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Coronavirus : la pauvreté s’installe en Thaïlande

Si la Thaïlande a jugulé la pandémie, elle est l’une des économies asiatiques les plus affectées par la récession déclenchée par le Covid-19.

L’économie thaïlandaise n’était pas en bonne santé au début 2020. Depuis plusieurs années, sa croissance est inférieure à la moyenne de l’ASEAN. À la fin de l’année dernière, la mission du FMI anticipait un taux de croissance de 3 % pour 2020.

Du côté de l’offre, l’économie est dominée par l’industrie manufacturière et le tourisme. L’agriculture, qui emploie le tiers de la population au travail, occupe un strapontin (9 %) dans le PIB. Les deux points forts de l’industrie manufacturière sont l’automobile et l’électronique. La moitié de la production automobile est exportée, et le détroit d’Asie du Sud-Est s’est taillé une niche mondiale dans la fabrication de pick-up – dont le Hilux de Toyota premier constructeur en Thaïlande. L’industrie électronique, elle, exporte un pourcentage plus élevé de sa production. Elle assemble des composants et fabrique près de la moitié des lecteurs de disques vendus dans le monde – les inondations de Bangkok avaient ainsi eu des répercussions dans le monde entier, l’arrêt des fabrications de disques durs ayant mis en difficulté la plupart des marques d’ordinateurs. L’automobile et l’électronique thaïlandaises sont toutes deux insérées dans des chaînes globales de valeur et les produits exportés par la Thaïlande reposent de plus en plus sur l’importation de pièces ou composants en provenance de Chine, du Japon et de Corée du Sud. Deux millions de Thaïs travaillent dans l’électronique et l’automobile sur 4,5 millions dans l’industrie manufacturière, alors que six millions vivent du tourisme.

En 2019, la Thaïlande a attiré 39,8 millions de touristes dont près d’un tiers de Chinois qui attendent le feu vert pour revenir. Suivant l’exemple de Cuba, la Tunisie ou la Hongrie, la Thaïlande cherche à capitaliser sur la qualité de l’excellence de son système de santé pour devenir un hub médical en Asie du Sud-Est concurrent de Singapour et pour attirer des « temples brisés » arrivés du Japon et d’Europe. Avec 12 millions, l’agriculture assure 9 % du PIB du pays. L’écart entre sa participation à l’emploi et au PIB est au cœur de l’opposition entre les Chemises rouges et les Chines Jaunes depuis près de vingt ans. La sécheresse qui a sévi en 2019 avait aggravé la situation des agriculteurs.

Endettement des ménages

Du côté de la demande domestique, la consommation des ménages est le principal moteur de l’économie (48 %), loin devant l’investissement. Curieusement, la consommation des ménages est bridée par l’endettement. En effet, la dette des ménages représente 80 % du PIB thaïlandais, un taux très élevé : il est de 73 % aux État-Unis, de 61 % en France et 56 % en Chine.

Le taux thaïlandais est sans doute plus élevé, autour de 100 % du PIB, car les chiffres de la Banque de Thaïlande ignorent ou sous-estiment la dette informelle. L’endettement des ménages a été encouragé par les politiques économiques menées depuis 2010. Entre 2011 et 2013, le crédit automobile assorti d’une exonération d’impôt a dopé les ventes de voitures ; la garantie du prix du riz a encouragé les agriculteurs à s’endetter. Les ménages les plus modestes sont les plus endettés. Ils sont aussi ceux qui épargnent, proportionnellement, le plus pour préparer leur retraite : la Thaïlande est après Singapour le pays d’Asie du Sud-Est qui vieillit le plus rapidement. En 2050, l’âge médian, qui partage la population en deux, sera de 49 ans, plus élevé qu’en France.

Quant à l’investissement, second poste de la demande domestique (25 % du PIB), il augmente peu. Les entreprises font face à la concurrence chinoise sur leur marché et elles réagissent à l’érosion de leur compétitivité en délocalisant aux marches du Royaume, au Cambodge, au Laos, en Birmanie et au Vietnam où la main-d’œuvre est meilleur marché. Elles investissent plus à l’étranger que les étrangers n’investissent en Thaïlande. L’économie thaïlandaise est très ouverte : le commerce extérieur représente 100 % du PIB. Elle dégage un excédent courant confortable (6 % du PIB). Sa monnaie s’apprécie et la dette publique est modeste (35 % du PIB). En dépit de ces bons fondamentaux, l’économie thaïlandaise a été bousculée par la crise économique qui a suivi la crise sanitaire

Mesures sociales trop faibles et crise politique

C’est en Thaïlande qu’a eu lieu le premier décès du Covid-19 hors de Chine. L’état d’urgence sanitaire a été déclaré le 26 mars et il a pris fin le 30 juin. Si le gouvernement n’a pas imposé de confinement généralisé, il a par contre limité les déplacements entre les provinces et interdit les déplacements internationaux. Le pays a compté « seulement » 58 décès depuis janvier et moins de dix nouveaux cas par jour depuis le début juillet Ce « succès sanitaire » n’a pas empêché l’économie de se contracter au premier trimestre et, si l’en on croit le FMI, elle pourrait connaître une sévère contraction (-5 %) en 2020 – ce qui qui restera inférieur à celle de 1998 (-8 %). Les exportations ont chuté de 30 % en avril, et la Banque de Thaïlande prévoit qu’elles diminueront de 9 % sur l’année et que les importations chuteront de 15 %. Les restrictions à la mobilité et le respect des gestes barrières ont freiné la consommation. Les ventes de voitures ou de motocyclettes se sont effondrées et les restaurants et les hôtels n’avaient plus de clients. Cette contraction sanctionne le trop grande part de l’économie informelle : elle rassemble 17 millions de salariés et 21 millions de travailleurs. Si les clients louent la souplesse de ce secteur pendant les bonnes périodes, ces travailleurs se retrouvent totalement démunis.

Le secteur informel concerne 90 % des agriculteurs et 60 % des travailleurs de la distribution. Près de 8 millions ont été directement touchés par la crise, soit qu’ils aient perdu un emploi soit que leur revenu ait diminué parce qu’ils travaillent moins, ou parce qu’ils reçoivent moins de transfert de leurs enfants vivant en ville ou à l’étranger. Autant de raisons qui peuvent les mettre dans une situation périlleuse lorsqu’ils sont endettés. Face à cette crise sociale, le gouvernement a adopté un plan de relance équivalant à 12 points de PIB. Un quart reviendra au tourisme et un autre à des mesures sociales via des « cash transfer » assez modiques : une allocation de 5 000 bahts mensuels (140 euros) pendant trois mois pour les 15 millions d’autoentrepreneurs ou de salariés licenciés, 15 000 bahts de compensation pour les salariés, 5 000 baths pour les agriculteurs et 1 000 baht par mois pour les séniors. Ces transferts ne seront pas suffisants et la Banque mondiale estime que le nombre de personnes vivant avec moins de 5,50 dollars par jour va doubler et atteindra 9,7 millions au second trimestre. Cette crise profonde creuse les inégalités dans le pays d’Asie du Sud-Est où elles sont déjà les plus élevées avec un coefficient de Gini de 0,45. Selon le Crédit Suisse, les 1 % les plus riches concentre 67 % de la richesse nationale, et les 50 % les plus pauvres s’en partagent 1,7 %.

Selon la Banque mondiale, la Thaïlande ne retrouvera pas un taux de croissance « pré-covid » de 2,5 % avant 2022. Plusieurs ministres, dont ceux des Finances, de l’énergie et le vice Premier ministre, ont démissionné. Défiant la répression qui s’est aggravé avec l’adoption de la loi d’urgence sanitaire, 2 500 étudiants ont manifesté en demandant la dissolution du gouvernement et des pancartes ont été brandies critiquant le roi qui réside en Allemagne. Il est peu probable que le nouveau gouvernement modifie le programme de soutien pour le rendre plus inclusif, et moins encore qu’il revisite les choix du plan 2017-2036. Ce dernier propose de porter la croissance annuelle à 5 % en capitalisant sur des investissements dans le Corridor Économique de l’Est et les nouvelles technologies.

Par Jean-Raphaël Chaponnière – Asialyst – 24 juillet 2020

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