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Massacres en Birmanie: premiers aveux de militaires déserteurs

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Deux soldats de terrain ont reconnu leur participation dans des exactions commises contre les Rohingyas selon deux médias et l’ONG Fortify rights. Ils auraient été transférés à La Haye où la CPI a ouvert une enquête l’année dernière pour crimes contre l’humanité.

Ce sont deux confessions et une reddition qui devraient marquer un tournant dans la lutte contre les crimes commis à l’encontre des Rohingyas en Birmanie. Trois ans après le début de massacres de masse perpétrés par les forces de sécurité birmanes dans l’Etat Rakhine (ouest du pays), deux soldats ont admis avoir violé et tué des hommes, des femmes et des enfants de la minorité musulmane Rohingya lors d’«opérations de nettoyage» en 2016 et 2017.

Dans des conditions qui restent à élucider en partie, ces deux hommes ont fui la Birmanie pour rejoindre le Bangladesh. Ils se trouveraient aujourd’hui à La Haye aux Pays-Bas, où la Cour pénale internationale (CPI) a ouvert une enquête pour crimes contre l’humanité le 14 novembre dernier. Mardi après-midi, la CPI a toutefois précisé que ces hommes n’étaient pas sous sa garde, et on ignorait précisément où ils se trouvaient.

Jamais des soldats birmans n’avaient jusqu’à présent fait aveu de culpabilité dans ces exactions, qui ont fait au moins 10 000 morts selon une «estimation prudente» de l’ONU (des chercheurs et des humanitaires avancent le chiffre de 24 000 décès) et chassé vers le Bangladesh voisin environ 745 000 personnes.

A eux seuls, ces deux simples militaires pourraient être «directement responsables de la mort de 180 civils», avance l’ONG Fortify Rights, qui a pu visionner les témoignages des deux hommes. Selon cet organisme, le New York Times et le site de la Canadian Broadcasting Corporation, les deux militaires reconnaissent dans ces vidéos avoir tué des dizaines de villageois dans au moins six villages du nord de l’Etat de Rakhine et les avoir enterrés dans des fosses communes, mais aussi s’être livré à des viols et à des destructions de villages.

19 auteurs directs

«Les deux soldats ont donné les noms et grades de 19 auteurs directs de la Tatmadaw [l’armée birmane, ndlr], dont eux-mêmes, ainsi que ceux de six commandants supérieurs de l’armée birmane qui, selon eux, ont ordonné ou contribué à des crimes d’atrocités contre les Rohingyas, dont un lieutenant-colonel, un colonel et trois capitaines», explique Fortify Rights.

Les confessions – libres ? – ont été enregistrées par l’Armée d’Arakan (Arakan army, AA), une rébellion armée en pleine ascension depuis près de deux ans et engagée dans des affrontements meurtriers avec la Tatmadaw. Selon un porte-parole de l’AA, les deux soldats sont considérés comme des déserteurs et n’ont pas été détenus comme prisonniers de guerre.

Le soldat Myo Win Tun, 33 ans, et son collègue, Zaw Naing Tun, 30 ans, étaient respectivement rattachés au bataillon 565 de l’infanterie légère de l’armée birmane et au bataillon 353, des unités activement engagées dans le nettoyage ethnique et les massacres de l’Etat Rakhine en août 2017.

Myo Win Tun a reçu un ordre explicite de son supérieur : «Tirez sur tout ce que vous voyez et tout ce que vous entendez.» Le colonel Than Htike lui a demandé «d’exterminer tous les kalars [terme péjoratif birman désignant les Rohingyas] et leur race sera exterminée». En septembre 2017, il a participé à la destruction de villages dans la région de Taung Bazar, dans le township de Buthidaung. Il reconnaît également avoir violé et tué des civils dans cette même zone.

Cet homme était déjà apparu dans une vidéo (voir ci-dessous) de l’Armée d’Arakan en mai, date à laquelle il aurait déserté. Ce qui laisse également supposer qu’il était depuis plusieurs mois en contact avec l’AA. Sa nouvelle vidéo, que Libération n’a pu visionner, a été enregistrée le 23 juillet.

«Tuez tout ce que vous voyez, que ce soient des enfants ou des adultes.» C’est l’ordre qu’a reçu l’autre soldat, Zaw Naing Tun, selon son témoignage filmé le 8 juillet, indique Fortify Rights. Recruté de force dans l’armée birmane en 2016, il en aurait quitté les rangs en juin.

La CPI dispose d’un programme de protection des témoins, spécifié dans les articles 68 et 43 du Statut de Rome. Fortify Rights insiste pour que les deux hommes en bénéficient et qu’ils répondent de leurs actes.

«Actes de génocide»

Si ce qu’admettent les deux soldats est confirmé et étayé, ces aveux pourraient constituer de nouveaux et précieux éléments de preuve pour nourrir les dossiers d’enquêtes lancés par la CPI, mais également les démarches en justice intentées devant la Cour de justice (CIJ) de La Haye, qui, elle, statue sur les différents entre Etats.

Depuis décembre, la CIJ instruit un dossier dans lequel la Birmanie est accusée par la Gambie «d’actes de génocide» à l’encontre de Rohingyas. Au nom de la compétence universelle, une plainte a également été déposée devant les tribunaux argentins. Ces premiers aveux de l’intérieur de la machine militaire birmane ne font que conforter des actions en justice encore impensables il y a un an.

Par Arnaud Vaulerin – Libération – 8 Septembre 2020

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