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La démocratie ? Comprends pas…

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En 1848, au sein du gouvernement provisoire issu de la révolution de février, ce fut paradoxalement le socialiste républicain Louis Blanc qui s’opposa jusqu’à son exil à l’emploi du suffrage universel masculin en France.

Son argument principal ? « Les masses insuffisamment éduquées sont aisément manipulables. Seuls des gens qui maîtrisent la notion de démocratie et les concepts qui l’accompagnent peuvent s’exprimer de manière valide en toute conscience politique », expliquait-il le 29 avril 1848 dans un discours resté célèbre. La suite, l’élection à une majorité écrasante de Louis Napoléon Bonaparte sur son seul nom et la fin de la deuxième république deux ans plus tard, lui donna raison pour ce qui touche aux risques du populisme nominal. Mais la question de savoir s’il faut établir ou pas des conditions de compréhension de base, et si oui lesquelles ?, afin d’acquérir le droit de voter reste un sujet classique de théorie politique tant furent et sont encore grands les abus du populisme d’un côté et ceux des savoirs discriminants utilisés comme limites au vote de l’autre.

A quelques mois des élections générales en Birmanie, pays où l’usage de la figure tutélaire – même si son nom n’est pas Napoléon Bonaparte – est généralisé et notamment par sa famille, il devient éclairant de s’interroger sur ce que les 37 millions de Birmans appelés à s’exprimer le 8 novembre prochain comprennent aujourd’hui des grands messages qu’ils ont entendu marteler pendant cinq ans sur la démocratie, le processus de paix et le futur rayonnant du pays. C’est là que le travail du Think Tank birman Centre for Development and Ethnic Studies (CDES) prend toute sa valeur.

Une étude portant sur 1 131 réponses d’individus éduqués

A travers consultances, conseil et formations, cet organisme intervient auprès de multiples organisations de la société civile (OSC), organisations non-gouvernementales (ONG), partis politiques, organisations de jeunesse, syndicats et mouvements militants, autres centres de formations, militants de toutes sortes… Et le CDES a eu l’idée de développer un questionnaire avec huit entrées afin de pouvoir évaluer les connaissances et la compréhension des grands concepts aujourd’hui mentionner par les principaux dirigeants politiques du pays ou les grandes agences internationales finançant de multiples programmes sur ces sujets : démocratie, fédéralisme, décentralisation, auto-détermination, égalité entre les genres, état séculier, connaissance sur le processus de paix et vision prospective de la paix.

Pour chaque concept, le Think Tank a fourni une définition et développé une grille d’évaluation allant de 1 à 5 pour mesurer la compréhension de celui-ci. Entre novembre 2018 et mars 2020, le CDES a demandé à toutes les personnes avec qui il a travaillé d’exprimer librement leurs vues sur ces différents sujets. Ils sont 1 131 personnes à avoir répondu – en gros un tiers de femmes, deux tiers d’hommes – dans 13 régions ou états où le CDES intervient, Nay Pyi Taw étant considéré comme une région. L’Arakan et la région de Yangon sont exclus. Et pour reprendre la conclusion de ce travail paru en juin 2020, « le niveau de connaissance et de compréhension de ces différents concepts par les participants à l’étude est très limité, et cela est d’autant plus surprenant qu’il ne s’agit pas de citoyens ordinaires mais de dirigeants, d’experts, de militants… d’individus diplômés ».

Seulement 33 % des répondants comprend ce qu’est la démocratie !

Qu’on en juge plutôt… Le CDES définit la démocratie comme « un système reposant sur la séparation des pouvoirs, la représentation, des élections et sur la liberté d’expression » ; dans 11 états ou régions sur 13, seule une minorité de répondants comprennent cette définition. Et dans les deux états – le Chin et le Kayah – où il s’agit d’une majorité, elle n’a rien d’écrasante, avec 53 et 54 % respectivement. Mais dans la région de Nay Pyi Taw ou l’état de Mon, le score atteint 15 et 12 % ! Si maintenant nous nous intéressons à la notion de fédéralisme comprise comme « des règles locales, des règles partagées au niveau fédéral, une division constitutionnelle des pouvoirs entre le pouvoir fédéral et les états et régions membres de la fédération », les réponses oscillent partout entre 10 et 31 %. Et pour l’état séculier considéré comme « la séparation de la politique et de la religion », la moyenne de compréhension atteint… 18 % ! Les répondants de la région de Magwé ou de l’état de Mon comprenant ainsi la notion d’état séculier sont seulement 5 et 4 % respectivement. Des individus dirigeants, militants, ayant étudié et pourvus d’un diplôme…

Il en va de même pour tous les autres concepts : aucun n’est saisi par la majorité des 1 131 répondants. La notion qui reçoit la meilleure compréhension restant la démocratie, avec un score de 33 %, et celle la plus mal comprise étant la notion d’état séculier. Dans les régions notamment, l’état séculier est compris comme « un état sans religion ou un pays qui rejette toutes les religions ». Le concept est un peu moins mal appréhendé dans les états. Et c’est d’ailleurs un autre résultat surprenant, la disparité de niveaux des réponses entre les régions et les états, analysés comme deux groupes différents. Pour tous ces concepts, le niveau dans les états est en moyenne supérieur à celui des régions.

Enfin, un dernier point notable : la conclusion de l’étude note que les résultats montrent qu’une majorité de répondants ont de gros espoirs dans un meilleur avenir. En particulier, les participants attendent beaucoup du processus de paix. Ce qui traduit selon les six chercheurs ayant réalisé ce travail « la soif des citoyens pour que la paix règne dans le pays ».

Lepetitjournal.com – 6 juillet 2020

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