Ouïgours : la Thaïlande déporte au moins 40 réfugiés vers la Chine
Fuyant le régime chinois, ils étaient incarcérés depuis plus de dix ans à Bangkok, au mépris du droit international. Les ONG dénoncent une « action scandaleuse et inacceptable » du pouvoir thaïlandais.
Il est 2 h 14 du matin, ce jeudi 27 février, lorsque six fourgons, les fenêtres recouvertes de ruban adhésif noir afin de dissimuler ce qu’ils transportent, sortent en catimini du centre de rétention de Suan Phlu, à Bangkok. C’est dans ce bâtiment décrépi, surmonté de barbelés et tristement célèbre pour ses cellules surpeuplées, qu’au moins 40 réfugiés ouïgours étaient incarcérés depuis plus d’une décennie, au mépris du droit international.
Il fait nuit noire et devant, chose inhabituelle, des policiers aux aguets intiment à la presse de ne pas prendre de photos. Finalement, leur renvoi forcé vers la Chine ne sera confirmé qu’en fin d’après-midi, après des tergiversations des autorités thaïlandaises.
L’histoire remonte à 2014, quand 350 Ouïgours, fuyant les persécutions du régime chinois, étaient entrés clandestinement dans le royaume, avant d’être arrêtés puis placés en détention. L’année suivante, 172 femmes et enfants avaient pu être réinstallés en Turquie, mais 109 hommes furent, eux, renvoyés en Chine, provoquant alors un tollé international. Les autres croupissaient donc depuis en cellule dans des conditions déplorables — cinq d’entre eux sont morts dans les geôles thaïlandaises.
Un mystérieux vol Bangkok-Kachgar
La tragédie se poursuit. Le mois dernier, déjà, ces « Ouïgours de Thaïlande » avaient entamé une grève de la faim, effrayés à l’idée d’être remis aux mains du régime chinois. Et depuis quelques jours, les ONG de défense des droits humains craignaient à nouveau leur déportation. « Depuis hier matin [mercredi], je n’ai plus aucune nouvelle », confiait une source associative thaïlandaise, en lien direct avec eux. Elle souligne les pressions constantes de l’ambassade de Chine à Bangkok pour les rapatrier de force depuis des années.
À 4 h 48, jeudi, un vol (initialement non prévu) de China Southern Airlines a étrangement décollé de Bangkok avant d’atterrir à Kachgar, dans la région autonome ouïgoure du Xinjiang (Chine). Interrogée dans la matinée au Parlement, la première ministre thaïlandaise Paetongtarn Shinawatra a assuré « ne pas être au courant » d’une déportation, alors qu’un haut-gradé de la police a déclaré ne pas vouloir s’étendre sur le sujet. Des médias d’État chinois ont affirmé dans la foulée que « 40 [de ses] ressortissants [avaient] été rapatriés de Thaïlande ». Puis le chef de la police thaïlandaise a fini par confirmer la déportation.
Bangkok accusé d’avoir « le sang de ces Ouïgours sur les mains »
Pour Phil Robertson, directeur de l’ONG AHRLA, les propos de Paetongtarn Shinawatra — qui a rencontré, début février, son homologue chinois Xi Jinping — traduisent « soit une incompétence totale, soit un énorme mensonge ». Il estime sur X que « le gouvernement thaïlandais a commis l’impensable en forçant au moins 40 demandeurs d’asile ouïgours à retourner en Chine où ils risquent les tortures en détention, de longues peines d’emprisonnement et probablement la mort ». Il fustige une « action scandaleuse et inacceptable », accusant Bangkok d’avoir « le sang de ces Ouïgours sur les mains ».
Selon lui, la Thaïlande ne mérite pas de siéger au Conseil des droits de l’homme de l’ONU, auquel elle a accédé cette année. L’expulsion des Ouïgours vers la Chine est « une violation de la loi thaïlandaise [adoptée en 2023] sur l’interdiction du refoulement », insiste Pornpen Khongkachonkiet, militante des droits de l’homme et directrice de l’ONG CrCF. « Je n’ai pas les mots, abonde Krittaporn Semsantad, de la Peace Rights Foundation. Comment un gouvernement civil peut-il être aussi cruel ? ».
Par Valentin Cebron – La Croix – 27 février 2025
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