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Cambodge : un procès de masse s’ouvre contre d’anciens membres et partisans de l’opposition

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Une centaine de membres et de soutiens de l’ancien parti d’opposition sont convoqués simultanément le 26 novembre par la cour municipale de Phnom Penh. Ils font face à des charges de « conspiration » ou « d’incitation » à commettre un crime ou à semer le trouble dans l’ordre public.

Parmi les prévenus, Theary Seng, avocate et défenseure des droits humains, est déterminée à utiliser la procédure pour dénoncer la dégradation des libertés fondamentales sur place.

Rescapée du régime de Pol Pot qui l’a rendue orpheline, Theary Seng est encore connue aujourd’hui comme la première personne à s’être constituée partie civile dans un procès contre des responsables khmers rouges. Une procédure dont elle s’est retirée avec fracas en 2011 en raison des controverses émaillant le tribunal. L’Américano-Cambodgienne a également initié ou participé à de nombreux programmes en faveur de l’éducation civique dans son pays. Sans en avoir été membre, elle est une sympathisante assumée du PSNC, principal parti d’opposition dissous de manière controversée en novembre 2017 à huit mois d’élections législatives. Ces dernières ont conféré l’intégralité des sièges de l’Assemblée nationale au parti du Premier ministre Hun Sen au pouvoir depuis 35 ans.

RFI : Quelles sont exactement les charges retenues contre vous ? Sur quels faits reposent-elles ?

Theary Seng : Je dois comparaitre devant la cour le 26 novembre pour, je cite, « conspiration visant à commettre une trahison » et « incitation à semer le trouble dans l’ordre public ou à porter atteinte à la sécurité publique ». Je vais donc devoir répondre de sérieuses accusations sans avoir le détail des charges retenues contre moi, que je ne vais découvrir qu’au moment de l’audience. J’ai reçu ma convocation le 7 novembre. Une page recto verso, remplie de vices de procédure.

La loi cambodgienne requiert que cette convocation soit accompagnée d’un chef d’accusation ou d’une ordonnance de renvoi du juge d’instruction mentionnant les charges avec précision : quels sont les faits reprochés et à quelle date auraient-ils eu lieu. Et cela n’y figure pas, ce qui est une immense violation de la procédure.

La convocation indique que j’aurais commis ces crimes en 2019. 365 jours au cours desquels j’aurais pu commettre ces faits ! Mais mon intuition me dit que c’est en lien avec la campagne des neuf doigts, lancée pour attirer l’attention et soutenir la tentative de retour, avortée, de Sam Rainsy [cofondateur du PSNC, en exil en France depuis 2015, ndlr] le 9 novembre 2019. Neuf étant donc le chiffre symbolique.

N’importe quelle cour de justice sérieuse ou légitime rendrait la procédure nulle et non avenue. L’affaire s’arrêterait là sans même considérer les charges de trahison ou d’incitation. Je compte donc, dans un premier temps, jouer le jeu et répondre de ces accusations, mais je veux ensuite lever ce voile juridique et affirmer qu’il ne s’agit pas d’une cour de justice, mais d’un théâtre politique.

Concernant les autres personnes convoquées, je n’ai fait que parcourir brièvement certaines des convocations postées sur Facebook. Elles semblent très similaires à la mienne, comme si cela avait été copié-collé.

En quoi consistent exactement les charges « d’incitation à semer le trouble dans l’ordre public ou à porter atteinte à la sécurité publique » ? De nombreuses procédures reposant sur ces mêmes charges ont été engagées ces dernières années au Cambodge. Est-ce que cela a toujours été le cas ?

Il y a un long passif au Cambodge où ces charges sont fréquemment utilisées contre des activistes et pas seulement des activistes politiques, mais aussi contre des défenseurs des droits humains ou de l’environnement. Je ne suis donc pas surprise d’être visée, car je suis loin d’être la seule.Si la définition exacte de ces charges existe, je ne l’ai pas trouvée. Ces trois dernières années, elles ont été davantage instrumentalisées tandis que la répression s’est intensifiée.

La dissolution du parti d’opposition, la fermeture du journal Cambodia Daily ou de Radio Free Asia ou encore la loi concernant les ONG ont réduit au silence la société civile et en particulier les organisations de défenses des droits humains.

Je crois faire partie de ces dernières voix critiques toujours sur le territoire. C’est pour cela que nous devons riposter, que je dois riposter. Parce qu’il ne s’agit pas de ma protection personnelle, mais de protéger les droits fondamentaux de tous au Cambodge.

Vous avez multiplié les entretiens et les déclarations depuis la réception de votre convocation en allant jusqu’à vous couper les cheveux lors d’une interview.

J’aurais espéré ressembler à Audrey Hepburn, mais je ressemble davantage à Peter Pan ou une star de K-Pop (pop coréenne). Si je vais en prison, ce sera plus pratique. Et si je n’y vais pas… Je ferai des économies en shampoing ! Dans la culture asiatique et au Cambodge, les cheveux longs ont encore une certaine importance symbolique et sont un signe de féminité. De nombreuses personnes ont été surprises ou touchées par ce geste. Je veux montrer que je suis prête, déterminée et préparée à peut-être aller en prison le 26 novembre.

Plusieurs personnes convoquées ce 26 novembre se trouvent aujourd’hui en exil à l’étranger. Vous possédez la double nationalité américaine-cambodgienne et on vous a conseillé de quitter le pays. Pourquoi avoir choisi de rester ?

Je suis bien consciente de la force que représente mon passeport américain. J’aime les deux pays dont je suis citoyenne, mais les États-Unis n’ont pas besoin d’une autre avocate, d’une autre activiste. Le Cambodge, oui. J’ai décidé de rester pour faire face à ces charges et respecter les valeurs qui sont les miennes. En particulier quand j’ai publiquement défendu la nécessité pour la population de s’exprimer et de jouir de ses droits avec les devoirs qui y sont attachés.

Je n’ai pas pris cette décision à l’aveugle, même si je sais que je suis plus vulnérable. Je suis une personnalité un peu moins publique qu’avant, lorsque nous avions une société civile véritablement dynamique. J’ai néanmoins conservé des amis et des réseaux à l’étranger et je sais qu’ils sont présents et que je peux au moins faire un peu de bruit.

J’espère et souhaite que la communauté internationale va rester particulièrement attentive à la situation au Cambodge. Surtout à un moment pivot comme celui-ci qui pourrait déterminer si nous allons sortir de ce climat de répression ou nous enfoncer dans un abysse.

Par Juliette Buchez – Radio France Internationale – 25 novembre 2020

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