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(Essayer de) tout comprendre sur le conflit entre les deux pays

Depuis le 8 décembre, les affrontements militaires ont repris entre la Thaïlande et le Cambodge, chaque camp accusant l’autre d’avoir fait parler les armes en premier selon la communication des deux états-majors, alors qu’aucune investigation journalistique ou diplomatique neutre et impartiale ne soit en mesure de corroborer l’exactitude des faits. 

 Toujours est-il que les deux opinions publiques nationales, comme en juillet dernier au démarrage du conflit, sont influencées par un discours ultranationaliste relayé par le pouvoir, et peu de voix mesurées parviennent à se faire entendre dans le débat public.

Quel est l’arrière plan politique de cette guerre ?

Si l’on passe outre les provocations militaires dans le discours et dans les actes, l’instrumentalisation du tracé frontalier datant de l’Indochine française a bon dos. Aussi bien à Bangkok qu’à Phnom Penh, le pouvoir politique connaît actuellement des difficultés internes. Le Premier ministre Anutin Charnvirakul et son gouvernement ont mal géré les inondations gigantesques dans le Sud, à Hat Yai, qui laissent un très lourd bilan humain et matériel, ce qui a provoqué des critiques tous azimuts dans le royaume.

Aussi, Anutin est fragilisé par la démission forcée de deux ministres liés à l’affaire Ben Smith (Mauerberger), qui établit que le cœur de la finance thaïlandaise est gangréné par des actifs en cryptomonnaie provenant des centres de cybercriminalité établis…au Cambodge. La presse et les réseaux sociaux ont divulgué la semaine dernière des photos « gênantes » où autour de Ben Smith figurent entre autres Anutin lui-même et l’ancien chef de l’armée royale, Apirat Kongsompong. Ce qui a engendré un certain malaise. Le public et les partis d’opposition ont l’impression que des noms importants n’ont pas encore été divulgués dans ce scandale. Malgré la saisie et le gel par l’Office de lutte contre le blanchiment d’argent (AMLO) de 9,279 milliards de bahts liés aux transactions mafieuses du réseau Ben Smith.

Au Cambodge, la dynastie familiale Hun père et fils, se sait sous la surveillance accrue des Etats-Unis à cause de la présence sur son sol de ces centres de fraude, dont les revenus annuels seraient estimés à au moins la moitié du PIB cambodgien et les profits suspectés de remplir en partie les poches de Hun Sen et de politiciens des deux côtés de la frontière. De surcroît, Hun Sen, président du Sénat, et son fils Hun Manet, Premier ministre, veulent profiter des tensions avec l’ennemi héréditaire siamois pour unir leur peuple. Quoi de mieux que de redémarrer une guerre pour faire regarder ailleurs, en tant que calcul politique assumé pour les deux parties ?

Quel est l’agenda de l’armée ?

L’armée royale thaïlandaise quels que soient les gouvernements, défend de la souveraineté territoriale. En s’émancipant des gouvernements civils puisqu’elle se définit comme la gardienne du royaume et de la monarchie. Ce qui fait qu’Anutin et son gouvernement s’alignent très confortablement sur ce discours ultranationaliste, en espérant en obtenir un gain électoral.

En refusant de reprendre les pourparlers avec le Cambodge, sous pression américaine et sur proposition du Premier ministre malaisien et médiateur de l’ASEAN, Anwar Ibrahim, Anutin se place en position de suiviste des généraux de l’armée royale, dont le chef d’état-major, Chaiyapruek Duangprapat, a déclaré lundi vouloir « neutraliser durablement les capacités militaires du Cambodge, dans l’intérêt de la sécurité des enfants et petits-enfants thaïlandais ». Le chef du gouvernement a annulé hier une visite dans les provinces inondées pour aller au chevet de soldats blessés. Une image remplace une autre dans le contexte du moment. Anutin, dépassé par les flots de Hat Yai, joue sans scrupules la carte du nationalisme pour séduire en amont des élections anticipées en mars 2026.

Comment réagit l’opposition à l’intransigeance d’Anutin de revenir à la table des négociations ?

Le leader du People’s Party, Natthapong Ruengpanyawut, a affirmé le 9 décembre que la déclaration d’Anutin, rejetant toute nouvelle négociation de paix avec le Cambodge, est un « grave danger » pour la Thaïlande et risque de la placer « dans la position d’un agresseur aux yeux de la communauté internationale». Le chef du parti « orange » a ajouté que « le recours exclusif aux opérations militaires ne permettra pas de résoudre le conflit et risque même de piéger la Thaïlande dans un engrenage stratégique tendu par Phnom Penh, « passant d’une situation où le monde isole le Cambodge à cause des escrocs à une autre où le monde condamne la Thaïlande pour avoir attaqué un voisin plus faible ».

Natthapong souhaite une combinaison d’actions englobant défense militaire, pression diplomatique et répression des réseaux d’escrocs qu’il voit comme « une manne de financement du régime de Hun Sen ». Natthapong s’est inquiété des plus de 100 000 habitants évacués des six provinces frontalières pour échapper à la guerre et ses dommages, de la fermeture de nombreux hôpitaux et écoles dans ces mêmes terres ainsi qu’il a présenté ses condoléances aux familles des soldats tués et réconfort aux blessés.

Quels effets sur l’économie ?

La Thaïlande, avec cette crise, a vu le départ de très nombreux travailleurs migrants cambodgiens indispensables dans de nombreux secteurs, une main d’œuvre qui n’est toujours pas totalement remplacée. Le tourisme pâtit de cette guerre tout autour de la zone de conflit et l’image véhiculée n’est pas bonne pour tous les métiers liés aux arrivées de voyageurs. Il faudra une volonté politique forte pour mettre fin à cette guerre « la plus bête du monde », la période pré-électorale qui va s’ouvrir en Thaïlande n’est sans doute pas le contexte opportun pour y parvenir.

Par Philippe Bergues – Gavroche-thailande.com – 11 décembre 2025

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