Au Vietnam, un aéroport militaire très meurtrier
Déjà quatre morts et des dizaines de condamnations… L’arrestation d’une figure de la liberté d’expression est le dernier épisode de la saga de Dong Tam, symbole des expropriations de paysans.
C’était sans doute le rapport de trop pour la figure de la défense des droits humains au Vietnam. Pham Doan Trang a été arrêtée dans la soirée du 6 octobre à Ho Chi Minh-Ville, accusée de diffuser des informations dirigées contre l’État
. Son crime, passible de vingt ans de prison ? Documenter une affaire d’accaparement de terres à Dong Tam, un village proche de la capitale Hanoi, pour y construire un aéroport militaire.
Après la publication du rapport, elle savait que ce n’était qu’une question de temps avant qu’elle ne soit arrêtée
, indique depuis Singapour, Will Nguyen, coauteur du document. Cette arrestation est le dernier chapitre de la tragique et meurtrière saga de Dong Tam. La commune de 9 000 habitants est devenue l’un des symboles de la violence d’État dans les cas d’accaparement de terres, nombreux dans un pays où le foncier est géré par le Parti communiste, au pouvoir depuis 1975.
Lancé dans les années 1980, le projet d’aéroport militaire de Mieu Mon, en périphérie d’Hanoï, était tombé dans l’oubli, jusqu’à ce qu’il soit relancé en 2014. Aux 47 ha déjà saisis, le ministère de la Défense annonce la saisie de 59 ha supplémentaires de terres agricoles. Problème : Le gouvernement n’a jamais proposé la moindre compensation
, explique Grace Bui de l’ONG The 88 Project, qui défend la liberté d’expression au Vietnam. Les habitants de Dong Tam se révoltent.
En 2017, la police d’Hanoï arrête sans motif quatre villageois pour faire pression sur les autres. Ces derniers ripostent et retiennent en otage 38 policiers pendant une semaine. Un accord est finalement trouvé pour préserver le statu quo.
La trêve a duré jusqu’à la nuit du 9 janvier 2020. Trois mille policiers investissent alors la petite ville pour permettre la construction d’un mur d’enceinte le long de la parcelle disputée. Les émeutes font quatre morts : le chef du village, Le Dinh Kinh, 84 ans, tué d’une balle dans la tête par les forces de l’ordre ; et trois policiers, aspergés d’essence et brûlés vifs
selon les médias, proches du pouvoir.
En septembre, deux des fils de Le Dinh Kinh ont été condamnés à mort pour le meurtre des policiers, 27 autres villageois à des peines allant jusqu’à la prison à vie. Cinq condamnés ont fait appel de la décision, « mais il est peu probable que leur peine soit revue à la baisse » soupire Grace Bui, qui dénonce un procès expéditif. On ne sait toujours pas exactement ce qu’il s’est passé cette nuit-là
, déplore-t-elle. Quarante ans après, la première pierre de l’aéroport militaire de Mieu Mon n’est toujours pas posée.
Par François Camps – Ouest France – 7 décembre 2020
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