Comment le fils du dernier empereur du Vietnam s’est retrouvé en Alsace, « les autorités vietnamiennes m’interdisent d’y aller »
Patrick-Edouard Bloch, le treizième et dernier enfant du dernier empereur du Vietnam Bao Daï, est alsacien. Il va fêter avec sa communauté, à partir de mercredi 29 janvier, la fête du Têt, le Nouvel an vietnamien.
Patrick-Édouard Bloch est né à Strasbourg (Bas-Rhin), le 21 avril 1958. Il y vit toujours. C’est le treizième et dernier enfant du dernier empereur du Vietnam, Bao Daï. Et même s’il est athée, il prépare comme tous ces congénères la fête du Têt, le Nouvel An vietnamien qui se déroule à partir du mercredi 29 janvier à la pagode Phổ Hiền de Strasbourg. Cette période sert notamment à honorer les ancêtres. Une pratique inaccessible pour « le prince », comme certains l’appellent.
« Je n’ai qu’un seul rêve aujourd’hui, explique Patrick-Édouard Bloch, pouvoir me rendre au Vietnam, sur la terre de mes ancêtres ; me recueillir sur la tombe de mes grands-parents, voir enfin le Palais de Hué dont l’empereur me parlait tant. Hélas, les autorités vietnamiennes m’interdisent d’y aller. Je ne sais pas pourquoi je leur fais si peur. Je suis pacifiste et ce n’est pas à mon âge que je vais devenir dictateur », s’amuse-t-il.
Bao Daï, un empereur exilé en Alsace
« J’ai toujours été proche de mon père, jusqu’à son décès en 1997, concède-t-il. Je n’ai appris la vérité sur mes origines qu’assez tardivement dans mon enfance ».
Car Patrick-Édouard Bloch est le fruit d’une liaison amoureuse tumultueuse extraconjugale. « Ma mère, Christiane Bloch-Carcenac, était mariée à un autre homme. Elle a rencontré mon père, lors d’une partie de chasse en Alsace, en 1957 ».
L’empereur, dont le nom signifie « le protecteur de la grandeur » réside fréquemment en Alsace. Il loue la villa des Muriers à Gerstheim (Bas-Rhin) en attendant la construction de sa maison dans un domaine forestier entre Plobsheim et Eschau (Bas-Rhin). Il fréquente la bonne société locale, notamment le comte Jean de Beaumont (1904-2002), ancien député de la Cochinchine avec lequel il a gardé de bonnes relations.
Une histoire d’amour
Bao Daï a alors 44 ans. Il vient de quitter ses fonctions de chef d’État deux ans auparavant. Car la particularité du « fils du ciel » est d’avoir régné sur le Vietnam durant presque 20 ans (de 1926 à 1945), puis après la prise de pouvoir par les communistes d’Hô Chi Minh et l’abolition de la monarchie (1945), d’avoir présidé le conseil des ministres (1949), avant de redevenir le chef de l’État du Vietnam de 1949 à 1955. Exilé en France depuis, il cherche à reconstruire une vie dans son pays d’accueil.
« Mes parents ont eu un véritable coup de foudre. Ma mère n’a jamais caché sa relation intime à son mari. Mon père non plus n’a pas caché sa relation à l’impératrice Nam Phuong. Je suis donc le fruit de cet amour ».
« C’est mon fils ! »
Patrick-Édouard Bloch avoue avoir eu une enfance difficile. « Je ne comprenais rien de ce qu’il se passait. Je vivais à Erstein (Bas-Rhin) avec ma mère et son mari, régulièrement absent. Un monsieur venait à la maison avec une magnifique voiture. À l’école, on se moquait de moi à cause de mes traits asiatiques. J’avais un demi-frère élevé dans la tradition juive qui avait fait sa bar-mitsvah, mais pas moi. Personne ne me disait rien ! ».
– Mais qui est ce petit garçon qui vous accompagne, Sire ? Et l’Empereur de répondre : – C’est mon fils ! Patrick-Édouard Bloch
Fils de Bao Daï, dernier empereur du Vietnam
Patrick-Édouard Bloch a 9 ans lorsque l’empereur Bao Daï lui confie d’une manière sibylline qu’il est son père. « L’empereur m’avait emmené avec lui à Paris lors d’un de ses voyages. Nous étions devant un ascenseur du Georges V lorsqu’un liftier a demandé : – Mais qui est ce petit garçon qui vous accompagne, Sire ? Et l’Empereur de répondre : – C’est mon fils ! »
Bao Daï se montre un père aimant. « Nous avons partagé de nombreux moments, en de multiples occasions. Il m’a beaucoup appris, explique Patrick-Édouard. Il était avec moi très bavard, ce qui contrastait avec son image officielle. Il évoquait fréquemment l’histoire du Vietnam, son évincement du trône, puis ses exils en Chine, à Hong-Kong, en Angleterre, en France. Il adorait l’Alsace qui lui rappelait son pays. Nous avions des passions communes : l’automobile et l’aviation. Pour couronner le tout, je lui ressemble beaucoup physiquement ».
Ne jamais faire de politique
Malgré cette complicité et indéniablement cet amour filial, Patrick-Édouard Bloch affirme n’avoir jamais eu l’autorisation d’appeler son père, papa. « Je devais toujours m’adresser à lui en disant Majesté ou Sire, comme tout le monde ».
À la fin de sa vie, l’empereur Bao Daï demande à son fils : « Promets-moi de ne jamais faire de politique ; tu y perdrais ton âme ».
Autre singularité de l’empereur Bao Daï confie Patrick-Édouard Bloch : « Il avait une profonde estime pour Hô Chi Minh », celui qui l’a destitué en 1945. Les deux hommes, malgré la révolution communiste, avaient du respect l’un pour l’autre. « Mon père était un homme moderne. Il s’habillait en costume européen. Il avait mis fin au gynécée et aux eunuques qui le surveillaient. Contrairement à la tradition, il avait épousé une catholique. Son premier fils a été élevé en secret dans la religion catholique. Il pensait aussi qu’un changement politique était nécessaire pour faire entrer le Vietnam dans le concert des grandes nations. Hô Chi Minh a toujours agi dans l’ombre pour sa sécurité et la reconnaissance de ce qu’il avait accompli ».
Aujourd’hui,Patrick-Édouard Bloch-Carcenac entretient la mémoire de son père à travers plusieurs groupes sur les réseaux sociaux qui lui sont dédiés. Il est également l’auteur d’un récit autobiographique intitulé Tu dois l’appeler Majesté (Strasbourg, 2021, 160 pages).
Sa Majesté l’empereur Bao Daï est également l’auteur d’un livre autobiographique, Le dragon d’Annam (Paris, Plon, 1980, 382 pages) et d’un livre sur Huê, La cité interdite (Paris, Menges, 1997, 129 pages).
Par Éric Vial – France 3 Tv – 26 janvier 2025
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