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Comment Bayer et USA ont fait du lobby pour le glyphosate en Thaïlande

Le géant de la chimie, Bayer, et les Etats-Unis ont coopéré étroitement l’an dernier pour faire pression sur la Thaïlande afin qu’elle annule l’interdiction du glyphosate, utilisé dans le désherbant controversé Roundup, selon des documents obtenus par une ONG environnementaliste et examinés par Reuters.

La campagne de lobbying est détaillée dans plus de 200 pages de documents et d’e-mails partiellement censurés, certains impliquant des échanges directs entre des responsables américains et un représentant de Bayer – notamment des responsables américains du commerce demandant à ce dernier des informations sur la vice-ministre thaïlandaise de l’Agriculture.

Ces documents ont été obtenus en vertu de la loi américaine sur la liberté de l’information par le Center for Biological Diversity de Tucson, qui les a partagés avec Reuters.

La Thaïlande a abandonné son projet d’interdire le glyphosate quelques jours avant l’entrée en vigueur de l’interdiction en décembre 2019. Elle avait approuvé la mesure en octobre, invoquant des inquiétudes vis-à-vis de l’impact de ce produit chimique sur la santé humaine.

Reuters n’a pas été en mesure de déterminer les raisons du changement de position de la Thaïlande dans cet intervalle de quelques semaines, ni de prouver si le lobbying des États-Unis et de Bayer avait ou non joué un rôle dans la décision finale de la Thaïlande.

Une porte-parole du gouvernement thaïlandais a nié toute influence étrangère sur l’annulation de l’interdiction.

L’utilisation du glyphosate fait l’objet de restrictions dans plus d’une quinzaine de pays dans le monde voire d’interdiction pure et simple comme au Vietnam. D’autres pays comme la Thaïlande ou encore l’Autriche ont pris la décision de l’interdire avant de faire machine arrière. La France n’a pas été épargnée par le débat autour des dangers supposés du glyphosate ces dernières années.

Bayer a accepté en juin de parvenir au règlement de pas moins de 100.000 poursuites aux Etats-Unis pour un montant de 10,9 milliards de dollars, niant les allégations selon lesquelles Roundup provoquerait le cancer.

La Thaïlande avait entrepris des mesures significatives en août 2019 pour interdire le glyphosate et d’autres produits chimiques jugés toxiques pour l’homme. Le glyphosate a été classé en 2015 comme « probablement cancérogène pour l’homme » par le Centre international de Recherche sur le Cancer (CIRC) de l’Organisation mondiale de la Santé.

Dès lors que la Thaïlande a commencé à envisager son interdiction, Bayer a lancé sa campagne de lobbying. Le groupe basé en Allemagne -qui a acquis Monsanto, le fabricant américain de Roundup, pour 63 milliards de dollars en 2018- a sollicité l’aide du Département de l’agriculture des États-Unis (USDA) contre l’interdiction le 18 septembre 2019, selon les documents examinés par Reuters.

Conformité avec la loi

Dans une communiqué envoyé à Reuters, Bayer déclare: « Nos interactions avec tous les acteurs du secteur public sont habituels, professionnels et conformes à toutes les lois et réglementations. »

« Le changement d’attitude des autorités thaïlandaises vis-à-vis de l’interdiction du glyphosate est conforme aux déterminations fondées sur la science par les organismes de réglementation du monde entier. »

Ratchada Dhanadirek, porte-parole du gouvernement thaïlandais, a déclaré que le pays soutenait une agriculture sûre et donnait la priorité à la santé des agriculteurs et des consommateurs, notant que le glyphosate était largement utilisé au niveau international et qu’il n’y avait pas d’alternative viable.

Le bureau du Premier ministre a nié avoir eu connaissance des efforts de lobbying des États-Unis ou de Bayer lorsque Reuters lui a demandé de commenter les documents obtenus par le Center for Biological Diversity.

Le Bureau du représentant américain au commerce (USTR) n’a pas répondu aux demandes de commentaires de Reuters sur les documents et son rôle dans le l’annulation de l’interdiction.

« Se concentrer sur le Premier ministre »

Les documents montrent que la vice-ministre de l’Agriculture Mananya Thaiset a été identifié en particulier par Bayer comme « cherchant à accélérer significativement l’imposition d’une interdiction » du glyphosate et d’autres produits chimiques agricoles.

En juillet, avant que les documents ne soient partagés avec Reuters, Mananya Thaiset avait déclaré qu’elle tirait sa motivation à interdire les produits chimiques dangereux du fait d’avoir assisté aux funérailles de nombreux agriculteurs lorsqu’elle était maire.

Les responsables de l’USTR ont discuté de la vice-ministre dans une série de courriers électroniques interne datée du 22 octobre, le jour où la Thaïlande a approuvé son intention d’interdire le glyphosate, selon les documents. Dans un e-mail séparé adressé à Bayer, un responsable non identifié de l’USTR a demandé davantage d’informations sur elle à la société de produits chimiques.

« Savoir ce qui la motive peut aider avec les contre-arguments de l’USG (gouvernement américain) » pour renverser l’interdiction, a écrit le responsable. « Rien n’indique qu’elle ait été une ardente défenseuse de l’alimentation biologique et / ou une écologiste convaincue », a répondu le directeur principal de Bayer pour les affaires gouvernementales internationales et le commerce, Jim Travis.

Reuters n’a pu joindre Mananya Thaiset pour savoir si elle avait été approchée par Bayer ou par des responsables américains. Son bureau n’a pas souhaité réagir sur les documents.

Même si Bayer et l’USTR ont cherché à comprendre l’état d’esprit de la vice-ministre thaïlandaise de l’Agriculture, décrite par un responsable de l’USTR a comme « bien connectée », les documents indiquent clairement que leur objectif principal était l’accès au Premier ministre.

Dans une réponse envoyée par courrier électronique à l’USTR le 24 octobre, Travis de Bayer a déclaré: « Tous les efforts doivent être concentrés sur le Premier ministre », faisant référence au Premier ministre thaïlandais, Prayuth Chan-O-Cha.

Ce dernier n’a pu être joint pour réagir. Il a rarement exprimé son point de vue en public sur l’interdiction des produits chimiques. Après l’annulation de l’interdiction du glyphosate, il avait seulement dit qu’il n’avait « aucun problème » avec la décision.

Marché en croissance

Le 17 octobre, Ted McKinney, le sous-secrétaire américain pour le commerce et les affaires agricoles, a écrit à Prayuth Chan-O-Cha, demandant un report de l’interdiction. Ce dernier a refusé à plusieurs reprises de commenter la lettre de McKinney à la demande des journalistes.

« L’agence américaine de protection environnementale (EPA) (…) a constaté qu’il n’y avait aucun risque pour la santé humaine lorsque le glyphosate est utilisé conformément à son étiquette actuelle », a déclaré un porte-parole de l’USDA en réponse à la demande de commentaires de Reuters sur les documents.

Une interdiction du glyphosate aurait signifié que les céréales cultivées avec ce dernier ne pouvaient plus entrer en Thaïlande, refusant aux exportateurs américains l’accès à un marché qui, comme d’autres en Asie du Sud-Est, a connu importante une croissance depuis 2015 pour atteindre près d’un milliard de dollars en valeur en 2019, selon les données américaines.

Les premières actions de lobbying n’ont pas empêché le Comité national thaïlandais sur les substances dangereuses d’approuver l’interdiction le 22 octobre en vue de la mise en vigueur au mois de décembre suivant. 

Les responsables américains ont poursuivi leurs efforts jusqu’au 26 novembre, selon les documents.

Le 27 novembre, la Thaïlande a fait marche arrière. Un comité gouvernemental a annoncé que le pays revenait sur l’interdiction quatre jours avant son entrée en vigueur, invoquant des considérations vis-à-vis de l’impact sur le commerce extérieur, sur les agriculteurs et les industries de l’alimentation humaine et animale.

Lepetitjournal.com avec Reuters – 18 Septembre 2020

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