéressant ? Assurément. D’ailleurs, Emmanuel Macron soutient la candidature du Cambodge pour l’organisation du Sommet de la francophonie de 2026. Seule candidate à ce jour, Phnom Penh et, à travers elle, le continent asiatique, a de bonnes chances d’emporter le morceau, d’autant que l’Asie n’a pas accueilli ce sommet international depuis vingt-sept ans ! L’événement s’était alors déroulé à Hanoï, au Viêt Nam.
À Phnom Penh, la densité de cette séquence diplomatique a fait naître un espoir de renouveau de la relation franco-cambodgienne, notamment dans la communauté française qui compte quelque 5 000 membres inscrits au consulat. Parmi eux, un certain nombre de chefs d’entreprise qui croient dur comme fer à l’avenir de ce couple improbable. Me Antoine Fontaine est un brillant avocat d’affaires français installé dans la capitale cambodgienne depuis plusieurs décennies. Son analyse est précieuse. « Après la guerre avec les Khmers rouges, dit-il, il a fallu entièrement reconstruire le pays. La France a formé les élites qui sont encore aujourd’hui aux manettes, dans de nombreux domaines. Moi-même, je suis venu pour donner des cours de droit. Sans la France, le Cambodge aurait perdu vingt ans. » Fin connaisseur de la monarchie cambodgienne, il note le fait que « le roi Sihanouk, père de l’actuel souverain, tenait un journal en français où il disait vouloir être réincarné en prof de français »…
Le « pays où tout est possible », comme on le surnomme, ne cesse de construire. Des immeubles, récemment une autoroute, bientôt un nouvel aéroport susceptible d’accueillir 30 millions de personnes par an. La gestion en a été confiée à Vinci et le retail au groupe Lagardère. Pour autant, « les grands groupes français sont peu présents au Cambodge, regrette Me Antoine Fontaine. Comme les autres Européens d’ailleurs. Ici, on a des investisseurs chinois, singapouriens, australiens ». Au niveau des pays de l’Union européenne, la France reste tout de même numéro un des échanges commerciaux avec le Cambodge. « La Chambre de commerce franco-cambodgienne [CCIFC] est la plus importante des chambres occidentales présentes au Cambodge, souligne son président Cyril Girot. Des groupes tels que la Bred, Accor, Vinci, Total, Bioderma, Decathlon ou Bolloré y sont représentés ! » Du côté d’Accor, le Sofitel de Phnom Penh est une institution. Tout comme son directeur, Charles-Henri Chevet, un grand professionnel de l’hospitalité, qui a commencé chez Accor du temps des légendaires Dubrule et Pélisson ! Il chapeaute aussi le Sofitel de Siem Reap, porte d’accès vers les fameuses ruines d’Angkor, et deux palaces en Thaïlande. « Notre force est notre authenticité, plus forte que chez nos voisins par exemple, dit-il. Quand on arrive à y ajouter l’efficacité, on atteint la perfection. »
Un paradis administratif
Seulement voilà, au-delà de cette histoire commune dont découle l’affinité linguistique entre les deux pays, pourquoi des investisseurs français devraient se déployer dans un territoire aussi éloigné et sur un marché de niche ? Le contexte local serait favorable à l’investissement, selon Blaise Kilian, un économiste français d’une cinquantaine d’années qui dirige le musée Sosoro, à Phnom Penh, où l’on retrace toute l’histoire du Cambodge à travers la monnaie. « Beaucoup de conditions sont réunies, ici, pour les investisseurs, dit-il. D’abord, il est très facile de monter son entreprise sur le plan administratif, ça prend 48 heures. Ensuite, nous avons une fiscalité avantageuse grâce à une politique très libérale. » La vice-présidente de la CCIFC, Sarah Lubeigt, également directrice d’une filiale de Bioderma sur la zone, estime à cet égard qu’« il est plus facile pour une entreprise française d’implanter un hub régional à Phnom Penh qu’à Singapour, le droit des affaires cambodgien étant très proche du droit français. Et Phnom Penh est bien connecté avec les pays voisins grâce à des vols directs pour aller partout ». Autre atout non négligeable sur lequel insiste Blaise Kilian, « une population jeune, un dynamisme évident », renforcé par le retour de membres de la diaspora cambodgienne en France dans leur pays d’origine pour participer à son redressement. « Ils sont un pont naturel », estime Blaise Kilian.
Tout comme ces entrepreneurs français, dont certains sont conseillers au commerce extérieur (CCE), qui n’attendent qu’une chose : pouvoir accueillir des investisseurs hexagonaux afin de les guider dans ce pays pour lequel ils éprouvent un tendre attachement.
Par Yves Derai – Forbes France – 13 juillet 2024
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