Kampot : un collectif se mobilise contre un projet de tours jumelles
Débuté fin 2019, un projet immobilier prévoit la construction de deux tours dans le centre historique de Kampot. Un collectif se mobilise pour tenter de modifier le projet.
La paisible promenade le long de la rivière de Kampot, bordée d’anciennes maisons coloniales, va probablement changer radicalement de visage. Situé en face du vieux pont, sur la rive gauche, un projet immobilier prévoyant la construction de deux tours a débuté fin novembre. La plus grande des tours, avec ses 42 étages, sera d’une taille comparable à la Golden Tower de Phnom Penh, actuellement en construction au croisement des boulevards Sihanouk et Monivong. La seconde, plus petite, devrait compter un peu plus de trente étages. Selon les informations disponibles, les deux tours accueilleront un centre commercial, plusieurs installations de divertissements, des habitations, un parking souterrain et un jardin installé sur le toit. Si le chantier est mené à son terme, ces immeubles deviendraient les plus hautes tours du Cambodge en dehors de Phnom Penh et de la province de Kandal.
Mais ce projet immobilier, porté par l’entreprise cambodgienne Thai Boon Roong, n’est pas du goût de tous. Un collectif d’une trentaine d’habitants, réunissant Cambodgiens et expatriés et se présentant comme « les amis de la ville de Kampot », a récemment fait parvenir une lettre au bureau du premier ministre Hun Sen. Le collectif demande « la reconsidération et la modification du projet », mettant en avant le « patrimoine architectural préservé et reconnu » de la ville de Kampot, et fait part de ses craintes qu’un tel projet ait « un impact défavorable sur l’harmonie de l’ensemble de cette partie de la ville à haut intérêt patrimonial, touristique et économique ». Des lettres similaires ont également été envoyées aux ministères de l’aménagement du territoire, de l’urbanisation et des constructions, de la culture et des beaux-arts, et de l’environnement. Les « amis de Kampot » ont par ailleurs lancé une pétition en ligne pour attirer l’attention du public sur le projet et rassembler un maximum de soutiens.
« Nous ne demandons pas l’abandon du projet mais plutôt sa modification ou sa relocalisation en dehors du quartier historique », fait savoir l’un des initiateurs de cette démarche, Jean-Yves Dekeister, installé au Cambodge depuis 1991 et partageant sa vie entre la capitale et la ville poivrée. Car l’emplacement des deux tours est l’un des points problématiques soulevés par le collectif. En 2012, un projet de décret provincial a été préparé par le département de l’aménagement du territoire avec le soutien de l’association internationale des maries francophones. Il délimite une zone géographique de protection de la ville, où les constructions doivent être faites de manière à respecter le patrimoine existant. Or, la localisation des deux tours, en face du vieux pont, se trouve être au cœur de cette zone. « Le problème c’est qu’on ne sait pas si la version finale du décret a été signée, reconnaît le Franco-Cambodgien, naturalisé en 2002, associé à l’élaboration du décret en 2012. Donc s’il a la moindre valeur juridique. »
A la suite de l’envoi de la lettre au bureau du premier ministre, trois membres du collectif ont obtenu début février un rendez-vous avec le gouverneur et un vice-gouverneur de la province de Kampot ainsi qu’avec le directeur du département provincial du ministère de l’aménagement du territoire, de l’urbanisation et des constructions. « Ils ont été très à l’écoute de notre démarche mais nous ont fait savoir que nous arrivions trop tard, que toutes les autorisations avaient été données au niveau national et que les travaux avaient déjà commencés », relate Jean-Yves Dekeister, présent à la réunion.
Optimiste, il souligne tout de même que les trois hommes leur ont fait part de leur détermination à protéger le patrimoine de Kampot, en indiquant que ce projet a pu se faire uniquement car le terrain était vierge de tout bâtiment. Il reste « un peu d’ouverture dans les négociations, poursuit Jean-Yves Dekeister, notamment au niveau d’aménagements extérieurs autour des tours ». « Nous allons également essayer de promouvoir les activités culturelles et en lien avec le patrimoine de Kampot à l’intérieur des bâtiments », indique-t-il, en précisant que le collectif allait prochainement adresser une seconde lettre au premier ministre et contacter Thai Boon Roong, l’entreprise porteuse du projet.
Thai Boon Roong a été créée par l’oknha controversé Teng Bunma. Mort en 2016, il aurait fait fortune dans le trafic de drogues. L’entreprise est également en charge du projet – pour le moment à l’arrêt – des tours jumelles de Phnom Penh qui, si elles voient le jour, deviendraient les plus hautes tours d’Asie du Sud-Est avec leurs 561 mètres.
Par François Camps – Lepetitjournal.com – 10 février 2020
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