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«Agent orange» : la justice française juge les géants de l’agrochimie

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« C’est le dernier combat de ma vie », dit Tran To Nga, devenue victime de l’« agent orange » pendant la guerre du Vietnam (1955-1975). À l’époque, l’armée américaine utilisait ce défoliant ultratoxique pour détruire les forêts et débusquer les caches des combattants communistes du Viêt-Cong. 

La Franco-Vietnamienne de 82 ans lutte pour que quatorze fabricants de l’herbicide, dont Bayer-Monsanto et Dow Chemicals, reconnaissent leur responsabilité. Jeudi 22 août, la cour d’appel de Paris doit rendre son verdict. Retour sur le combat de Tran To Nga. Elle répond aux questions de Heike Schmidt.

RFI : En 2021, un tribunal en région parisienne a débouté votre plainte contre 14 entreprises, en déclarant que ces géants agrochimiques avaient « agi sur ordre et pour le compte de l’État américain » et qu’elles pouvaient, de ce fait, se prévaloir de « l’immunité de juridiction ». Qu’attendez-vous du verdict de la cour d’appel de Paris 

Tran To Nga : Cela fait plus de dix ans que je mène ce combat que j’appelle le dernier combat de ma vie. J’espère que le tribunal de Paris décidera que ces firmes américaines n’échapperont pas à un jugement pour leurs crimes commis pendant la guerre du Vietnam. Mais il est clair que ces criminels n’auront jamais le courage de reconnaître leur culpabilité. Je continuerai donc de me battre, et je suis prête à y consacrer encore des années de ma vie, jusqu’à ma mort.

Contrairement aux vétérans américains, les victimes vietnamiennes n’ont jamais été indemnisées…

C’est exact. Même les soldats vietnamiens qui ont été enrôlés dans les forces américaines, n’ont pas été dédommagés. Les enfants des victimes américaines n’ont, eux non plus, obtenu aucun dédommagement. Seuls les vétérans qui ont combattu sur le terrain y ont eu droit. Mais en contrepartie, ils devaient s’engager à ne plus déposer des plaintes. Aujourd’hui, ces victimes n’ont donc plus le droit de demander justice. Alors si je me bats contre ces firmes américaines qui ont produit et livré l’agent orange à l’armée américaine pendant la guerre du Vietnam, ce n’est pas seulement pour que justice soit rendue à mes compatriotes, mais aussi aux victimes du monde entier qui ont souffert de ce poison qu’est l’agent orange, et il y en a beaucoup.

Vous étiez jeune journaliste en 1966 lorsque vous avez directement été atteinte par les largages d’avions américains de cet herbicide ultratoxique…

J’avais 22 ans lorsque j’ai été touchée directement. Un liquide gluant m’a enveloppée, et j’ai tout de suite commencé à tousser et à m’étouffer. J’étais très naïve à l’époque. Je venais de rentrer dans le maquis en tant que journaliste de guerre, et comme je n’avais pas beaucoup d’expérience, je suis sortie de notre abri souterrain lorsque les avions américains nous ont encerclés. Mais vous savez, en temps de guerre, on oublie vite ces incidents. Je me suis changée et je n’y ai plus pensé.

À quel moment avez-vous compris que vous étiez victime de l’agent orange ?

Quand j’ai perdu mon premier enfant, qui était né avec une malformation cardiaque, j’ai d’abord pensé que j’étais une mauvaise mère. Je ne savais pas que la véritable cause de la maladie de ma fille était l’agent orange. Plus tard, mes enfants et même mes petits-enfants ont été atteints, car je leur ai transmis mes pathologies. J’ai eu des problèmes cardiaques, j’ai eu différents cancers et je souffre du diabète de type II qui est typique des victimes de l’agent orange. Ces pathologies figurent d’ailleurs sur une liste du gouvernement américain qui énumère les maladies potentiellement liées à l’agent orange. Je souffre d’au moins six pathologies figurant sur cette liste.

Selon le collectif Vietnam Dioxine qui vous soutient, l’agent orange a fait plus de trois millions de victimes. Vous considérez-vous comme une femme en guerre contre les géants de l’agrochimie ?

Aujourd’hui, je ne me bats pas pour moi, car personnellement, je n’ai plus rien à perdre ou à attendre de ce verdict. Mais je le fais pour toutes les victimes de l’agent orange et d’autres pesticides, au Vietnam ainsi que dans d’autres pays. On ne lâchera rien. C’est par devoir pour l’humanité, par devoir pour mon pays et par devoir pour le monde entier. Il y a encore des victimes de ce poison, qui continue à tuer et faire des ravages.

Par Heike Schmidt – Radio France Internationale – 21 août 2024

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