Pour la première fois, l’armée birmane reçoit moins d’argent
Début mai, le président Win Myint et la conseillère d’état Aung San Suu Kyi ont demandé à 22 ministères d’allouer 10 % de leurs ressources au plan de relance économique post-Covid-19, un plan lancé fin avril qui vise à relancer l’économie birmane et à soutenir notamment les petites et moyennes entreprises, les travailleurs indépendants (nombreux dans le pays) ou encore les ménages à faibles revenus.
Mais en prélevant dans leurs fonds, certains ministères se sont retrouvés en difficultés sur certaines lignes budgétaires, et une redistribution de l’argent restant pour clôturer les quatre derniers mois de l’année fiscale est en cours.
Pour cette ultime révision du budget national de l’année 2019-2020, la plupart des ministères ont demandé des sommes supplémentaires pour achever leurs projets et maintenir leur fonctionnement. Nay Pyi Taw a ainsi traité 2,66 billions de kyats (environ 1,7 milliard d’euros) de demandes. Les budgets, dont la majorité a été revue à la baisse, ont été attribués le 27 mai.
Et pour la première fois, le ministère de la Défense ne fait pas exception, qui recevra moins que les quelque 198 milliards kyats (environ 120 millions d’euros) qu’il réclamait. Sa demande a été réduite de 10,6 milliards de kyats (environ 7 millions d’euros) car une bonne partie des fonds sollicités correspondait aux coûts des transports, un pôle de dépense important du ministère, et le parlement a estimé que la demande était trop élevée, établie sur des cours de carburants vieux de plusieurs mois alors que le prix du pétrole a beaucoup chuté.
Un député de la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND), le parti au pouvoir, avait même proposé une réduction du double mais face à un ministre de la Défense convaincant, qui affirme que « la Tatmadaw – armée régulière – ne gaspille pas l’argent de l’État », sa proposition n’a pas été acceptée. C’est la première fois depuis l’arrivée au pouvoir de la LND qu’une demande de budget de l’armée n’est pas pleinement acceptée.
Une « baisse » à nuancer toutefois : en comparaison, le ministère de l’Agriculture, de l’Élevage et de l’Irrigation a demandé 7,7 milliards (environ 5 millions d’euros) et s’est vu simplement attribuer 2,7 milliards de Kyats (environ 1,7 millions d’euros). D’ailleurs, entre cette année fiscale complète et la précédente, le budget du ministère de la Défense reste en hausse. En revanche, signe d’un changement limité mais en cours, sa part dans le budget total de l’État a elle baissé : depuis 2012, et le début d’un retour à une certaine démocratie avec l’implication du parlement dans les arbitrages budgétaires, cette part du budget de la Défense au sein du budget national représentait chaque année entre 13 % et 15 % des dépenses de l’État. Cette année, malgré son augmentation, il ne devrait compter que pour 11 %.
Quant au Comité de développement de l’agglomération de Yangon, qui gère la ville et ses dépendances, il a lui essuyait une véritable rebuffade avec un refus pur et simple du parlement régional de lui allouer un montant d’environ 90 000 euros que le Comite demandait « pour financer un orchestre destiné à jouer lors des événements officiels de l’agglomération ». Les députés ont globalement vivement réagi à la fois au montant requis et à l’opportunité d’une telle demande, jugée par la majorité comme totalement déplacée alors que le pays fait face à une crise sanitaire, économique et sociale majeure.
L’impact de cette crise sur les finances nationales est d’ailleurs tel qu’un député de la commission parlementaire de la planification économique, U Maung Maung Win, a expliqué que le gouvernement n’utilisera désormais plus de fonds publics pour pallier les répercussions de la pandémie. Dorénavant, il se focalisera sur les prêts venus de ses partenaires internationaux. Plusieurs ont déjà été obtenus : 620 millions d’euros par le Fonds Monétaire International, 400 millions euros par la Banque Mondiale, 240 millions d’euros par l’Agence Japonaise de Coopération Internationale, 80 millions d’euros par la Banque Asiatique de développement. Ces prêts sont consacrés à des projets variés : le plan de relance post-Covid-19, le système de santé, l’électrification du pays, les infrastructures, etc. D’autres négociations sont en cours, par exemple avec le fonds de coopération et de développement économique de la Corée du Sud pour maintenir la construction du pont de l’amitié birmano-coréenne, entre Yangon et Dala.
Par Julia Guinamard – Lepetitjournal.com – 7 juin 2020
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