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A Taunggyi, un festival des ballons clandestin

L’événement marque toujours le début de « l’hiver » birman : le traditionnel festival des ballons de Taunggyi, qui se tient chaque année durant la nouvelle lune de Tazaungmon, pour les jours fériés de Tazaungdaing.

Mais « toujours » ou « chaque année » ont perdu tout sens avec la crise mondiale de la gestion de la pandémie de Covid-19 et cette édition a donc été annulée par les autorités pour cause de mesures sanitaires, tout comme les fêtes de Thingyan – en avril, qui sont les plus importantes célébrations annuelles en Birmanie – avaient déjà été interdites, marquant les esprits tant ces festivités comptent pour la population de Birmanie.

En cette fin d’année 2020, les mesures de restrictions aux réunions et aux déplacements passent cependant de plus en plus mal au sein de la population, laquelle prend de plus en plus de liberté avec des contraintes qui ne sont de toute façon presque plus imposées dans les faits. Les nombreuses célébrations, sans aucune sanction, des militants de la Ligue nationale pour la démocratie (LND) après la victoire électorale de leur parti, mi-novembre dernier, l’ont largement prouvé. Ainsi, le gouvernement du Shan avait toléré un semblant de festivité le soir de Thadingyut, le festival des lumières à la pleine Lune d’octobre. Ce soir-là, de nombreux feux d’artifices illuminèrent le ciel de la capitale du Shan, lancés çà et là dans les rues du centre-ville, fusant au milieu des lanternes volantes. Bien que de nombreux habitants s’y soient réunis ce soir-là, le terrain dédié au Festival des Ballons en bordure de ville était demeuré dans l’obscurité. Pas de lancement de ballons cette année, les autorités avaient parlé.

Jeu de cache-cache avec la police

Mais pour la pleine lune de novembre, c’est une autre histoire. Les gens veulent s’amuser et ne sont plus prêts à accepter ce confinement partiel et à géométrie très variable. Depuis quelques semaines déjà le bruit court à Taunggyi que des ballons vont tout de même décoller en ce début d’hiver. Un coup de téléphone et c’est confirmé : rendez-vous après le coucher du soleil au « Fire-Balloon Field ». Alors que nous montons dans la voiture qui vient nous chercher en centre-ville, nous voyons une montgolfière incandescente s’élever lentement au loin au-dessus des maisons, crachant ses gerbes de feu d’artifices dans le ciel, faisant fi aussi bien des lois de la gravitation que de celles anti-Covid. Nous rejoignons l’une des artères principales sur laquelle de nombreux véhicules filent à vivent allure dans la même direction.

En temps normal, le soir du festival, le chemin qui serpente à travers les collines de la banlieue Sud de Taunggyi jusqu’au site de lancement est complètement embouteillé, mais ce soir, bien que le trafic soit dense, nous avançons. Saï, le chauffeur, se tourne vers nous : « Mon neveu est déjà sur place, la police vient de verrouiller les accès au Fire Balloon Field ». En effet, un peu plus loin la route est fermée par des chevaux-de-frise barbelés et des policiers en uniforme nous font signe de faire demi-tour. Tout en faisant sa manœuvre, l’épaule relevée pour retenir son téléphone, Saï parle avec le neveu. Il a un grand sourire : « Tout le monde est en train de bouger vers un autre endroit, nous dit-il, mon neveu va me rappeler pour confirmer l’emplacement exact ». L’excitation monte.

Nous sommes maintenant sortis de la ville, touche à touche au milieu d’un flot de camionnettes, de pick-up et de scooters. Les autorités de Taunggyi ne veulent pas de festival ? La solution est très simple, il suffit d’aller s’installer sur le territoire de l’ethnie Pa’O à quelques kilomètres de là. Le Terrain de Football National Pa’O fera très bien l’affaire.

Retour forcé à la simplicité des origines

Nous terminons à pied sur le sentier qui descend jusqu’au terrain de foot. Cette année, pas de sono crachant la musique à travers des enceintes poussées jusqu’à saturation, pas de spots halogènes pour éclairer, pas de manèges de fête-foraine et leurs ampoules multicolores, pas de bars-estrades dégoulinants de bière. A l’annonce de l’annulation du Festival, certains anciens de Taunggyi s’étaient presque réjouis, trouvant que l’exubérance, les beuveries, les jeux d’argent et les accidents avaient changé le festival traditionnel d’une mauvaise manière. Mais ce soir, la lumière vient de la pleine lune, et la musique, des tambours et des chants. L’atmosphère est très joyeuse et bon-enfant pour ces centaines de Shans, unis par le sentiment d’avoir fait le mur pour célébrer cette fête séculaire clandestinement.

Une camionnette bâchée termine à peine de reculer pour se garer, qu’une dizaine de personnes s’agglutinent déjà à l’arrière, lampes de poche en main. Sous le toit de toile imperméable, deux jeunes hommes s’affairent. On devine l’air goguenard derrière le masque sanitaire qui leur donne des allures de hors-la-loi. Ils sont en train de fixer les dernières fusées d’artifice sur la nacelle de bois et de fils de fer. En quelques minutes, le toit de la camionnette est démonté afin d’extraire l’ensemble du ballon habilement dissimulé et arrivé à bon port au nez et à la barbe des autorités.

Un attroupement se forme. La moitié regarde tandis que l’autre prête la main pour dérouler l’enveloppe du ballon dans les rires et les éclats de voix. Le noyau de l’équipe de ce quartier de Taunggyi propriétaire du ballon garde son sérieux, effectuant des allers-retours afin de terminer les préparatifs d’une opération somme toute périlleuse. En effet, il s’agît de gonfler la toile de la montgolfière à l’aide de torches enflammées à quelques mètres de la nacelle chargée de plusieurs dizaines de kilos de feux d’artifice. Une fausse manœuvre et tout peut tourner au cataclysme, ce qui arrive régulièrement à chaque édition du célèbre festival.

Les dangers de la pyrotechnie amateure

Tout se déroule sans problème, le ballon est maintenant rempli d’air chaud et trône au milieu du terrain telle une gigantesque ampoule de douze mètres de hauteur. La nacelle est fixée, le décollage est imminent, les mèches sont allumées et déversent une pluie d’étincelles tandis que les dernières mains qui retenaient l’aéronef viennent de lâcher prise.

Malheureusement, au lieu de s’élever dans les airs, le ballon reste sur place et commence même à redescendre. La nacelle est maintenant entourée d’une épaisse fumée grise, alors qu’une poignée d’hommes téméraires se glissent en dessous et la poussent vers le ciel dans une ultime tentative. Après s’être élevée de quelques mètres, la masse lumineuse redescend à nouveau. Une première pyrotechnie fuse à l’horizontale au-dessus de la foule qui recule instantanément. Puis c’est l’explosion. Toutes les fusées se déclenchent, lardant la nuit de leurs trajectoires étincelantes. Dans un mouvement de panique, tout le monde fuit et tente de s’abriter derrière tout ce qui peut faire obstacle à l’énorme boule de feu.

En l’espace de quelques secondes le ballon a disparu, il ne reste par terre que quelques morceaux de toile en flamme. La foule revient prendre place au milieu de la pelouse encore fumante, le son des tambours et des cymbales shans recommencent à rythmer la nuit, ainsi que les rires et les chants, tandis qu’une autre équipe installe le prochain ballon.

La même opération recommence. Un groupe de jeunes musiciens particulièrement actifs attire une foule de jeunes danseurs et danseuses qui sautent les mains dans les airs, éclairés par les phares d’une voiture. Devant eux, le ballon s’élève alors que la musique augmente en volume et en cadence. Une pluie de feux d’artifice rempli alors le ciel, et les jeunes shans reprennent en cœur : « Shan Yoma ! », « Montagnes Shan » ou « Terre du Shan » en langue Shan.

Par Francis Waltari – Lepetitjournal.com – 3 décembre 2020

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