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Le commerce extérieur vietnamien en 2024 : un nouveau record

Après une contraction inédite en 2023, le commerce extérieur de marchandises du Vietnam a rebondi de 15,4% en 2024 pour atteindre un nouveau record (786,3 Mds USD).

Après une contraction inédite en 2023, le commerce extérieur de marchandises du Vietnam a rebondi de 15,4% en 2024 pour atteindre un nouveau record (786,3 Mds USD). Les exportations vietnamiennes continuent à être dirigées pour près d’un tiers vers les Etats-Unis (qui enregistre avec Hanoi son troisième déficit bilatéral), tandis que les plus d’un tiers (37,9%) des importations du pays proviennent de Chine, rendant le Vietnam particulièrement vulnérable à la montée des tensions commerciales entre les deux pays. Alors que le commerce extérieur vietnamien – largement tiré par les entreprises à capitaux étrangers –  ne stimule qu’imparfaitement la montée en gamme de l’économie nationale, les récents efforts de Hanoi visant à accélérer cette dernière interviennent dans un contexte peu favorable (administration Trump, reshoring, etc.).

1. Après une contraction inédite en 2023, le commerce extérieur de marchandises du Vietnam a rebondi de 15,4% en 2024 pour atteindre 786,3 Mds USD (165% du PIB), un nouveau record. Grâce, notamment, au rebond du commerce mondial (+3,3% selon les premières estimations), à la baisse des coûts logistiques et à la reprise de la croissance sur les principaux marchés à l’export du pays, le Vietnam a exporté pour 406 Mds USD de biens (+14,3%), pour des importations estimées à 380,8 Mds USD (+16,7%), générant un excédent de 24,8 Mds USD (–12,7%). En dépit de la stagnation du commerce mondial depuis 2008, le pays poursuit ainsi son intégration dans les chaines de valeur mondiales, conséquence à la fois d’une accélération des relocalisations industrielles depuis la Chine vers le Vietnam dans le cadre des tensions sino-américaines, et d’une politique commerciale volontariste : même si tous ne prévoient pas une libéralisation très approfondie, les 17 accords commerciaux auxquels le pays est partie couvrent en effet désormais 53 pays représentant près de 87% du PIB mondial et environ 85% des importations et 70% des exportations du pays. Le commerce de services, essentiel pour créer davantage de valeur ajoutée, reste en revanche faiblement développé (12,6% du PIB du pays en 2024) et est en outre déficitaire depuis 2005 (-12,35 Mds USD en 2024).

2. Représentant 85% du PIB vietnamien en 2024 (4% en 1988), les exportations vietnamiennes montent en gamme mais continuent à être dirigées pour près d’un tiers (29,5%, +23,2%) vers les Etats-Unis. L’accroissement de l’excédent avec ce pays s’est monté à 123 Mds USD en 2024 (+20%), représentant un pic historique et est le troisième plus important déficit pour les Etats-Unis. Cette situation rend le Vietnam vulnérable à d’éventuelles mesures de rétorsion de la part de la nouvelle administration américaine (qui pourraient avoir des conséquences dévastatrices, les exportations vietnamiennes qui génèrent – directement ou indirectement – 54% des emplois du pays[i]). Les autres principaux clients du Vietnam sont la Chine, la Corée et le Japon, la France n’apparaissant qu’en 24ème position. En ce qui concerne les principaux postes d’exportation : les ordinateurs, téléphones et autres accessoires électroniques ont représenté, ensemble, 31,2% des exportations du pays. En 2024, les produits textiles et les chaussures ne représentent plus que 9,1% et 5,6%, respectivement des exportations vietnamiennes. D’après la Banque Mondiale, la valeur moyenne par unité d’export ait été multipliée par deux au cours des deux dernières décennies et a atteint 1 400 USD par tête, soit un niveau comparable à celle de la Thaïlande et de la Malaisie.

3. Nouvel atelier du monde, le Vietnam a importé pour 380,8 Md USD de biens (+16,7%), dont plus d’un tiers (37,9%) depuis la Chine. En miroir de ses principaux postes à l’export, le Vietnam a principalement importé des composants informatiques et autres accessoires (28,1% des importations du pays en 2024) destinés pour la plupart à être assemblés localement, ainsi que les machines et équipements (12,8%) utilisés pour ce faire. 37,9% des importations totales du pays proviennent de Chine, en forte augmentation par rapport à 2023 (+33,9%), et à rebours de la volonté de Hanoi, énoncée dès 2014, d’« éviter toute dépendance envers un unique marché à l’importation » [ii]. Cette situation accroit encore les risques pour le pays de se retrouver pris en tenaille entre les Etats-Unis (qui peuvent décider d’agir sur les règles d’origine, comme ils l’ont fait pour l’acier et l’aluminium importé du Mexique) et la Chine (qui peut choisir de priver le Vietnam de l’accès à son marché ou rationner l’exportation de certains intrants pour des motifs politiques[iii]). Hormis les Etats-Unis, cinquième fournisseur du pays (+9,3% en 2024 à 15,1 Md USD), les autres principaux fournisseurs du pays sont tous asiatiques : Corée du sud (55,9 Md USD, +6,5%), Taïwan (22,7 Md USD, +23,5%), Japon (21,6 Md USD, -0,2%). La France n’apparaît qu’au 21ème rang (l’UE est troisième).

4. Tiré par les entreprises à capitaux étrangers, le commerce extérieur vietnamien ne stimule qu’imparfaitement la montée en gamme de l’économie du pays. L’intégration du Vietnam dans le commerce international est surtout le fait des entreprises à capitaux étrangers, qui ne représentent que 3% des sociétés enregistrées dans le pays, mais ont encore contribué aux exportations du pays à hauteur de 71,3%. A l’exception de celles du secteur agroalimentaire, les entreprises vietnamiennes restent, pour leur part, largement focalisées sur le marché intérieur (construction, immobilier, services traditionnels) et apparaissent plus rarement dans les chaines d’approvisionnement des principales multinationales établies dans le pays que dans n’importe quel autre pays d’Asie-Pacifique[iv]. Les investisseurs étrangers opèrent ainsi comme isolés du reste de l’économie vietnamienne, et non comme catalyseurs de sa montée en gamme. Bien que ce constat soit depuis longtemps connu et partagé des décideurs vietnamiens, l’indice d’intégration dans les chaines de valeur mondiales (“GVC linkage”) développé par la Banque Mondiale a baissé substantiellement en dix ans : en 2023, 18% des entreprises installées dans le pays étaient identifiées comme possédant des liens avec les “chaines de valeur globales”, un chiffre en baisse de 17 points par rapport à 2009[v].

5. Si la nature des produits assemblés et exportés depuis le Vietnam évolue, le Vietnam demeure spécialisé sur des tâches à valeur ajoutée relativement faible. Le commerce extérieur du Vietnam est dépendant des investissements étrangers, qui sont encore principalement attirés par le Vietnam comme base de production à faible coût (main d’œuvre, électricité, tarifs douaniers, etc.). Aussi les IDE continuent-ils à être concentrés dans les secteurs à forte intensité en main d’œuvre et à valeur ajoutée limitée, comme l’assemblage final, et à générer, par ricochet, une forte demande pour de la main d’œuvre modestement éduquée. Ainsi, le Vietnam ne capture ainsi qu’une faible part de la valeur des produits qu’il exporte : d’après les analyses de la Banque Mondiale, les activités de production réalisées dans le pays ne représentent que 15% de la valeur ajoutée des produits électroniques exportées (contre 18% dans l’industrie textile). Par ailleurs, la valeur moyenne des services intégrés aux exportations vietnamiennes est estimée à 12% de la valeur totale des exportations du pays, un chiffre qui baisse à 7% s’agissant des exportations de produits manufacturés. Enfin, en 2023, les importations, par le Vietnam, de services « de la connaissance » (services aux entreprises, royalties, etc.), susceptibles d’augmenter la valeur ajoutée produite localement, sont inférieures à celles de pays comme l’Indonésie, Thaïlande, Cambodge, Mexique, etc. ayant un niveau de développement et des fonctions dans les chaines de valeur mondiales comparables au Vietnam[vi].  

6. Afin d’atteindre son objectif de devenir une économie à revenu élevé d’ici 2045, le Vietnam commence néanmoins à prendre les mesures nécessaires à la montée en gamme du pays dans les chaines de valeur mondiale : réformes structurelles, investissements stratégiques dans le capital humain (il est estimé que seul 10% de la main d’œuvre actuellement disponible est diplômée l’enseignement supérieur), les infrastructures, etc. Plusieurs initiatives ont été annoncées sur ces sujets au cours des derniers mois : programmes de formation de la main d’œuvre dans le secteur électronique, notamment ; objectif d’allocation de 3% du PIB du pays à l’innovation (dont 2% à la R&D) ; projet de développement des infrastructures de transport (ferroviaire et aérien, notamment), etc. De la même manière, alors que les émissions carbones liées à l’export représentent plus d’un tiers (36%) des émissions totales du pays[vii], un bouquet énergétique décarboné permettrait au label « Made in Vietnam » de demeurer compétitif à l’export. La relance du programme nucléaire vietnamien, décidée le 30 novembre 2024, pour une mise en service prévue dès la décennie 2030, va dans ce sens (même si des capacités décarbonées devront aussi être trouvées moyen terme).

La stratégie du Vietnam consistant à miser sur les faibles coûts de production pour attirer des investissements étrangers a permis de sortir le pays de la pauvreté mais pourrait s’essoufler à mesure que les salaires augmentent[viii].Elle  se révèle aujourd’hui insuffisante pour permettre au pays de réaliser la montée en gamme à laquelle il aspire. La dépendance de l’économie vietnamienne au commerce extérieur (croissance, emploi, etc.) rend aussi le pays vulnérable (y compris socialement) à tout retournement du marché. Les dirigeants vietnamiens en sont conscients. Les mesures prises pour amorcer une transition vers une économie à plus forte valeur ajoutée interviennent néanmoins en une période complexe, marquée par une recrudescence des tensions commerciales et des politiques industrielles – menées notamment par les principaux partenaires commerciaux du pays, qui déploient pour cela des moyens financiers que le Vietnam rechigne encore à mobiliser – visant à rapatrier sur leur sol les industries les plus stratégiques.


[i] 85% de ces emplois sont générés par l’industrie : travailleurs manuels, opérateurs d’équipements industriels, fermiers, etc. La fin de l’année 2024 a d’ailleurs été marquée par une augmentation des importations en provenance des Etats-Unis, en anticipation d’une politique commerciale potentiellement moins accomodante de la part de cette dernière.

[ii] “Blueprint on restructuring the industry and trade sectors to serve the cause of national industrialization, modernization and sustainable development through 2020, with a vision toward 2030”, decision No. 2146 du Premier Ministre Nguyen Tan Dung.  Cet avertissement a été repris dans les rapports du 12ème (2016) et 13ème (2021) Congrès du PCV. Ce dernier insiste, en outre, dans le même paragraphe, sur la nécessité de garantir la « sécurité économique » du pays et d’œuvrer « proactivement » à l’amélioration de son « système de défense » dans ce domaine. Le rapport du 12ème Congrès ajoutait pour sa part que le Vietnam devait « éviter toute dépendance envers un unique marché et partenaire (“đa dạng hóa, đa phương hóa quan hệ kinh tế quốc tế, tránh lệ thuộc vào một thị trường, một đối tác (cụ thể)”).

[iii] Le Vietnam est aussi préoccupé par les conséquences potentielles d’une éventuelle crise dans le détroit de Formose. A l’automne 2024, le pays a ainsi participé à des exercices de simulation aux Etats-Unis sur l’impact sur ses chaines d’approvisionnement de différents scénarios de conflits. Voir : “Xi Jinping swings his ‘assassin’s mace’ of economic warfare”, The Economist, 6 février 2025.

[iv] Source : Banque Mondiale, Multinational Enterprises Pulse Survey, édition 2023.

[v] Selon la Banque Mondiale, une entreprise est considérée comme ayant des liens avec les chaines de valeur internationales si elle satisfait au moins l’un des critères suivants : (1) plus de 10% de son capital est contrôlé par un investisseur étranger ; (2) elle utilise des licences de PI étrangères ; (3) plus de 10% de son CA est réalisé à l’export. Une corrélation positive a été établie entre la productivité d’une entreprise et ses liens avec les chaines de valeur mondiale, ces derniers étant porteurs d’accès aux technologies de frontière, de mise à l’échelle, et d’exposition à la concurrence. 15% des entreprises en Indonésie, 19% en Malaisie et 31% au Cambodge sont identifiées comme ayant des liens avec les GVC.

[vi] Source : “Vietnam 2045, Trading Up in a Changing World, Pathways to a High Income Future”, Banque Mondiale, 2024.

[vii] Source : “Global Carbon Project, Our World in Data” via Banque Mondiale. Il s’agit de la proportion la plus élevée de tous les pays de la région.

[viii] Le salaire moyen par heure travaillée dans le domaine de la production industrielle a triplé entre 2010 et 2022 (4,9 USD / heure) et est désormais plus élevé qu’aux Philippines et en Indonésie, pour une productivité inférieure (6,7 USD / heure de valeur ajoutée créée au Vietnam en moyenne, contre 19,7 USD / heure aux Philippines et 27,7 USD / h en Malaisie).


Par Pierre Martin – Direction générale du Trésor du ministère français de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique – 24 février 2025

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