L’économie birmane dans le rouge
Dans les pays très nationalistes, il est toujours difficile de faire la part des choses entre la propagande, la naïveté, l’aveuglement et le cynisme.
A moins que dans ce cas il ne s’agisse d’humour au second degré… En tout cas quelqu’un du Global New Light of Myanmar, média d’Etat et quotidien le plus distribué de Birmanie, a eu le culot ou l’inconscience de titrer son papier « Le plan de soutien économique efficace aide l’économie à récupérer ». Pas sûr que les plus de 250 000 Birmans qui sont aujourd’hui sans emploi – et qui ont pour la plupart perdu celui-ci pendant les trois derniers mois – partagent cette opinion… Car malgré les belles paroles et la « pensée positive », tous les indicateurs économiques du pays sont au rouge.
Certes, Nay Pyi Taw a reçu des prêts en quantité de la part d’institutions internationales ou d’états partenaires – 700 millions de dollars étasuniens de la part du FMI, 270 millions de dollars étasuniens venant du Japon, 250 millions de la Banque mondiale, 30 millions de la Banque asiatique de développement… – mais ce sont des sommes qu’il faudra a priori tôt ou tard rembourser – pas le souci majeur du moment – et qui arrive surtout dans un pays toujours aussi peu et mal organisé pour les utiliser ou les redistribuer efficacement. C’est en effet un élément clef qui ressort des dernières études ou rapports parus récemment sur les effets de la crise de la Covid-19 : l’ignorance globale des entreprises, en particuliers les petites et moyennes entreprises (PME), des mesures d’aide et d’assistance prises pour les soutenir. Et vu que la communication, la simplification et la fiabilité d’exécution ne sont pas les caractéristiques principales de ce gouvernement, si nul ne doute de la bonne volonté réelle des dirigeants à aider, il est en revanche possible de penser que l’efficacité ne sera guère au rendez-vous…
La demande économique s’écroule
Or, c’est bien d’efficacité que les Birmans ont besoin aujourd’hui. Selon le ministère du Travail, de l’Immigration et de la Population, « environ 100 000 expatriés birmans sont rentrés au pays depuis le début de la pandémie et ils sont sans emplois. Et, par ailleurs, comme quelque 5 600 usines ont fermé dans le pays, ce sont 150 000 ouvriers qui ont perdu leur emploi pour le moment ». Donc 250 000 personnes qui ne subviennent plus à leurs besoins ou à ceux de leur famille… Certes, le ministère ajoute que les travailleurs migrants de retour en Birmanie ont été dûment enregistrés par les services compétents et ceux-ci mettent en contact employeurs et employés potentiels lorsque les savoir-faire et les besoins correspondent mais si les promesses de faire au mieux pleuvent, les emplois restent peu nombreux.
En outre, sachant que 600 000 foyers birmans vivent en partie de l’argent de l’expatriation de l’un des leurs, ces retours massifs de travailleurs de l’étranger ajoutés à la crise économique qui règne mondialement signifient une forte réduction des moyens financiers des familles et donc de la consommation, ce qui va bien sûr à son tour susciter des fermetures de commerce et des pertes d’emplois. Une situation qui transparaît dans le ralentissement de l’inflation, un indicateur économique sensible à la demande. Celle-ci a baissé, notamment pour la nourriture, ce qui a entraîné une diminution des prix. Du coup, l’inflation n’est plus « que » de 5,2 % en avril et 8,3 % en mai alors qu’avant la crise elle se situait autour de 9,5 %.
La Banque mondiale, spécialiste de la boule de cristal
Un chiffre à comparer avec les prévisions de croissance, que la Banque mondiale vient de réviser à la baisse, évoquant dorénavant un taux de 0,5 % alors qu’en janvier dernier la même instance annonçait 6,4 % pour cette année fiscale 2019-2020, en droite ligne avec le 6,3 % de l’année fiscale précédente. Il faut bien sûr garder en tête toutes les limites de telles prévisions. Au vu des développements de la crise économique actuelle en Birmanie, une récession semble malheureusement tout à fait possible, même si les économistes, toujours poètes, préfèrent nommer cela « de la croissance négative ». Mais l’économie brille depuis longtemps bien plus dans l’art de l’oxymore que dans celui de la prévision…
Évidemment, les disparités sont grandes entre les secteurs commerciaux, et si le tourisme ou les médias sont frappés de plein fouet, le secteur de l’informatique bénéficie d’une forte demande. Mais, là encore, ce sont de faux-semblants car la Birmanie ne dispose que de très peu de travailleurs qualifiés et donc une demande en hausse dans les services ne se traduira pas par des embauches et une meilleure dynamique car le secteur tourne déjà à plein régime et n’a pas les ressources humaines pour croître rapidement, faute de pouvoir recruter les compétences nécessaires. Au contraire, cette demande en hausse dans les services va probablement provoquer des prix également à la hausse et donc en rendre l’accès encore plus difficile pour beaucoup de PME, déjà au plus mal par ailleurs.
Tout cela n’empêche pas la Banque mondiale de persister dans la prédiction, qui voit dans sa boule de cristal « que la tendance est positive pour la Birmanie sur le moyen-terme ». Tout en ajoutant que « l’évolution de la pandémie de Covid-19 étant imprédictible, cela pose malgré tout de fort risque sur cette prévision ». Des prévisions prenant en compte des éléments imprédictibles pour dessiner des tendances improbables… On ne peut s’empêcher de penser qu’il n’y a pas qu’en Birmanie que les astrologues sont influents…
Lepetitjournal.com – 29 juin 2020
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