Le 13 octobre 2020, le cinéma birman fêtera ses 100 ans
Le premier film birman, Amour et Alcool, est sorti voilà cent ans, le 13 octobre 1920. Cette date célèbre aujourd’hui la journée nationale du cinéma en Birmanie.
Et cette année, un événement se prépare pour marquer le centenaire de ce cinéma, centenaire qui aurait dû être célébré tout au long de cette année mais dont nombre des festivités ont dû être annulées à cause de la crise de la Covid-19. La pandémie a restreint les célébrations à une cérémonie unique en octobre. Photos d’archives, sélection de bandes originales, questionnaire sur l’histoire du cinéma local, magazine dédié à l’événement, concours du meilleur court-métrage, du meilleur dessin animé, du meilleur documentaire, projection de films anciens restaurés : le cinéma birman sera mis à l’honneur dans son ensemble. L’occasion marquera aussi la réouverture du musée du Film birman, actuellement en travaux de rénovation.
Le cinéma birman a bien sûr été ponctué par la colonisation, la décolonisation, la dictature militaire… Autant de moments de l’histoire nationale qui n’ont pas contribué à la liberté d’expression. Celle-ci est même devenue quasi inexistante après le coup d’État militaire du général Ne Win en 1962. L’industrie cinématographique en a subi les répercussions : pendant longtemps, les films, imprégnés de la culture théâtrale birmane, ont surtout traité de sujets légers, beaucoup de comédies musicales et d’histoires d’amour. À partir des années 90 et jusqu’aux années 2000, ce sont majoritairement des documentaires de propagande, contrôlés par le gouvernement, qui ont été produits. Quelques films ont toutefois réussi à garder une portée politique grâce à l’habileté artistique de certains réalisateurs, notamment Maung Wunna et Maung Ti. Depuis 2011 et l’ouverture progressive du pays, les enjeux sociaux réapparaissent peu à peu sur le grand écran.
Nouveau souffle sur le cinéma birman
Une grande majorité des films actuels sont marqués par l’influence des blockbusters hollywoodiens, bollywoodiens et thaïlandais. Mais une nouvelle génération de réalisateurs souhaite redonner un nouveau cap au septième art birman et s’inscrire dans la dynamique du cinéma d’auteur afin de faire évoluer les mentalités. Le réalisateur Thaid Di incarne cette nouvelle voie, avec notamment son film sur le cyclone Nargis qui a frappé la Birmanie en 2008 et dont la gestion par la junte militaire a été largement critiquée. Mais Thaid Di a dû signer Nargis : Quand le temps s’arrête de respirer sous un pseudonyme pour échapper à la censure.
En 2018, le réalisateur revient avec un sujet controversé : les droits LGBT. L’homosexualité est sanctionnée par le Code pénal par une peine de prison allant de 10 ans à la perpétuité. Le réalisateur s’exprimait en janvier 2019 sur l’accueil de ses films : « Nous savions auparavant à quoi nous en tenir face à la dictature militaire. Aujourd’hui, il faut apprendre les règles d’un nouveau jeu : les limites sont plus floues et ce n’est pas forcément mieux. En neuf éditions, le Wathann Film Fest [festival de cinéma qui se déroule annuellement à Yangon depuis les élections de 2010] avance pas à pas. L’an dernier, les autorités ont interdit la diffusion d’un court-métrage LGBT et nous avons remplacé la projection par une discussion publique à bâtons rompus. Du coup, les médias n’ont parlé que de ce film et cette année, nous avons pu montrer deux courts-métrages LGBT sans le moindre problème ».
« La plupart des acteurs ici font jusqu’à vingt films par an »
Sous la dictature militaire, peu clémente, plusieurs générations n’ont pas eu accès à de vraies formations, ce qui se répercute sur la qualité des films locaux. Ce que déplore le réalisateur de blockbuster Arkar Win : « Aujourd’hui, les films indonésiens ou cambodgiens se vendent à l’international. Mais ici, la qualité n’est pas encore là ». Une école formant aux métiers du cinéma existe aujourd’hui à Yangon, le Yangon Film School, et d’autres créations d’écoles sont en projet, dont au moins une à Nay Pyi Taw. Ces changements étant encore récents, plusieurs professionnels du cinéma ont développé leurs compétences à l’étranger. C’est le cas de Christina Kyi, formée à New York. Lors de son retour en Birmanie, la réalisatrice a été surprise par l’organisation des tournages. En Birmanie, la phase de pré-production est souvent faite à la hâte, la distribution des rôles et les repérages sont faits à la va-vite… À cela s’ajoute un manque de maîtrise des aspects techniques, comme sur l’éclairage. La réalisatrice compte changer la donne : « La plupart des acteurs ici font jusqu’à vingt films par an. Avec moi, ils savent qu’ils vont devoir travailler pendant six mois ». Et peut-être plus, car les acteurs locaux les plus fameux manquent de maîtrise et de technique, jouent mal, avec des tics et selon des codes surannés. Des effets souvent pitoyables, il faut bien le dire !
Outre les équipes techniques et les acteurs, les organisateurs de festival et manifestations doivent aussi progresser. « Nous devrions apprendre comment se déroulent les grandes cérémonies dans l’industrie cinématographique internationale. Notre cérémonie du centenaire n’est pas seulement pour revoir et célébrer notre histoire, mais aussi pour mettre en œuvre une amélioration », a ainsi déclaré le ministre de l’Information.
Plus d’une centaine de films restaurés
Amour et Alcool est un souvenir duquel il ne subsiste plus aucune copie. Aujourd’hui, un travail de restauration est toutefois en cours sur les quelques œuvres qui ont réussi à traverser les années. Elles ne sont pas si nombreuses. En 1950, les studios de cinéma A1 Film implantés à Yangon ont été détruits par un incendie qui a réduit en cendres de nombreuses pellicules. Par la suite, les films réalisés durant les années 50 – 70 n’ont pas eu un meilleur sort. Avec un climat chaud et humide, de nombreuses bandes magnétiques ont été détériorées et ne sont plus exploitables. Mais cela n’arrête pas les bonnes volontés. Ainsi, chaque année depuis 2016, le festival Memory ! se consacre-t-il, entre autres, à de la formation et de l’éducation au cinéma ainsi qu’à de la restauration d’œuvres birmanes. Quant à Maung Okkar, issu d’une famille de cinéastes, il a créé l’association Myanmar Save Films qui a abouti à la restauration d’une centaine d’œuvres. Le film le plus ancien qui a bénéficié d’une restauration est La Jungle d’émeraudes, réalisé en 1934. Cette restauration sera mise à l’honneur lors du centenaire du cinéma birman.
Par Julia Guinamard – Lepetitjournal.com – 22 juin 2020
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