En Thaïlande, les jeunes manifestants ciblent le colossal trésor du roi
Des dizaines de milliers de jeunes Thaïlandais ont à nouveau manifesté mercredi 25 novembre au nord de Bangkok devant la Banque commerciale du Siam (BCS), dont le roi est un des principaux actionnaires. Depuis quatre mois, les manifestations se succèdent pour appeler à une réforme totale de la Monarchie.
« Le mouvement de protestation ne peut plus s’arrêter maintenant », assure Charuwan Lowira-Lulin, anthropologue thaïlandaise qui observe jour après jour la montée de la contestation en Thaïlande. Après quatre mois de manifestations à Bangkok et dans d’autres villes du pays, la tension monte chaque fois un peu plus. Au point que personne n’envisage une sortie pacifique à cette crise politique et sociale.
Une nouvelle fois, mercredi 25 novembre, des dizaines de milliers de protestataires se sont rassemblées dans le nord de Bangkok devant la très symbolique Banque commerciale du Siam (BCS), ciblant ainsi l’une des plus grandes banques du royaume dont le roi est à titre personnel l’un des principaux actionnaires.
La Banque commerciale du Siam (BCS) a le roi comme principal actionnaire
« Cette institution bancaire, la première du royaume fondée en 1907, est au cœur de tout le drame de ce pays », insiste l’universitaire Charuwan Lowira-Lulin qui a travaillé sur l’histoire des finances de la monarchie depuis le XIXe siècle. « Elle fait partie de l’immense fortune royale accumulée depuis des décennies par les dynasties antérieures, explique-t-elle, alimentée en partie par les impôts du peuple ».
Habilement, les jeunes leaders du mouvement de contestation ont changé à la dernière minute le lieu du rassemblement prévu initialement devant les immeubles du Crown property bureau (CPB), (Bureau des biens du roi). Voulant éviter la confrontation avec la police, les organisateurs ont délaissé le Bureau, transformé en citadelle fortifiée et encerclé de fil barbelé.
« Ce roi mégalomane et dépravé s’est approprié notre trésor national »
« Mais c’est bien le statut opaque du Crown property bureau que les jeunes dénoncent et critiquent aujourd’hui ouvertement », analyse Pavin Chachavalpongpun, exilé politique au Japon depuis 2012 et professeur au Centre d’Études sur l’Asie du Sud-Est à Kyoto. « Autrefois ce Bureau était en partie sous le contrôle du ministre des finances, et on distinguait précisément les avoirs du roi et les biens de l’État ».
Avec l’arrivée au pouvoir du roi Maha Vajiralongkorn, Rama X, en 2016, ce fragile équilibre a basculé. « Ce roi mégalomane, décadent et dépravé, s’est totalement approprié notre trésor national », ose déclarer en privé un intellectuel thaïlandais.
La fortune du roi est évaluée à au moins 50 milliards d’euros
En 2018, Rama X a fait adopter une loi lui donnant un pouvoir total sur le CPB, avec l’approbation du premier ministre, Prayut Chan-O-Cha. « Tous les biens royaux deviennent la propriété pleine et entière de Sa Majesté et seront gérés à la discrétion de Sa Majesté », est-il précisé depuis 2018 sur le site du CPB. « Tous les palais, les bijoux, les antiquités, les terres, les actions…, une fortune évaluée à au moins 50 milliards d’euros, sont désormais à lui », souligne encore cet intellectuel. Ce qui fait de la monarchie thaïlandaise une des plus riches du monde.
Si les manifestants demandent toujours la démission du général premier ministre Prayut Chan-O-Cha et une réécriture de la constitution et enfin une réforme de la monarchie, ils insistent aussi sur l’abrogation de cette loi de 2018 qu’ils assimilent à du vol. « Il faut à nouveau une distinction claire entre les avoirs personnels du roi et ceux qui appartiennent à l’État », a revendiqué Anon Numpha, un des leaders de la contestation. Mais pour le moment sur le plan institutionnel rien ne bouge, et les discussions au parlement sur une réécriture de la Constitution traînent en longueur.
Violence, loi martiale et coup d’État
« La pression monte contre les contestataires, souligne Pavin Chachavalpongpun, et l’utilisation de la force est toujours imminente… En attendant, le régime lance son offensive sur le plan judiciaire en remettant à l’ordre du jour la loi de lèse-majesté, une première depuis 2018. »
Au moins douze leaders du mouvement pro-démocratie risquent d’être mis en examen pour crime de lèse-majesté qui punit jusqu’à 15 ans de prison toute insulte, critique, diffamation envers le roi ou un membre de sa famille. « Les services secrets sont en alerte et l’armée se prépare à réprimer les manifestants, assure Charuwan Lowira-Lulin, et si des violences explosent, ils imposeront l’imposition de la loi martiale et justifieront un coup d’État ».
Par Dorian Malovic – La Croix – 25 novembre 2020
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