Birmanie : le procureur de la CPI requiert un mandat d’arrêt contre Min Aung Hlaing, le chef de la junte au pouvoir
Le général birman, à la tête d’une armée de plus en plus affaiblie, est dans le viseur de la Cour pénale internationale pour «des crimes contre l’humanité de déportation et de persécution commis à l’encontre des Rohingyas» depuis 2016.
Le purificateur ethnique est désormais un peu plus dans le viseur de la Cour pénale internationale. Plus de cinq ans après l’ouverture d’une enquête pour les crimes commis contre les Rohingyas en Birmanie, le procureur Karim Khan a déposé une requête aux fins de délivrance d’un mandat d’arrêt contre le chef de la junte birmane, Min Aung Hlaing. Ce n’est pas l’auteur du putsch de février 2021 qui est recherché, mais le cerveau de l’assaut meurtrier de l’armée birmane et de ses milices supplétives contre cette minorité ethnique de l’ouest du pays à partir de 2016 et surtout du 25 août 2017. Karim Khan assure avoir des «motifs raisonnables de croire que la responsabilité pénale du général Min Aung Hlaing, commandant en chef des forces de défense du peuple birman, qui dirige de facto le pays, était engagée pour les crimes contre l’humanité de déportation et de persécution commis à l’encontre des Rohingyas, en partie en Birmanie et au Bangladesh».
A partir de l’été 2017, après une attaque de militants rohingyas, les forces armées birmanes (Tatmadaw) enclenchent une campagne de destructions, de terreur et de tueries. Les redoutables divisions d’infanterie légère défendues par Min Aung Hlaing (notamment la 33e et la 99e) sèment la mort, brûlent, violent, expulsent ou exécutent des membres de la communauté musulmane persécutée, avec le soutien de la police nationale, de la police des frontières et de civils de l’Etat de Rakhine. Les violences sont disproportionnées, systématiques, organisées et ciblent les villages rohingyas.
«Intention de génocide»
«Les horreurs infligées aux hommes, femmes et enfants rohingyas lors des opérations d’août 2017, y compris leur homicide aveugle, atteignaient le niveau des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité», soulignait la juriste sri-lankaise Radhika Coomaraswamy, et représentante spéciale du secrétaire général des Nations unies pour les enfants et les conflits armés, en présentant le rapport d’une commission d’enquête en août 2018. «Les actes eux-mêmes, et la manière dont ils ont été perpétrés, se sont avérés de nature, de gravité et de portée similaires à ceux qui ont permis d’établir l’intention de génocide dans d’autres contextes.»
L’ONU évoque le chiffre prudent de 10 000 morts quand des criminologues, des humanitaires et des chercheurs arrivent à un bilan deux fois plus important. Plus de 745 000 personnes ont fui vers le Bangladesh voisin pour s’installer dans les camps surpeuplés de Cox’s Bazar. C’est d’ailleurs dans ce pays que l’enquête lancée par Fatou Bensouda, la prédécesseure de Karim Khan, a démarré en 2019. Les juges de la CPI ont estimé que la Cour, même si la Birmanie n’a pas ratifié le statut de Rome comme l’a rappelé la junte birmane ce mercredi, pouvait exercer sa compétence concernant des crimes dès lors qu’une partie des comportements criminels était commise sur le territoire d’un Etat partie. Le Bangladesh a rejoint la CPI en 2010.
Armée acculée
La CPI a déjà collecté des milliers de documents et de témoignages sur les exactions de 2017. A commencer par les déclarations de Min Aung Hlaing, qui en disent long sur ses intentions envers les Rohingyas. Le 1er septembre 2017 sur Facebook, il écrit ainsi : «Le problème Bengali [Rohingya] est un problème qui dure, c’est devenu un travail inachevé malgré les efforts des précédents gouvernements. Le gouvernement actuel prend grand soin à résoudre le problème.» Six jours après l’explosion de violence, au début de la purification ethnique et des massacres. Un mois plus tard à l’ambassadeur américain, il assure que les Rohingyas «ne sont pas des gens d’ici». Autrement dit, qu’il n’y aucune raison d’autoriser leur présence sur le sol birman.
La requête de mandat d’arrêt, qui doit être validée par trois juges, intervient au mauvais moment pour Min Aung Hlaing. Agée de 68 ans, le «petit commandant», comme il est souvent moqué à cause de sa taille et de son funeste coup d’Etat qui a plongé le pays dans les abysses de la guerre civile, est dans une position de faiblesse. Il est le chef d’une armée acculée par la résistance pro-démocratie, qui perd des bases, du terrain et des hommes, surtout depuis le lancement de la vaste «opération 1027», en octobre 2023.
«C’est un coup dur pour Min Aung Hlaing. Il essayait de montrer patte blanche en projetant des élections pour l’année prochaine, en évoquant un possible cessez-le-feu et en affichant son soutien aux opérations de médiation de la Chine, note un diplomate spécialiste de l’Asie. Il avait même obtenu quelques succès symboliques en rencontrant des ministres laotiens, cambodgiens et thaïlandais ainsi que plusieurs dirigeants chinois. Mais cette opération de ripolinage sur la scène internationale vient de prendre un sacré coup avec la requête de Karim Khan.»
Si les juges confirment la requête de Khan, rien n’indique aujourd’hui que Min Aung Hlaing sera rapidement arrêté et remis à La Haye. Le général putschiste voyage peu, et essentiellement dans des pays qui ne reconnaissent pas la CPI, comme la Russie et la Chine. Il avait d’ailleurs prévu de se rendre en Russie et au Bélarus en novembre. Il sera probablement désormais très prudent lors de ses rares voyages dans les pays de l’Asean (Association des Etats de l’Asie du sud-est), où le Cambodge est Etat partie au statut de Rome, ou encore chez ses voisins, notamment le Bangladesh.
«Homme de peu de mots»
Min Aung Hlaing aurait dû prendre sa retraite en 2021. Il a préféré se lancer dans une carrière de dictateur. Il avait déjà de lourds états de service. Ce militaire un peu falot et propre sur lui a été campé en «homme de peu de mots qui se tenait généralement à l’écart», selon les déclarations, à Reuters, d’un de ses camarades de classe. Après des études de droit à Rangoun, il s’y est pris à trois fois pour intégrer l’académie militaire en 1974.
A la fin des années 70, il est amené à commander des divisions d’infanterie légère d’élite, souvent déployées dans des zones de conflit des régions frontalières, qui disputent à l’ethnie majoritaire bamar le contrôle du pays. Il est nommé commandant d’opérations spéciales, notamment en 2009 dans l’Etat de Shan, à l’Est, où les combats violents chassent vers la Chine près de 40 000 personnes. Deux ans plus tard, l’autoritaire et paranoïaque Than Shwe, qui dirige alors la junte, le choisit pour diriger les puissantes forces armées au moment où le clan militaire s’entrouvre et permet un début de transition.
Même s’il incarne l’un des visages d’une junte prédatrice et corrompue, Min Aung Hlaing joue de l’ouverture démocratique. Mais ses relations avec Aung San Suu Kyi, la leader de l’opposition arrivée au pouvoir en 2015, sont glaciales. La «Lady» a bien des discussions avec d’autres généraux. Mais l’armée et son chef restent tout-puissants. C’est ce que veut croire le «petit commandant» en se lançant dans un coup d’état à l’aube du 1er février 2021. Le nettoyeur ethnique est alors rattrapé par les putschistes. Et, désormais, par la Cour pénale internationale. En attendant que d’autres membres de «haut rang du gouvernement de la Birmanie», comme l’a souligné Karim Khan, ne le rejoignent sur le banc des personnes recherchées.
Par Arnaud Vaulerin – Libération – 27 novembre 2024
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